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Décodages

Myriam El Khomri, experte du terrain, apprentie du Travail

Décodages | publié le : 03.02.2016 | Emmanuelle Souffi

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Myriam El Khomri, experte du terrain, apprentie du Travail

Crédit photo Emmanuelle Souffi

La ministre du Travail prépare la dernière grande réforme sociale du quinquennat. Très à l’aise en déplacement, elle peine à convaincre sur le fond des dossiers. Faute de maîtriser encore les sujets.

Téléphone à la main, les jeunes l’entourent comme une rock star. En cet après-midi de janvier, Myriam El Khomri visite l’Établissement pour l’insertion dans l’emploi de Val-de-Reuil. Elle connaît bien cette ville nouvelle de l’Eure, née au milieu de nulle part dans les années 1970. Elle s’y est déjà rendue à quatre reprises. La dernière fois, c’était quelques heures après l’attentat à Charlie Hebdo.

Les selfies s’enchaînent. La jeune ministre ne regarde pas l’heure ni ne se départit de son sourire. Ses prédécesseurs, Michel Sapin et François Rebsamen, n’ont pas connu pareil succès. Entre les barres d’immeubles, la benjamine du gouvernement est dans son élément.

Son arrivée Rue de Grenelle, en septembre, a pris tout le monde de court. Notamment les partenaires sociaux, qui ont vu débarquer une inconnue, plus au fait des politiques de la Ville que des subtilités du Code du travail. Jean-Claude Mailly, patron de FO, a dû taper son nom dans Google pour voir à qui il aurait affaire. Si François Hollande, qu’elle ne connaît que depuis 2014, a pensé à elle, c’est justement pour ce côté « terrain ». Cette fraîcheur et cette spontanéité qui tranchent. Pour renouer les liens avec les classes populaires, la protégée de Delanoë, franco-marocaine née d’un père commerçant et d’une mère prof d’anglais, sera son porte-drapeau. « Elle n’a pas oublié d’où elle venait, commente Marc-Antoine Jamet, maire PS de Val-de-Reuil. La précarité, elle n’en parle pas hors-sol. » Celle qui se rêvait comédienne ou écrivaine aurait fait une excellente journaliste. Elle sait briser la glace, inspire confiance. La proximité est sa marque de fabrique, l’empirisme sa doctrine.

Les élus locaux l’adorent. Les partenaires sociaux saluent sa force de travail. « Trois semaines après sa prise de poste, elle était rentrée dans les dossiers, relève Jean-Claude Mailly. Elle a du tempérament et n’entend pas se laisser déposséder. » Sous-entendu par Emmanuel Macron, le médiatique ministre de l’Économie, avec qui elle jure s’entendre très bien. « Michel Sapin était de passage, François Rebsamen avait un côté ravi de la crèche. El Khomri, au moins, bosse et apprend vite. Mais elle incarne l’idéologie socialiste », tempère un négociateur patronal.

Du concret d’abord

Pour comprendre les enjeux de son ministère, Myriam El Khomri applique la même méthode qu’au secrétariat d’État à la Ville, où elle avait fait 133 déplacements en moins d’un an : le terrain. « Elle se forge davantage une opinion par des cas pratiques que par des notes de synthèse ou des ouvrages sociologiques. Elle n’est pas dans l’intellect », observe une ancienne collaboratrice. Régulièrement, cette mère de deux petites filles organise des dîners avec de jeunes DRH, avocats en droit du travail, chefs d’entreprise, syndicalistes. Pour elle, le Travail, c’est du concret. « La phase de dialogue est essentielle, mais c’est sur les territoires qu’on perçoit les blocages, la capacité de création et d’innovation de notre pays. C’est ici qu’il faut construire un écosystème vertueux répondant aux besoins des entreprises, des salariés et des demandeurs d’emploi. Aller à leur rencontre, ça n’est pas pour faire de la communication », assure la ministre.

Les lundis et vendredis, au moins, cette membre du PS depuis 2002 quitte donc les ors de son bureau. Le 24 décembre, c’est dans les locaux de l’entreprise d’insertion Farinez’vous qu’elle commentait les chiffres du chômage. Le 11 janvier, alors qu’elle enchaîne les rendez-vous sur le plan pour l’emploi, elle s’offre une sortie très médiatisée dans un centre de formation en Seine-Saint-Denis au côté d’Emmanuel Macron. Une savante mise en scène pour montrer la détermination du gouvernement à relancer l’apprentissage.

Voix légèrement éraillée, diction parfaite grâce à cinq années de cours de théâtre qu’elle a financées en travaillant, cette pragmatique a fait ses classes dans le XVIIIe auprès du baron socialiste Daniel Vaillant. « Ici, vu la diversité des quartiers, on apprend plus vite qu’ailleurs, clame Pierre-Yves Bournazel, élu Les Républicains de l’arrondissement. Elle n’était pas dans des écuries, ce qui compte pour elle, c’est de comprendre sans manichéisme. » Ce proche de Valérie Pécresse lui a envoyé un texto de félicitations le jour de sa nomination. Auquel elle a répondu avec chaleur. La preuve que les clivages politiques ne l’intéressent pas. Dogmatique, elle ne l’est pas davantage avec les partenaires sociaux. « Elle ne traite pas de manière différenciée les syndicats », approuve le leader de FO.

Le piège du terrain

Cette posture tranche avec celle de ses prédécesseurs, qui avaient fait de la CFDT leur interlocuteur privilégié. Peut-être parce qu’elle ne connaissait pas les acteurs sociaux avant… Une lacune que n’ont pas manqué de railler ses détracteurs. Qui se sont aussi amusés de sa bourde sur les CDD lors d’une interview avec Jean-Jacques Bourdin sur la radio RMC. Naïveté, impréparation ? C’est en tout cas la grosse limite de la méthode El Khomri. « Ça n’est pas en visitant les agences de Pôle emploi qu’on comprend tout à la politique de l’emploi ! Serrer des mains, les gens ont l’habitude, ils savent que ça ne sert à rien. Le terrain, c’est son piège », épingle une ancienne proche.

Pour compenser son manque d’expertise, la ministre a conservé auprès d’elle Pierre-André Imbert, le directeur de cabinet de François Rebsamen qui officiait déjà sous Michel Sapin. Mais aussi Bethânia Gaschet, son adjointe chargée du travail et du dialogue social. Deux têtes bien faites qui ont la confiance des partenaires sociaux. À côté, cette affective a fait venir sa « tribu »: Loïc Turpin, son chef de cabinet, qu’elle a connu dans le XVIIIe ; Jeanne Guesdon, qui la suit depuis son poste d’adjointe à la mairie de Paris. Tous deux gèrent ses déplacements. Nadjet Boubekeur, qui s’occupait déjà de la communication à la Ville, fait de même aujourd’hui. Yann Gérard, chef adjoint de cabinet, était son conseiller pour la politique interministérielle. Ex-conseillère pour le développement et la cohésion sociale, Annabelle Barral-Guilbert est désormais chargée de mission. Enfin, Pierre Jacquemain, proche de Bruno Julliard (premier adjoint PS à la mairie de Paris), l’épaule sur la stratégie.

Avec eux, elle peut trinquer en fin de journée ou sortir Thermos et sandwichs sur une aire d’autoroute. Mais cet attelage aux cultures parfois opposées peine à définir une ligne. « Son talon d’Achille, c’est la bande de copains, l’entourage parisien. Ils la rassurent sur l’hyperlocal, mais quand vous épuisez un cabinet avec les déplacements, les dossiers de fond ne sont pas traités », prévient un ancien collaborateur. Tétanisée par la peur de commettre une bévue, cette bonne élève construit son discours autour de quelques chiffres et idées clés – toujours les mêmes – qu’elle assène. Au risque de paraître creuse.

En face, son administration se sent un peu isolée. Même si la ministre organise des conférences téléphoniques mensuelles avec les Direccte et les préfets sur la situation de l’emploi. « Elle est toujours très incisive, elle ne fait pas de la figuration », assure l’un des participants. À la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle, laissée sans chef pendant trois mois, certains sont restés sur leur faim quand elle est venue se présenter au comité de direction. « Elle n’a fixé aucune priorité, aucun programme. Et, surtout, elle n’a pas dit ce qu’elle attendait de son administration », regrette un membre. Dans les couloirs de la Direction générale du travail (DGT), on s’interroge aussi sur ses motivations, l’orientation qu’elle souhaiterait donner au projet de loi sur le Code du travail. Fin du principe de faveur ? Inversion de la hiérarchie des normes ? Les concepts juridiques ne lui parlent guère. Elle fait confiance à son cabinet et à la DGT pour mettre le curseur là où il faut… en respectant les consignes de Matignon.

Pourtant, le cap est clair. « Faire reculer massivement le chômage en ayant une attention particulière pour les plus fragiles. Et construire le modèle social du xxie siècle en assurant mieux les transitions professionnelles face aux enjeux du numérique », clame-t-elle. À Noël, elle a épluché les débats parlementaires des lois Macron et Rebsamen. Son baptême du feu aura lieu le 9 mars, lors de la présentation de son projet de loi en Conseil des ministres. Puis devant les parlementaires. Face aux frondeurs et à l’opposition qui ne manqueront pas de sortir les couteaux, sa seule bonne volonté ne suffira pas à lui donner l’assise nécessaire pour faire adopter la dernière grande réforme sociale du quinquennat.

Myriam El Khomri

2001

DESS en droit public, stage à la Délégation interministérielle à la ville avec Claude Bartolone.

2008

Conseillère déléguée du 18e arrondissement de Paris.

2011

Adjointe au maire de Paris, chargée de la sécurité et de la prévention.

2014

Secrétaire d’État à la Politique de la ville.

Auteur

  • Emmanuelle Souffi