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Vie des entreprises

Ces rares employeurs qui facilitent la vie de famille

Vie des entreprises | ZOOM | publié le : 01.12.2000 | Sabine Syfuss-Arnaud

Avant d'intégrer les contraintes familiales de leurs collaborateurs, les entreprises ont du chemin à faire. Crèches ou postes à temps partagé ne sont pas monnaie courante. Mais les difficultés de recrutement aidant, des employeurs proposent, depuis peu, pressing ou baby-sitter pour simplifier la vie de leurs salariés.

Deux garçonnets glissent sur un toboggan en forme d'igloo. Plus loin, des petites filles s'ébattent en riant sur des tapis bleus, tandis qu'à l'étage au-dessous des nourrissons dorment dans des lits superposés. Ils sont 180 bambins âgés de 3 mois à 3 ans à fréquenter l'immense crèche de l'hôpital Robert-Debré, paquebot blanc amarré porte des Lilas, dans le XIXe arrondissement de Paris. Trente-quatre personnes, des infirmières, mais aussi des aides-soignants et des médecins, se relaient pour répondre aux besoins des parents, qui peuvent y déposer leurs enfants dès 6 h 15 du matin et les récupérer jusqu'à 21 h 45 le soir, tous les jours de l'année, y compris les jours fériés. À l'instar de toutes les garderies de l'Assistance publique, Robert-Debré offre une grande souplesse à ses salariés. Moyennant la modique somme de 10 à 60 francs par jour, la crèche accepte même de s'occuper des gamins qui ont une petite angine ou un rhume.

Un vrai luxe en France, où les systèmes de garderie en entreprise n'ont pas réussi à s'imposer. Hormis quelques rares exceptions comme le Crédit lyonnais ou certaines administrations, par exemple le ministère de l'Emploi et de la Solidarité, qui prend en charge quelques dizaines d'enfants de collaborateurs, avenue de Ségur, dans le VIIe arrondissement. La garde des moins de 3 ans est pourtant un sacré casse-tête pour les jeunes couples qui travaillent. « Avec l'augmentation du taux d'activité des femmes et le nombre croissant de couples de cadres, les entreprises ont de plus en plus conscience de la nécessité d'équilibrer vie professionnelle et vie familiale », souligne Jacqueline Laufer, professeur de sociologie à HEC et spécialiste de la question des femmes cadres. Les trois quarts des mères de deux enfants exercent en effet une activité professionnelle. Le nombre de familles monoparentales monte en flèche. Et l'allongement de la durée de la vie oblige de plus en plus de salariés à prendre en charge non seulement leurs marmots, mais aussi leurs parents âgés dépendants.

Le paternalisme au rencard

La baisse du chômage et les difficultés de recrutement pourraient bien obliger les employeurs à davantage tenir compte des contraintes familiales de leurs collaborateurs. En s'inspirant des firmes nord-américaines ou des quelques rares entreprises qui ont défriché le terrain dans l'Hexagone. Sur fond de paternalisme, les pionniers Renault ou Michelin proposaient, il y a bien longtemps, à leurs ouvriers et à leur famille une batterie d'avantages sociaux où crèches, maternités, écoles et consultations médicales gratuites figuraient en bonne place.

Dans les années 70, les tentatives pour concilier travail et famille ont essentiellement tourné autour de l'organisation du travail, avec le développement des horaires variables et surtout du temps partiel, qui est devenu l'instrument de prédilection des employeurs. Un mercredi après-midi par-ci, une semaine de congés scolaires supplémentaire par-là. L'une des formules les plus sophistiquées est celle d'Axa,oùtrois types d'aménagement du temps existent, sur la journée, la semaine ou l'année. Parmi les 2 600 personnes du groupe qui ont choisi de travailler moins (16 % des salariés), on trouve… 98 % de femmes et 80 % de non-cadres. Le temps partiel est en effet une arme à double tranchant, pratiquement toujours réservé aux femmes. Or, les enquêtes le montrent, un surplus de temps libre conduit presque mécaniquement les mères salariées à assumer davantage de tâches ménagères. Autre effet pervers : il peut se révéler très déstabilisant pour les emplois à horaires atypiques. Dans la grande distribution, l'emploi du temps des caissières, découpé en tranches de trois heures, perturbe plus la vie de famille qu'il ne la facilite.

Plus imaginative est l'individualisation du temps de travail. Depuis vingt-cinq ans, Boiron, le roi des médicaments homéopathiques, donne le la dans ce domaine. Les quelque 25 accords d'entreprise conclus ont cherché à prendre en compte les aspirations des employés. « Pour qu'un salarié soit performant et créatif, il faut qu'il se sente bien dans son travail. C'est pour cela que nous essayons de concilier environnement individuel – et donc contraintes familiales – et besoins de l'entreprise », indique la DRH du groupe lyonnais. Le principe du donnant-donnant étant la règle, chaque horaire individualisé est longuement réfléchi, discuté et révisé chaque année pour voir s'il convient toujours aux deux parties. Aujourd'hui, l'entreprise, qui compte 70 % de femmes, emploie un tiers de salariés à temps partiel, « dont 80 %de temps partiels choisis », précise la DRH, pour qui « le temps libéré a d'abord été réinvesti dans le temps familial ».

Les 35 h bouleversent la donne

Autre exemple d'innovation sociale : le congé parental. Fleury Michon, le groupe vendéen d'agroalimentaire, a mis en place dès 1994 un congé rémunéré à hauteur de 3 000 francs mensuels qui permet au salarié de quitter temporairement l'entreprise jusqu'aux 6 ans de l'enfant (ou même jusqu'aux 9 ans à partir de la troisième naissance), avec l'assurance de retrouver son emploi. Par ailleurs, depuis 1996, un salarié désireux de s'occuper d'un enfant ou d'un parent malade peut bénéficier d'un mi-temps.

Mais les employeurs français ont encore du chemin à faire. En témoigne l'exemple du californien Hewlett-Packard qui décline en France, depuis cinq ans, son programme mondial Life Work Harmony (« harmonie, travail, vie »).Promue récemment directrice des relations sociales, Véronique Bouhafs-Blanchard a mené une réflexion de fond en prenant en compte toutes les « contradictions et les tensions » entre les aspirations des salariés, les besoins de l'entreprise, l'organisation des services, les attentes des clients, etc. Pour mener à bien ce travail, elle a créé un site intranet baptisé « Travailler autrement », qui a aidé les salariés à se poser les bonnes questions. Et à imaginer « une organisation du travail créative, dotée d'un arsenal de réponses individuelles ».Parmi lesquelles le télétravail, des télébureaux dans le Vercors, le temps partiel (qui concerne 10 % des salariés, dont 20 % d'hommes) et le job sharing. Cette formule est sans doute l'une des plus originales. Chez HP, il existe aujourd'hui cinq binômes féminins, dont l'un est formé de deux directrices financières chargées des télécoms au niveau mondial ! Ces salariées ont une double motivation : conserver une vie familiale et garder des ambitions professionnelles. « Le job sharing permet d'être à temps partiel sur un poste qui requiert un temps plein », précise la DRS, convaincue que chaque membre du tandem travaille en réalité à 60 %.

Avec l'entrée en vigueur des 35 heures, Hewlett-Packard ou Boiron vont peut-être perdre leur avance. « La loi Aubry a catapulté le discours sur le rapport au temps », constate Véronique Bouhafs-Blanchard. Déjà, la loi Robien avait permis une entrée timide de la semaine des quatre jours dans l'entreprise. Une brèche dans laquelle se sont engouffrées des sociétés comme Fleury Michon ou Brioche Pasquier. Mais la loi de 1999 a généralisé la réflexion et imposé une nouvelle manière de penser… « Les 35 heures sont un très gros levier de sensibilisation au temps », confirme la sociologue Jacqueline Laufer, qui se dit « frappée » du changement de mentalité, notamment chez les cadres.

« Pendant longtemps, ils n'ont pas été intéressés par la question du temps, qui n'était pas considérée comme conforme à leur identité. Aujourd'hui, c'est le flacon qui fait l'ivresse. Une pédagogie du rapport au temps se développe et crée progressivement une sorte d'apprentissage. Même les personnes les plus rétives se disent aujourd'hui : pourquoi pas moi ? » Constat identique chez Boiron, dont la DRH, Renée Husson, estime que la réduction du temps de travail « est davantage d'actualité qu'avant, surtout parmi les cadres », même si la plupart des entreprises ont beaucoup de difficultés à passer de la prise de conscience des attentes de leur personnel à des solutions réellement novatrices.

Des gardes-malades chez Danone

Une étude réalisée par l'Ires pour la CGC-CFE auprès de 2 000 entreprises a montré que plus de 60 % d'entre elles se contentent d'aménager leurs horaires. Tandis qu'une infime minorité (entre 4 et 6 %) ont mis au point des formules « émergentes », comme le « cheminement de carrière adapté aux exigences familiales » ou encore l'aide à la garde d'enfants. Elles ne sont pas nombreuses les sociétés qui, comme Danone depuis quinze ans, proposent une assurance enfant malade. Lorsque le chérubin a 40 de fièvre, une baby-sitter vient veiller sur lui. Quelques DRH font régulièrement appel à des agences spécialisées comme Kid Service. À l'instar de ce grand joaillier qui préfère payer une garde d'enfant plutôt que de se passer d'une vendeuse qui parle le japonais. Des pratiques directement inspirées des méthodes américaines. Les entreprises ne sont évidemment pas philanthropes. Si les employeurs rivalisent d'imagination pour faciliter la vie de leurs salariés, c'est afin que ces derniers soient plus disponibles pour leur travail. Dans les quartiers de la Défense et de l'Ouest parisien s'est développée ces dernières années toute une gamme de services qui enlèvent aux collaborateurs les soucis du quotidien : pressing, cordonnerie, lavage de voiture. Et quelques gros cabinets de conseil ont recruté des concierges de grands hôtels censés régler les mille et une petites choses qui polluent l'esprit d'un père, ou plus encore d'une mère, au travail.

Services de proximité à gogo

Convaincu que vie personnelle et vie professionnelle vont de plus en plus s'interpénétrer, Bruno de Montalivet, directeur de projet à la DRH d'Accor, chargé des systèmes de reconnaissance pour les employés, est en train de développer avec des prestataires extérieurs un système d'informations pratiques qu'il mettra à la disposition des salariés pour leur faciliter les relations avec le fisc, l'administration ou leur syndic. Il lancera aussi un projet pilote à l'intention des employés franciliens qui, dès 2001, proposera des services de courses, de repassage, de garde d'enfants…

C'est exactement dans ce créneau que s'est engouffrée la toute jeune start-up Affiniteam. Elle propose aux entreprises d'installer via l'intranet un portail de services de proximité destinés à améliorer la vie personnelle et familiale des salariés. Concepteur et patron de cette jeune pousse, Dominique Beaulieu entend mettre sur pied, avec différents fournisseurs, « un bouquet de services sur mesure » qui peut aller jusqu'à l'achat de la baguette pour le dîner ou aux massages sur le lieu de travail. Le but ? Assurer le bien-être du collaborateur, baptisé pour l'occasion « cliemployé », le rendre efficace et fidèle. Cet ancien cadre supérieur passé par de grandes multinationales affirme être en « négociation avancée » avec de grandes entreprises. « 100 % de celles qui ont été approchées dans les high-tech sont très réceptives au concept », précise-t-il.

Dans leur étude sur l'équilibre travail-famille, la CGC et l'Ires insistent sur le fait que ces initiatives ne doivent pas être considérées comme des coûts par l'entreprise, mais comme des investissements productifs. Leur portée est double : elles permettent d'améliorer l'image de l'entreprise et de réduire l'absentéisme. Ce qui est coûteux pour les employeurs, ce n'est pas de financer des mesures pour que leurs salariés bénéficient d'un bon équilibre entre travail et famille, mais de ne pas s'en soucier. « Les coûts cachés (turnover, non-qualité, absentéisme physique ou mental, démotivation, et insatisfaction…) sont en effet très importants. » À bon entendeur…

Le « family friendly » made in USA

Le « family friendly » est un concept très en vogue outre-Atlantique. Être sensible à la situation et aux obligations familiales de ses collaborateurs fait partie du « politically correct ». Depuis quinze ans, le mensuel « Working Mother » (« la Mère qui travaille ») établit un palmarès annuel dans lequel il donne le nom des 100 entreprises qui ont le mieux satisfait à une poignée de critères, comme la couverture sociale, la souplesse dans l'organisation du travail, la promotion des femmes, les aides pour les jeunes enfants…

Les hérauts de la presse économique et financière surfent aussi sur la vague, que ce soit le « Wall Street Journal » ou « Fortune », avec son classement très attendu des « best companies to work for » (« les entreprises où il fait bon travailler »).

Face à la concurrence, les DRH rivalisent d'imagination. Non seulement les entreprises se sont mises à offrir ce que nos comités d'entreprise proposent depuis longtemps, mais elles innovent. Le mouvement a débuté dans la Silicon Valley et se répand dans l'ensemble des États-Unis. D'autant qu'avec le plein-emploi la main-d'œuvre se fait rare et volage. Président du cabinet de chasse de têtes Challenger, Gray & Christmas, James Challenger cite quelques exemples : « Une entreprise du New Jersey qui propose des camps de vacances ; une société californienne qui donne cinq jours de congés payés pour passer du temps dans l'école de l'enfant ; un groupe de Floride qui a dépensé un demi-million de dollars pour un centre d'assistance à l'éducation ; une firme de Seattle qui paie des visites de puéricultrice à domicile pour les nouveau-nés des salariés ; une entreprise de Caroline qui organise pendant les heures de travail des entretiens avec des conseillers en orientation scolaire… » « Difficile d'échapper à la tendance », lance Peter Conte, porte-parole de Boeing. L'avionneur centenaire de Seattle a ouvert coup sur coup, en janvier 1997 et en novembre 1998, deux crèches à proximité du siège capables d'accueillir 200 enfants de 6 mois à 6 ans. Toutes les deux ont déjà de longues listes d'attente.

Auteur

  • Sabine Syfuss-Arnaud