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Une refonte au point mort

Dossier | publié le : 01.12.2000 | F. C.

Dans le bilan de Lionel Jospin, le dossier des retraites sera à marquer d'une pierre noire. Profitant d'une conjoncture favorable, le Premier ministre s'est borné à gérer l'existant en remettant à l'après-2002 les décisions les plus impopulaires.

À un peu plus d'un an des prochaines élections présidentielle et législatives, le bilan de Lionel Jospin est bien maigre sur le front des retraites. Certes, l'extrême prudence du gouvernement sur ce dossier explosif peut se comprendre. Après la réforme de 1993, concoctée par le tandem Édouard Balladur-Simone Veil et concentrée sur les retraites du régime général (1), les points qui restent à traiter sont particulièrement sensibles puisqu'il s'agit du régime des fonctionnaires et des régimes spéciaux. L'échec d'Alain Juppé sur la retraite des cheminots, fin 1995, ayant singulièrement compliqué les choses, son successeur s'est bien gardé d'y revenir. D'autant que, pour le coup, c'est son propre électorat qu'il risquait de mécontenter. Objectivement, le Premier ministre avait d'autant moins de raisons de se risquer dans cette aventure qu'à moyen terme – en 2005, quand les premiers baby-boomers arriveront à l'âge de la retraite – la France connaîtra encore l'âge d'or des retraites. En d'autres termes, le rapport entre cotisants et retraités demeurera très favorable. Il ne se dégradera qu'ensuite, progressivement.

S'il fallait chercher une dernière excuse à l'inaction du gouvernement au cours de ces trois dernières années, on la trouverait dans la conjoncture économique exceptionnelle. La reprise de l'activité a généré des recettes supplémentaires qui ont rempli les caisses des régimes sociaux et opportunément masqué les problèmes à venir. L'exemple de l'assurance vieillesse est significatif. Le 24 octobre, ouvrant le débat sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2001, Élisabeth Guigou, la nouvelle ministre de l'Emploi et de la Solidarité, a eu beau jeu de rappeler que la branche vieillesse, qui affichait un déficit de 3,7 milliards de francs en 1997, a renoué avec les excédents : 3,7 milliards en 1999 et 3,4 milliards en 2000. À bien y regarder, ces chiffres donnent toutefois une idée de la fragilité de la situation. Dans une branche qui verse plus de 700 milliards de francs de pensions chaque année, l'excédent observé ne représente que l'épaisseur du trait.

Il n'empêche, l'amélioration est réelle, permettant de revaloriser les retraites de base de 2,2 %. Et elle est générale, au point qu'à Bruxelles la Commission vient de souligner qu'une stratégie de croissance économique et de développement de l'emploi est une condition du succès de la réforme des pensions. La seule qui permette, face au vieillissement rapide des Européens, « de maintenir un équilibre entre les pensions et les droits et entre les populations actives et retraitées ».

Le missila Teulads contre le rapport Charpin

Lionel Jospin a pourtant ouvert le chantier des retraites en confiant une mission d'exploration à Jean-Michel Charpin, le commissaire au Plan. De l'avis général, la commission Charpin, qui a rendu sa copie en 1998, a plutôt fait du « bon boulot », même si le diagnostic n'a pas été partagé par tout le monde. En particulier sur la nécessité d'allonger la durée de cotisation. C'est ensuite que les choses ont mal tourné. Au Conseil économique et social, l'ancien ministre René Teulade a mitonné sur un coin de table, avec quelques amis syndicalistes, un contre-rapport Charpin. Objectif : démontrer par tous les moyens que le remède proposé par le commissaire au Plan était « déplacé » et qu'une croissance forte sur dix ans résoudrait tous les problèmes. Même si le propos était plus nuancé, c'est cette version rose qui a fait mouche auprès d'une opinion publique peu disposée à écouter un discours de rigueur sur le délicat sujet des retraites.

Bien expédié, le missile Teulade a donc atteint son but. Au point, d'ailleurs, que bien peu d'observateurs ont vérifié les hypothèses de l'ancien ministre. Le 9 février 2000, au Sénat, la Commission des affaires sociales a découvert le pot aux roses : si le rapport Teulade avait pu prévoir une baisse du poids des pensions dans le PIB, représentant 10,3 % en 2040 contre 12,7 % aujourd'hui, c'est parce qu'il avait oublié dans ses calculs que la pension moyenne augmente au même rythme que les salaires… Compte tenu de cet effet dit « noria », le poids de ces dépenses atteindra en réalité 15,8 % à cette échéance, soit 50 % de plus. Il faudra attendre la première réunion du Conseil d'orientation des retraites, à la rentrée dernière, pour qu'on reconnaisse officiellement l'« erreur de méthode » et qu'on rende justice à Jean-Michel Charpin.

Mais qu'importe, le mal est fait. Et bien fait puisque Dominique Taddéi – autre personnalité qualifiée du Conseil économique et social – a apporté sa pierre à l'entreprise de démolition avec un rapport dénué de tout caractère scientifique sur « la retraite choisie et progressive ». Quant au parti socialiste, où l'on se souvient des déboires de Michel Rocard, il s'est prononcé le 7 mars dernier sur la base d'une note préparée par Marisol Touraine ; seule consigne à l'intention de Matignon : en faire le moins possible.

Du rapport Charpin ne seront retenues finalement que deux grandes idées. L'une, qui ne mange pas de pain, est la mise en place d'un Conseil d'orientation des retraites chargé d'établir des bilans réguliers et de piloter les régimes. Présidée par un haut fonctionnaire et composée de représentants des partenaires sociaux, dont un certain nombre issus de la fonction publique, cette instance apparaît beaucoup trop « verrouillée » pour être le lieu d'initiatives novatrices. L'autre préconisation retenue est la création d'un fonds de réserve, destiné à consolider les régimes par répartition. C'est la seule véritable trouvaille des trois dernières années. Créé en 1998, il est alimenté par les excédents de la Caisse nationale d'assurance vieillesse, du Fonds de solidarité vieillesse, de la moitié du prélèvement de 2 % sur les revenus du patrimoine, d'un versement de la Caisse des dépôts au titre de la réforme des Caisse d'épargne et, à partir de l'an prochain, d'une partie du produit de la vente des licences de téléphones mobiles. Total : 55 milliards fin 2001 et un objectif de 1 000 milliards en 2020, dont 330 provenant des intérêts financiers.

Recul de Fabius sur l'épargne retraite

Cette technique du fonds de réserve fonctionnant dans un régime en répartition est pratiquée aux États-Unis, au Canada, en Norvège et, dans une certaine mesure, au Japon. Mais d'autres pays y viennent, tels que la Belgique et l'Espagne. En revanche, des pays comme l'Allemagne et la Suède ont opté pour l'introduction de fonds de pension. Concernant la France, le fonctionnement du fonds de réserve, qui n'a été créé que pour le régime de base et les régimes alignés des commerçants et artisans, n'est toujours pas clarifié. Si la Caisse des dépôts semble tenir la corde pour devenir l'organisme gestionnaire, rien n'a été précisé sur la place des partenaires sociaux ni sur les modalités de placement.

Mais, dans un pays où l'introduction de fonds de pension est difficile, compte tenu du taux élevé de remplacement assuré par les régimes par répartition et de données culturelles spécifiques, le développement d'un fonds de réserve important et orienté sur le long terme est l'une des seules, voire la seule voie possible pour instiller de la capitalisation dans le système de retraite. En tout cas, le recul opéré par Laurent Fabius par rapport à son projet initial de février 1998, sur les plans partenariaux de retraite, en dit long sur les résistances à surmonter. Des résistances d'autant plus solides que, selon un rapport commandé par la branche retraite de la Caisse des dépôts (2), aucune demande de retraite supplémentaire n'existe venant de l'entreprise. Faute de collectif, faudrait-il s'en remettre à une démarche individuelle ? Alors, si l'on parle d'épargne à ce niveau, les experts sont unanimes : tous les outils existent déjà.

L'Allemagne ouvre une brèche dans le système bismarckien

Le « modèle allemand » n'est décidément plus ce qu'il était. En matière de retraite, le fameux système bismarckien, qui a inspiré bon nombre de pays européens – dont la France – depuis plus d'un siècle, est en voie de métissage. Timide, certes, puisque le projet de loi déposé fin septembre par le gouvernement de Gerhard Schröder prévoit qu'en 2030 la répartition assurera encore un taux de remplacement par rapport au dernier salaire de 64 %. La démarche avait pourtant été jugée suffisamment « déplacée » par l'opinion quelques mois plus tôt pour coûter sa place au chancelier Kohl, qui avait bataillé pendant un an avec le Parlement pour imposer la même réforme. Pour compenser la moindre contribution de la répartition, qui assure en moyenne 70 % du dernier salaire aujourd'hui, les Allemands seront donc invités à épargner, mais seulement s'ils le désirent, auprès d'un organisme privé. La première année, leur cotisation sera de 0,5 % du salaire brut dans la limite du plafond de la sécurité sociale (4 000 marks par mois, soit 13 400 francs environ, pour un célibataire, et 8 000 marks, 26 800 francs, pour un couple). Elle augmentera régulièrement pour atteindre 4 % du salaire brut en 2008. Cette épargne sera déductible du revenu imposable, les bas et moyens salaires bénéficiant d'un abondement de l'État qui atteindra, en 2008, 300 marks par an (environ 1 000 francs) pour un célibataire et 360 marks (1 200 francs) par enfant, soit un effort de l'État estimé à 19,5 milliards de marks (65,5 millions de francs). Le projet prévoit que le placement de l'épargne sera libre, mais que l'épargnant devra récupérer au moins sa mise et que la sortie en rente ne sera obligatoire qu'à partir de 80 ans.

Au-delà des détails techniques, l'histoire de cette réforme révèle les difficultés rencontrées par tous les gouvernements pour réviser les régimes de pension. L'actuel chancelier allemand n'est parvenu à imposer la baisse, hautement symbolique, du taux de remplacement assuré par la répartition que parce que son prédécesseur avait échoué… Le temps a joué pour lui. Ajoutons-y, aussi, une bonne dose d'habileté politique, le gouvernement renonçant à prolonger d'un an l'indexation des pensions sur les prix, qu'il avait ordonnée dès sa prise de pouvoir, pour en revenir à une indexation sur les salaires, conforme à l'esprit de la répartition. Encore un gage de bonne volonté. Troisième leçon – tirée de cette expérience par Jean-Christophe Le Duigou, secrétaire national de la CGT : la question de la durée de cotisation ne s'est pas posée en Allemagne parce que l'on s'était entendu sur un niveau de pension jugé décent. C'est vrai, mais il faut aussi le rappeler, la durée de cotisation pour bénéficier d'une retraite à taux plein est déjà de quarante-cinq années en Allemagne et, en 2005, l'âge de la retraite aura été reporté à 65 ans, pour les hommes comme pour les femmes…

(1) Avec cette réforme, la durée de cotisation passera à quarante années (160 trimestres) en 2003. En 2008, les retraites seront calculées sur la base des vingt-cinq meilleures années. Quant à l'indexation des retraites sur les prix, elle est restée en vigueur entre 1987 et 1998.

(2) Retraite et Épargne salariale : les initiatives d'entreprise, juillet 2000.

Auteur

  • F. C.

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