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Un marché qui suscite des appétits

Dossier | publié le : 01.12.2000 | L. C.

Assureurs et institutions de prévoyance (IP) entendent bien investir le marché naissant de l'épargne salariale. Les alliances se tissent aujourd'hui sans tabou. Dans ces multiples tractations qui agitent le secteur, les institutions de prévoyance sont d'autant plus courtisées qu'elles sont indirectement avantagées par la loi.

De rapport en rapport, la cause semblait entendue : les salariés pourraient bénéficier dans l'avenir d'un système de retraite par capitalisation. Après la défunte loi Thomas visant à instaurer les fonds de pension, Dominique Strauss-Kahn a prôné un système « plus collectif, plus solidaire, plus centré sur la retraite ». Et aujourd'hui, avec Laurent Fabius, c'est finalement l'épargne salariale qui rafle la mise. « Trois ans après l'annonce de l'abrogation de la loi Thomas, la retraite est totalement absente du projet de loi », déplore André Renaudin, délégué général adjoint de la Fédération française des sociétés d'assurances.

Les assureurs loupent encore le coche

Pour les assureurs, il ne restait comme perspective que la possibilité de sortie en rente viagère évoquée pour les plans partenariaux d'épargne salariale volontaire (PPESV). Car eux seuls savent gérer le risque viager. Mais, là encore, de rente viagère, il n'est actuellement plus question. L'Assemblée nationale l'a reléguée aux oubliettes, lors de la première lecture du texte, la remplaçant par une sortie en rente fractionnée. La différence ? Énorme pour les assureurs, puisque le versement d'un capital fractionné n'exige aucune expertise particulière.

Quelle place vont donc occuper les acteurs traditionnels de la protection sociale d'entreprise dans les nouveaux dispositifs d'épargne salariale ? « Pour la retraite des salariés, c'est une nouvelle occasion manquée », regrette André Renaudin. Du coup, pour les assureurs aussi. Mais, sur le terrain, ils ne l'entendent pas de cette oreille. Et comptent bien se positionner pour ne pas laisser échapper ce nouveau marché. Car si le gouvernement a crié haut et fort qu'il ne s'agissait en rien d'un dispositif de retraite, il n'empêche que les plans partenariaux d'épargne salariale volontaire sont la seule nouveauté prévisible, à l'horizon de deux ans. C'est-à-dire jusqu'aux élections législatives et présidentielle. Laurent Fabius a en effet pris soin de rappeler que le gouvernement actuel n'entendait pas créer de régime de retraite par capitalisation. La préférence de l'équipe Jospin allant à la consolidation de l'existant avec une alimentation de plus en plus large du fonds de réserve, chargé de soutenir les régimes de retraite de base par répartition.

Les sociétés d'épargne sur le pied de guerre

À proprement parler, l'épargne salariale n'est pas un nouveau marché. Elle existe depuis longtemps et ne totalise pour le moment qu'un score modeste, avec près de 400 milliards de francs en stock. Pourtant, bien avant la mise en place du plan d'épargne à long terme (PPESV) et surtout celle du plan d'épargne interentreprises (PEI), qui vont sensiblement ouvrir le marché, les sociétés d'épargne salariale, grandes bénéficiaires des nouveaux textes, ont mis les bouchées doubles. Toutes sont sur le pied de guerre. Chez Axa Gestion Intéressement, la réponse est venue d'outre-Atlantique. « Nous sommes allés voir nos confrères américains et la similitude entre leurs fameux dispositifs “401K” et notre épargne salariale nous a frappés », raconte Éric Franc, directeur général.

Jugés poussiéreux il y a quelques années, les 401K sont aujourd'hui sur le devant de la scène. « C'est incontestablement l'un des produits d'épargne collective les plus attractifs », poursuit Éric Franc. Et les Français de ramener des États-Unis les recettes du succès de ce produit. À savoir une excellente communication avec le client. La société française a ainsi mis en place une super-plate-forme de gestion téléphonique qui répond à la fois aux questions des entreprises et à celles des salariés. Toutes les grosses sociétés d'épargne salariale s'apprêtent, quand elles ne l'ont pas encore fait, à mettre à la disposition de leurs clients des sites Internet transactionnels où le salarié pourra notamment consulter son compte, mais aussi réaliser ses opérations courantes (dépôt d'argent, transfert de l'épargne d'un support financier à un autre, etc.).

Bref, les sociétés d'épargne salariale occupent le terrain. Sur les dix plus importantes, huit appartiennent à des groupes bancaires, les deux restantes étant pour l'une l'émanation d'un assureur (Axa), pour l'autre celle d'une institution de prévoyance (le groupe CRI, avec Inter Expansion).

Tapis rouge pour les institutions de prévoyance

Mais les acteurs traditionnels de la protection sociale complémentaire, les assureurs et les institutions de prévoyance, n'ont aucune intention de laisser le champ libre aux banquiers. Pour les IP, la loi en cours de discussion est même une véritable aubaine. L'exposé des motifs de cette loi est clair : « Les différentes formes d'épargne salariale ne concernent aujourd'hui qu'un salarié sur trois. L'extension de ces dispositifs nécessite que les partenaires sociaux se saisissent de ces sujets à la fois au niveau de l'entreprise et au niveau des branches. » Un tapis rouge pour les IP ! La loi prévoit en effet d'étendre l'obligation annuelle de négocier dans l'entreprise aux questions relatives à l'épargne salariale.

Or, dès qu'il s'agit d'accords d'entreprise ou de branche, « les institutions de prévoyance sont les partenaires naturelles des entreprises », se félicite le délégué général du groupe AG2R, Jean-Louis de Mourgues. C'est encore plus criant pour les branches professionnelles. Les IP y sont indétrônables. Quand une branche décide de doter les entreprises du secteur d'une couverture en prévoyance, l'organisme assureur est souvent désigné dans l'accord. Et, dans près de 95 % des cas, ce sont les institutions de prévoyance qui en bénéficient. Il leur suffit maintenant de proposer à ces mêmes branches leurs services en matière d'épargne salariale, et le tour est joué ! C'est bien ce que compte faire le champion de la clause de désignation, l'AG2R. « Nos contacts naturels vont pouvoir se concrétiser à nouveau sur le thème de l'épargne salariale », observe Jean-Louis de Mourgues. Idem pour le groupe CRI et pour les autres…

Du coup, les institutions de prévoyance sont convoitées de toutes parts. Les sociétés d'épargne salariale se les arrachent ! Et la complémentarité joue à plein. Les IP apportent leur savoir-faire en matière de négociation sociale et les sociétés d'épargne salariale mettent à disposition leur professionnalisme en matière de gestion financière. Si ces partenariats ont été largement remis à l'ordre du jour avec le vote de la loi Fabius, certains avaient déjà pris les devants. Curieusement, c'était la loi Thomas sur les fonds de pension qui, à l'époque, avait lancé la machine. Ne sachant pas à quelle sauce ils allaient être mangés, les acteurs de la protection sociale s'étaient naturellement rapprochés. La loi Thomas tombée dans l'oubli, les partenariats ne sont pas morts pour autant. Les organismes en ont profité pour mettre en place leur fameuse « offre globale », proposant à la fois de la retraite surcomplémentaire et de l'épargne salariale aux entreprises. L'AG2R a un accord de distribution avec les Banque populaire ; Médéric et Malakoff ont pris des parts significatives dans le capital du spécialiste de l'épargne salariale Élysées Fonds, etc.

Aujourd'hui les tractations ont repris de plus belle. Ce qui fait dire à Patrick Warin, directeur des assurances collectives aux AGF, qu'« il n'y a absolument plus de tabou dans les alliances ». Assureurs, IP, sociétés d'épargne salariale, tous cherchent une solution fiable et économique pour s'engouffrer dans la brèche ouverte par Laurent Fabius. Créer une structure d'épargne salariale de toutes pièces ? Il n'en est question pour personne, tant l'activité est coûteuse. Pour les nouveaux arrivants en tout cas. Les 10 sociétés placées en tête des classements en épargne salariale raflent à elles seules plus de 90 % du marché. Difficile, dans ces conditions, de s'y faire une place. D'autant que pour être rentable, cette activité doit s'exercer sur d'énormes flux.

L'épargne salariale génère en effet une gestion administrative des plus lourdes. Seule l'expertise financière est véritablement rémunératrice. Or une société créée de toutes pièces, surtout par une institution de prévoyance, devrait nécessairement trouver un partenaire financier et perdrait de ce fait la rémunération attachée à cette activité. C'est déjà cet argument qui a motivé la prise de participation de Médéric et Malakoff dans le capital d'Élysées Fonds (CCF). Un investissement qui a permis aux deux institutions de prévoyance de se hisser dans les cinq premières places du classement de l'épargne salariale. La donne est la même à présent. Si Internet va certainement faire fondre les coûts de gestion administrative, aucun acteur, sauf peut-être les AGF, n'a envie de tenter l'expérience en solitaire.

Partenariat commercial ou filiale commune, tout le monde cherche de l'alliance idéale

Reste donc, une fois encore, la solution des partenariats. Tout le monde n'a pas encore trouvé l'alliance idéale. Le groupe de protection sociale Apri travaille actuellement sur deux pistes : créer une structure ad hoc avec d'autres institutions de prévoyance, ou bien une filiale avec une société d'épargne salariale déjà bien présente sur le marché. L'AG2R, en revanche, est fin prête : ce sera une nouvelle structure à 50-50 avec son partenaire habituel, les Banque populaire (le numéro un en épargne salariale). Et, comme cadeau de mariage, toutes les affaires réalisées depuis trois ans dans le cadre de leur partenariat tomberont dans l'escarcelle de la nouvelle société, soit près de 600 millions de francs. L'évolution d'anciens partenariats commerciaux vers des prises de participation dans des structures capitalistiques communes n'a rien d'étonnant. Patrick Warin (AGF) y songe également. « Cela permet de participer à la vie de la société, de mieux maîtriser son marketing et de fabriquer des produits plus adaptés à nos modes de distribution (agents généraux et courtiers) », précise-t-il.

D'autres n'ont pas ce genre de soucis. Axa, par exemple, dispose dans son groupe d'une des plus grosses sociétés d'épargne salariale. « La collaboration entre les deux structures existe déjà depuis plusieurs années », explique Rémi Grenier, directeur des assurances collectives. Elle est encore plus soutenue depuis la fin du premier trimestre 2000 : Axa propose une offre simultanée en retraite et en épargne salariale distribuée par ses courtiers. Pas de problème non plus pour le groupe CRI avec sa filiale Inter Expansion. À ce détail près que, s'agissant d'un groupe paritaire, il cumule tous les avantages : excellent positionnement en matière d'épargne salariale (il se classe dans les dix premiers) et parfaite connaissance des rouages des négociations collectives. Sans compter que « l'approche régionale en direction des PME existe de longue date », précise Martine Teissières, directrice technique du groupe CRI. Certains supports de placement (les fonds communs de placement d'entreprise, ou FCPE) ont été créés pour plusieurs entreprises d'une même région. Elles versent toutes les primes de participation dans un seul et unique support financier. Actuellement, sept fonds de ce type existent réunissant chacun une cinquantaine d'entreprises. Du pain bénit avec l'avènement prochain des plans d'épargne interentreprises !

« Dès les décrets d'application, nous pourrons rassembler cette communauté liée par un même support financier dans un véritable cadre juridique, celui du PEI », poursuit Martine Teissières. Sans compter qu'un accord régional interprofessionnel en bonne et due forme a été signé dans le Languedoc-Roussillon par les partenaires sociaux d'une soixantaine d'entreprises. Décidément, sur l'épargne salariale, les institutions de prévoyance pourraient bien créer la surprise !

Le plan d'épargne interentreprises existe déjà… dans le bâtiment

Qu'est-ce qui a inspiré les promoteurs du nouveau projet de loi sur l'épargne salariale ? Peut-être bien PRO BTP.

La profession du bâtiment et des travaux publics dispose en effet depuis 1970 d'un accord de branche concernant la participation, annexé à la convention collective du secteur. Principale raison de sa mise en place : la forte mobilité dans ce secteur professionnel. « Cet accord offre un certain nombre de facilités en termes de transfert de l'épargne salariale d'une entreprise à une autre, commente Dominique de Saivre, directeur général de BTP Gestion. À l'époque, même la CGT l'avait signé. » C'est dire si, sur ce point, le consensus était grand ! Aujourd'hui, cette convention de branche (qui reste facultative pour les entreprises) couvre 680 000 salariés pour un montant d'épargne de 3 milliards de francs. La profession profite des services de sa propre structure de gestion financière (Said Gestion) et de sa société d'épargne salariale, BTP Gestion, qui coordonne et met l'accord en œuvre. La gestion administrative est assurée par les institutions de prévoyance du bâtiment et des travaux publics, que regroupe PRO BTP.

Et, bien sûr, tout cela fonctionne sur le mode paritaire.

Ces structures sont-elles aujourd'hui prêtes à prendre le nouveau virage de l'épargne salariale ? « Assurément, répond Dominique de Saivre. Pour nous, la nouvelle donne n'implique pas de gros chantier de mise en conformité. Nous avons créé quelque chose d'intelligent il y a trente ans, qui reste parfaitement adapté à ce qui va se passer demain. »

Depuis, en effet, les synergies avec les institutions de prévoyance du groupe ont été mises à profit. Cela fait trois ans que la société d'épargne salariale utilise le réseau de distribution de PRO BTP. Lequel a été formé et est aujourd'hui parfaitement opérationnel. Bref, la profession du bâtiment et des travaux publics a pris quelques longueurs d'avance sur le dossier de l'épargne salariale. Une chance, compte tenu de ses développements à venir !

Auteur

  • L. C.