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Le big data, entre espoir et perplexité

Dossier | publié le : 03.02.2016 | Florence Puybareau

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Le big data, entre espoir et perplexité

Crédit photo Florence Puybareau

Les experts le répètent sans cesse : le big data est appelé à tenir une place majeure dans les processus RH. Mais pour les professionnels, le sujet reste très conceptuel. Ils peinent à analyser les besoins et les compétences.

Depuis quelques mois, les prises de parole se multiplient à propos de la place du big data dans les ressources humaines. Après le marketing, la relation clients et la finance, il semble en effet que les RH soient le prochain eldorado des spécialistes des données massives. Mais de quoi parle-t-on exactement ? Et que se passe-t-il réellement dans les entreprises en France ? Le big data est la conjonction de trois éléments, les trois « V », tels qu’ils ont été définis par des grands cabinets de conseil américains. Le volume, tout d’abord, puisqu’il s’agit d’analyser de très grosses masses de données. La vitesse, ensuite, car le traitement est quasi instantané, voire en temps réel. La variété, enfin, les données étant issues de l’entreprise ou exogènes, structurées (fichiers textes, tableaux…) ou non (tweets, légendes photo…).

Certes, les entreprises sont depuis longtemps habituées à traiter de grosses masses de données. Mais la multiplication des terminaux et l’arrivée sur le marché de nouveaux outils technologiques (algorithmes, solutions de cloud computing…) permettant de mieux stocker, analyser et réutiliser ces données ont ouvert des perspectives. Objectif ? Réaliser des analyses prédictives afin de mieux connaître un secteur d’activité, ses clients, ses risques financiers. Mais également mieux recruter, gérer la masse salariale, fidéliser, limiter l’absentéisme ou réduire les dangers pour la santé. Les entreprises possèdent en effet énormément d’informations sur leurs salariés avant même leur embauche (via leur CV ou leur empreinte sur les réseaux sociaux). Mais aussi tout au long de leur parcours. Les entretiens annuels d’évaluation ou de développement professionnel, les formations suivies, les congés ou les arrêts maladie pris, la participation aux activités de l’entreprise (syndicales, sportives, réseaux sociaux…) constituent autant d’éléments qui, analysés de manière pertinente, permettent de mieux comprendre le collaborateur, ses comportements, ses besoins, ses attentes. Voire ses déceptions professionnelles.

Peu de projets en France

De même, dans les processus d’embauche, les CV et les lettres de motivation ne représentent plus les seuls éléments sur lesquels s’appuient les recruteurs. Les réseaux sociaux sont de plus en plus explorés. Mais, là aussi, difficile d’exploiter la masse d’informations qu’ils génèrent sans des outils à même d’aider à trier les profils et à trouver le candidat idoine. Les sociétés comme LinkedIn, Viadeo, Facebook mais aussi les grands job boards tels Monster font d’ailleurs partie de ces pionniers qui utilisent la puissance des algorithmes pour analyser les profils et faire remonter aux entreprises clientes les professionnels pouvant le mieux correspondre à leurs besoins.

Mais, globalement, peu d’organisations sont aujourd’hui engagées dans ces chantiers. « Ce n’est pas encore une réalité opérationnelle en France », souligne Thomas Chardin, directeur-conseil de Parlons RH. Même constat de Jean-Christophe Anna, consultant et spécialiste du digital RH et du big data. Organisateur, en octobre dernier, de la RMS conférence, un événement dédié à ces thématiques, il s’est aperçu que les sujets portant sur le big data n’avaient pas rempli les salles. « Les recruteurs et les DRH ont préféré aller écouter les exposés sur des cas concrets qui traitaient des réseaux sociaux ou des outils de recrutement sur mobile. Pour le moment, le big data est un univers encore éloigné de leurs préoccupations. »

La France n’est pas un cas unique. Selon une étude internationale du cabinet Deloitte, seulement 10 % des entreprises sont aujourd’hui parvenues au stade de l’analyse stratégique de leurs données. Citant une autre étude réalisée en Asie, le spécialiste de l’intérim Manpower souligne que 76 % des professionnels des ressources humaines sur le continent asiatique ne voient pas à quoi pourrait bien leur servir le big data… Plusieurs raisons à cela. Après avoir géré l’intégration des systèmes d’information RH, les DRH doivent à présent accompagner la transformation numérique de leur entreprise. Cela passe d’abord par la visibilité sur les réseaux sociaux, le développement de la marque employeur, la gestion de l’utilisation des outils mobiles. Par ailleurs, s’ils en comprennent les enjeux, les services RH peinent à savoir pourquoi, avec qui et comment déployer ces programmes.

Une vision à définir

Une attitude parfaitement compréhensible car de nombreux projets big data échouent par manque de véritable finalité. Avoir beaucoup de données à sa disposition est en effet une chose, les utiliser pour un objectif opérationnel précis en est une autre. Recourir au big data nécessite donc d’avoir une vision claire. D’où l’utilité de mettre en œuvre une démarche de type POC (proof of concept, voir l’encadré). Ce qui réclame beaucoup de travail pour trier les données des collaborateurs, les rationaliser et les utiliser dans la prise de décision. « Beaucoup d’entreprises n’ont pas encore décidé de se lancer dans la course au big data car les transformations nécessaires requièrent d’importants investissements, en termes tant techniques qu’humains. Deux composantes complètement interdépendantes : de véritables compétences humaines sont indispensables pour définir la stratégie, l’architecture et les technologies data puis pour faire parler toutes ces données, » explique Emmanuelle Ottavi, directrice exécutive de la division sales, marketing et digital du cabinet de recrutement Fyte.

Autre écueil de taille, la problématique de l’utilisation des données dans un pays où ces sujets sont strictement surveillés par la Commission nationale informatique et libertés (Cnil). « Nous réfléchissons au big data pour toutes nos directions opérationnelles. La démarche nous paraît intéressante mais nous devons être vigilants sur ces technologies, notamment dans le cadre de l’utilisation des données personnelles », confirme Muriel Nicou, responsable du recrutement d’Axa France. Une entreprise pourtant très engagée dans la transformation digitale.

Avec l’aide d’une start-up, Orange a déployé un module pour son site Carrière permettant de visualiser les salariés en fonction de leurs études. Les informations sont récupérées sur les profils publics LinkedIn et Viadeo des collaborateurs du groupe, sachant que plus de 80 000 y sont inscrits. L’objectif ? Fournir aux candidats des informations sur les opportunités de carrière chez Orange en fonction du diplôme préparé. Destiné à l’externe, le module a également été testé auprès de 10 000 salariés, avec quelques surprises : « 10 % des collaborateurs, ce qui est un chiffre significatif, ont été gênés de voir qu’en concaténant des données publiques sur les plates-formes professionnelles il était possible de sortir ce genre d’informations », confie Éric Barilland, le directeur image employeur et campus management de l’opérateur téléphonique. Une expérience qui amène l’entreprise à réfléchir sur ses projets à destination de l’interne.

Des DRH valorisés

Pourtant, malgré les réticences, voire les appréhensions, les premiers résultats s’annoncent prometteurs. « Ces projets sont très importants pour les DRH car ils changent notre positionnement vis-à-vis des directions d’entreprise. Nous venons au board avec des données plus cohérentes et plus performantes pour aider les dirigeants dans leurs décisions », explique An Rycek, qui s’est occupée du projet big data RH chez Cisco. Elle a créé des groupes de travail en interne pour plancher sur ces sujets et n’hésite pas à échanger avec d’autres entreprises pour faire remonter les bonnes pratiques.

Par exemple avec Alstom Grid, précurseur dans ce domaine. « Ce n’est pas forcément compliqué, cela demande un peu de rigueur. Il faut nettoyer les données, comprendre ce que l’on a dans la base, savoir ce que l’on veut faire et les visualiser », explique Rodolphe Guérin, qui a piloté ce chantier jusqu’en octobre, avant de rejoindre GE Energy Management. Alstom Grid a mis en place une démarche POC, avec une équipe réduite de deux personnes, lui permettant de visualiser en quelques secondes l’état des effectifs dans l’ensemble des filiales mondiales.

Si les projets sont encore marginaux, tous les experts s’accordent à dire que le big data dans les RH devrait monter en puissance. « Cela prendra plusieurs années pour émerger, avec d’abord quelques pionniers qui vont montrer l’exemple », pronostique Jean-Christophe Anna. Mais le jeune consultant est plutôt confiant. « Les DRH ont un rôle pivot essentiel dans la vie du salarié, du début à la fin de la carrière », assure-t-il. Aux professionnels des RH de se saisir du sujet, sans appréhension, pour parfaire leur connaissance et leur culture.

Des outils et de la méthode

Si le recours au big data dans les RH est émergent, il y a déjà plusieurs années que les entreprises utilisent des solutions d’analyse décisionnelle pour les aider à gérer la masse salariale. « Cela a permis d’avoir des indicateurs, des tendances.

En croisant les données, on peut par exemple comprendre les taux d’absentéisme dans certaines équipes ou sur certains équipements. Il est également possible de faire ressortir les besoins en formations et de vérifier si ces dernières ont été profitables », note Benoit Souvignet, responsable des solutions RH chez Sage.

Autre outil très en vogue dans les grands groupes : les ATS (applicant tracking systems). Des systèmes de gestion automatisée des candidatures qui permettent de mieux cerner les profils et de faire baisser les coûts de recrutement. Enfin, l’utilisation des réseaux sociaux comme LinkedIn, Viadeo, Google +, Twitter ou Facebook, qui s’appuient eux-mêmes sur le big data, donne une première approche des possibilités offertes par l’exploitation des données massives.

Projet pilote

La réussite d’un projet big data est d’abord une affaire de bon sens. Quelle est la finalité ? Que veut faire l’entreprise de ces masses de données ? Ces questions nécessitent de mettre en œuvre une démarche de type proof of concept (preuve de concept, ou POC). Il s’agit en fait d’un pilote, dont l’entreprise va analyser les résultats avant toute décision de déployer un programme ou d’élargir la démarche à toutes les données disponibles. Engie, Alstom Grid, Tata… Plusieurs entreprises ont adopté cette méthode qui a l’avantage de limiter les investissements (Alstom Grid n’a fait travailler que deux personnes) et permet de valider la méthodologie et le chantier organisationnel.

Néanmoins, le POC nécessite du temps (trois mois au moins) pour accomplir l’ensemble des étapes et réaliser les investissements technologiques.

Auteur

  • Florence Puybareau