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Vie des entreprises

Astreintes : boulot ou repos ?

Vie des entreprises | ACTUALITÉ JURISPRUDENTIELLE | publié le : 01.12.2000 | Jean-Emmanuel Ray

Si l'astreinte à domicile ou à proximité de celui-ci n'est pas du temps de travail effectif (seule l'est la durée d'une éventuelle intervention), est-elle pour autant une période de repos ? Oui, répond un arrêt récent – et discutable – de la Cour de justice des Communautés européennes.

« Singer libère la ménagère » : le slogan des années 60 est-il applicable aux nouvelles technologies de la communication qui envahissent les entreprises ? Alors qu'il y a vingt ans le salarié d'astreinte devait coucher dans l'usine ou rester à son domicile près de son téléphone, il peut aujourd'hui vaquer presque librement à ses occupations personnelles grâce aux divers portables et autres mobiles : les astreintes sont devenues beaucoup moins astreignantes. Né le 19 janvier 2000 et directement inspiré de la jurisprudence, le nouvel article L. 212-4 bis a donné un régime particulier à ce temps du troisième type : s'il ne constitue pas du temps de travail (1°), peut-il être cependant considéré comme du temps de repos (2°) ?

1° Astreinte et temps de travail

« Constitue une astreinte et non pas un travail effectif une période pendant laquelle le salarié, sans être à la disposition permanente et immédiate de l'employeur, a l'obligation de demeurer à son domicile ou à proximité afin d'être en mesure d'intervenir pour effectuer un travail au service de l'entreprise, la durée de cette intervention étant considérée comme un temps de travail effectif » : l'arrêt du 17 octobre 2000 sanctionne une cour d'appel globalisant le temps d'astreinte d'un gardien d'immeuble, sans avoir tenu compte d'éventuelles interventions qui constituent du travail effectif tout comme, à notre sens, l'éventuel temps de trajet. Mais cette définition jurisprudentielle semble quelque peu datée : les NTIC réduisent le poids de l'astreinte en permettant justement au salarié de ne pas rester « à son domicile ou à proximité », comme l'indique l'accord RTT du Crédit lyonnais du 13 septembre 2000 : « Dans toute la mesure du possible, la possibilité d'effectuer l'intervention sans déplacement du collaborateur sera recherchée grâce à la mise à disposition de matériels informatiques permettant une intervention à distance. »

À propos de médecins espagnols d'astreinte à l'hôpital, l'arrêt rendu par la CJCE le 3 septembre 2000 reprend le raisonnement de la Cour de cassation française : « Même si l'activité effectivement déployée varie selon les circonstances, l'obligation qui leur est faite d'être présents et disponibles sur le lieu de travail en vue de la prestation de leurs services professionnels doit être considérée comme relevant de l'exercice de leurs fonctions », et donc être prise en compte comme du travail effectif.

2° Astreinte et temps de repos

« Repos : toute période qui n'est pas du temps de travail. » La singulière définition communautaire du temps de repos en est restée aux films en noir et blanc, alors que la Cour de cassation a placé les vraies astreintes sous le signe du ni-ni : ni travail ni repos. Le droit au repos si souvent évoqué depuis la loi du 19 janvier 2000 sort déboussolé de cette définition en creux : le salarié niçois se rendant dans un train bondé à son travail est donc en repos, tout comme la DRH bloquée dans sa voiture une heure matin et soir sur le périphérique parisien.

S'agissant des astreintes hors entreprise, l'arrêt de la CJCE était très attendu depuis les remarquables conclusions de l'avocat général A. Saggio : opposant « disponibilité » des médecins à l'hôpital et « accessibilité » à domicile, il a estimé que ce dernier temps « ne peut être considéré comme une période de repos ».

Point du tout semble répondre la CJCE… toujours en creux : après avoir rappelé l'opposition temps de travail/temps de repos de la directive de 1993, elle constate que « les médecins, même s'ils sont à la disposition de l'employeur […], peuvent gérer leur temps avec moins de contraintes et se consacrer à leurs propres intérêts » : puisque ce n'est pas du travail, c'est donc du repos, CQFD.

En application de la directive 93-104 fixant des « prescriptions minimales de sécurité et de santé en matière d'aménagement du temps de travail », la Cour de Luxembourg permet donc de faire succéder temps de travail, puis temps d'astreinte sur le temps de repos quotidien (onze heures consécutives) ou hebdomadaire (trente-cinq heures consécutives), à moins qu'une intervention ne vienne mettre le compteur « repos » à zéro (cf. le terme « consécutives » dans les deux cas). À la limite, un salarié pourrait par portable interposé vivre, comme l'évoque cette merveilleuse publicité informatique, « 7 jours sur 7, 24 heures sur 24 » avec la personne morale qu'est son entreprise.

Certes, le salarié d'astreinte n'est pas « occupé » au sens du Code du travail, mais il est, comme le disait l'un d'entre eux, « préoccupé » par un éventuel appel nécessitant une intervention rapide. Astringere (obliger, contraindre) : avec le développement de notre culture de l'urgence et donc de la télédisponibilité rendue partout possible par les NTIC, les années à venir ne seront pas de tout repos.

Flash

• Convention collective et contrat individuel de travail (suite)

L'arrêt du 16 décembre 1998 avait permis à une entreprise d'imposer à Mme Lecuru, ambulancière, une astreinte de week-end : « La décision de l'employeur de mettre en œuvre le régime des astreintes prévu par l'accord collectif de branche qui s'imposait à la salariée n'entraînait aucune modification du contrat de travail. » Mais quid d'un accord d'entreprise signé aujourd'hui et prévoyant désormais pour les salariés déjà en poste une astreinte un week-end sur deux ? En l'absence de disposition contractuelle, l'arrêt Lecuru s'appliquerait-il ? Non, a légitimement répondu la Cour de cassation le 17 octobre 2000 : « Le contrat de travail du salarié étant dépourvu de clause (en l'espèce de non-concurrence), il ne pouvait être modifié par un accord d'établissement. » S'il est normal qu'une convention collective comportant des sujétions soit appliquée aux salariés en ayant pris connaissance lors de leur embauche, l'équilibre contractuel serait gravement remis en cause par l'application autoritaire d'un accord collectif postérieur. Un avenant individuel est donc indispensable, et imposer une telle sujétion en forme de modification du contrat est risqué : prise d'acte par le salarié.

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray