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Gérer les saisonniers, une discipline technique

Décodages | publié le : 03.02.2016 | Rozenn Le Saint

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Gérer les saisonniers, une discipline technique

Crédit photo Rozenn Le Saint

Les professionnels de la montagne peinent à trouver des salariés qualifiés pour la saison de ski. Il leur faut imaginer des solutions pour recruter, héberger, former ou fidéliser leurs saisonniers. Dans certaines stations des Alpes, on s’organise.

Chaque année, la montagne embauche 120 000 saisonniers, l’équivalent de l’ensemble des salariés du groupe Michelin dans le monde. Sauf que les employeurs – l’hôtellerie-restauration, d’abord, mais aussi les loueurs de skis, les supérettes – disposent rarement d’un service RH. Ces petites structures, qui offrent des conditions de travail difficiles, sont celles qui ont le plus besoin d’aide pour recruter du personnel qualifié, venu de toute la France, voire du monde. Rien à voir avec l’autre caste des saisonniers : les locaux, qui travaillent en priorité dans les remontées mécaniques. Celles-ci emploient, selon Domaines skiables de France, qui regroupe les employeurs du secteur, 22 000 salariés, dont 18 000 saisonniers, qu’elles ont réussi à fidéliser. Exemples de solutions déployées dans trois stations prestigieuses des Alpes – Serre-Chevalier, les Deux-Alpes, l’Alpe-d’Huez – pour relever les enjeux RH.

1 Recruter à tout prix, en france ou ailleurs

Recruter des saisonniers qualifiés, en premier lieu des cuisiniers, est une vraie galère pour les restaurateurs alpins. Mais aux Deux-Alpes, ceux-ci ne sont pas les plus mal lotis. Ils peuvent compter sur l’efficacité de la Maison des saisonniers, installée dans une annexe de la mairie, au même étage que les bureaux de la responsable locale de Pôle emploi. L’organisme fait de son mieux pour aider les petits patrons en organisant un forum de l’emploi et de la formation ainsi qu’un job dating en fin de saison. Le tout pour un budget de fonctionnement de 200 000 euros qui incombe à la communauté de communes de l’Oisans. Indispensable. « À l’automne, on n’arrive pas à contacter les anciens employeurs des candidats pour s’assurer de leur valeur. Car il n’y a personne dans les établissements de la côte où ils travaillent l’été », témoigne une hôtelière. C’est via le forum de l’emploi que Cyril Audéoud a trouvé l’essentiel de ses 20 recrues chargées de faire tourner ses deux magasins de location de skis. « Des franchises, comme sept boutiques sur dix, qui ont toutes leur propre façon de manager », indique-t-il. Ancien étudiant du CNPC, l’école supérieure de commerce du sport, il mise en revanche sur l’alternance pour recruter ses conseillers techniciens ski, un personnel bien spécifique qui a appris en BEP ou CAP à faire les essayages, régler le matériel et réparer les skis.

Des moyens de recrutement classiques qui ne suffisent pas toujours. À l’hôtel trois-étoiles Souleil’or des Deux-Alpes, les cinq femmes de chambre, tout sourire, saluent les clients avec un petit accent venu de l’Est. Tous les hivers, elles quittent la Roumanie en voiture pour un long périple de 1 700 kilomètres. Pendant cinq mois elles laissent mari et enfants pour rapporter de quoi nourrir la famille le reste de l’année. « On ne trouve pas de personnel compétent sur place, alors on est obligé de faire appel à des étrangères, explique Sylvie Fabre, la patronne. Nous passons par une société roumaine, Marcla Select, qui s’engage à les remplacer si elles ne font pas l’affaire. C’est une sacrée garantie mais elles sont toutes très bien. » Des femmes de chambre ayant le statut de détachées, qui lui coûtent deux fois moins cher que des salariées françaises.

Autre technique, celle du Club Méditerranée, qui dispose de 19 villages dans les Alpes françaises, dont quatre aux Deux-Alpes, l’Alpe-d’Huez et Serre-Chevalier. Pour trouver suffisamment de « GE » – des « gentils employés » dans le langage maison, qui ne comptent ni leurs heures ni leurs efforts –, la direction a formalisé des accords transnationaux à partir de 2004. Cela permet au personnel des clubs de Turquie, du Maroc, de Tunisie, d’Égypte, du Sénégal, de Côte d’Ivoire et de l’île Maurice d’obtenir une carte de travailleur saisonnier migrant valable trois ans, avec le droit de travailler six mois chaque année dans l’Hexagone. Pendant la belle saison, ils exercent dans leur pays d’origine et, l’hiver, migrent dans les stations de ski tricolores où ils sont alors soumis au droit du travail français. « En 2015, ce dispositif a concerné 460 personnes », rapporte Christian Juyaux, le secrétaire CFDT du comité européen de dialogue social du Club Méditerranée. Un accord qu’il a signé, puis promu, pour limiter les risques d’exploitation de ces travailleurs du Sud.

2 Réchauffer les « lits froids »

À Serre-Chevalier, la communauté de communes du Briançonnais consacre chaque année 80 000 euros à sa Maison des saisonniers. Elle l’a implantée en bas de la résidence qui leur est réservée, ouverte en 2009. Une solution d’hébergement salutaire. « Les saisonniers sont payés au Smic, ils ne peuvent pas suivre le prix des logements de la station. Ils bénéficient d’un studio pour environ 400 euros par mois et peuvent demander le soutien de la Maison des saisonniers, notamment pour constituer leur dossier d’aide au logement », indique Jean-Louis Chevalier, vice-président de la communauté de communes, en charge des 4 000 saisonniers de la plus importante station des Alpes du Sud.

Aux Deux-Alpes aussi, le logement reste bien le premier frein à l’embauche des saisonniers, ces véritables « France-trotters », qui gagnent beaucoup trop peu pour se loger aux tarifs exorbitants des vacanciers. La solution ? L’optimisation du parc existant. « Beaucoup de studios construits dans les années 1970 sont aujourd’hui vacants du fait de l’évolution de la demande de la clientèle. Nous avons voulu réutiliser ces « lits froids ». Mais comme les propriétaires sont réticents à les louer aux saisonniers, nous jouons les intermédiaires depuis 2002 », relate Pierre Balme, maire de Vénosc et troisième vice-président de la communauté de communes de l’Oisans.

Les employeurs de la station louent eux-mêmes 500 logements pour dépanner une partie des 3 000 travailleurs de l’hiver de la vallée. « Sans cela, on ne trouve pas de personnel », justifie Sylvie Fabre, qui n’a pas assez des cinq chambres réservées dans son établissement pour héberger ses 15 salariés. « Cela évite aussi la concentration de saisonniers dans un même bâtiment, avec la peur de la fête qui va avec », ajoute Françoise Rivoira, responsable de la Maison des saisonniers des Deux-Alpes. Outil de recrutement et de fidélisation des travailleurs de la neige, l’initiative pousse également à la réhabilitation des logements. Les propriétaires sont incités à les entretenir et entreprennent bien souvent des travaux à l’intersaison. Un cercle vertueux puisqu’il offre du travail aux saisonniers.

3 Former pendant l’intersaison

Former les saisonniers pendant les périodes creuses ? L’idée paraît séduisante. Mais bien peu d’employeurs la mettent en pratique. Normal, ils n’entendent pas miser sur des travailleurs le plus souvent nomades, dont ils risquent de perdre très vite la trace. Néanmoins, de timides initiatives se font jour. Au village de vacances VTF de l’Alpe-d’Huez, par exemple, la DRH incite les animateurs à se former pour devenir responsables d’animation. « C’est un poste sur lequel les recrutements sont difficiles », témoigne Fabienne Dumont, directrice du centre, Le Balcon de l’Alpe, perché à 1 860 mètres d’altitude. La résidence accueille sept apprentis en animation, qui se forment pendant l’intersaison et sont ainsi opérationnels une fois l’hiver venu.

Les services RH des remontées mécaniques sont aussi moteurs pour organiser des sessions avant l’ouverture des pistes. « Les enquêtes de satisfaction montraient des vacanciers très contents de l’accueil réservé par le personnel, mais pas forcément dans les restaurants. C’est dans notre intérêt que les saisonniers de tous les secteurs montent en compétences », commente Caroline Marty, DRH de Val-d’Isère Téléphériques. Des sessions d’apprentissage de l’anglais et d’initiation au russe, de familiarisation avec le patrimoine montagnard et de gestion des conflits avec la clientèle s’y déroulent depuis deux ans. Des primo-saisonniers peuvent également en bénéficier, via le dispositif de préparation opérationnelle à l’emploi collective de Pôle emploi. Sept autres stations l’ont expérimentée.

Les Deux-Alpes aussi s’y sont mises. Faute de mieux : dans l’idéal, les élus de la communauté de communes de l’Oisans préféreraient monter leur propre projet de formation. Une arlésienne depuis une décennie. Nouvellement élu au conseil régional de Rhône-Alpes, son président, Christian Pichoud (DVG), espère que sa voix portera enfin, même s’il fait partie de l’opposition. « Nous souhaitons l’ouverture d’un centre de formation avec des temporalités adaptées au travail saisonnier. Cela permettrait de former les locaux aux métiers très recherchés tels que cuisinier ou plombier », avance-t-il.

4 Sécuriser et fidéliser si possible

Si la neige recouvre actuellement les pistes, elle manquait cruellement à Noël. Du jamais-vu depuis 1999. À l’époque, le personnel des remontées mécaniques s’était mis massivement en grève pour obtenir une durée minimale de la saison de seize semaines, correspondant au plancher nécessaire pour ouvrir des droits aux indemnités chômage. Un acquis qui s’est ajouté à une autre garantie, la reconduction automatique des contrats d’une année à l’autre. Une disposition prévue depuis 1978 dans la convention collective des remontées mécaniques et services des pistes. « Au moins, l’hiver, nous savons de quoi nous allons vivre le lendemain, qu’il neige ou pas », souffle Christian Guérard, représentant CE et CHSCT à la Compagnie des Alpes à « Serre Che ». Ces deux dispositifs font des personnels des remontées mécaniques – en très grande majorité des locaux, contrairement à ceux des restos – les moins précaires de la montagne. Pour preuve, le turnover atteint seulement 5 % à la Compagnie des Alpes. Pour les autres, aucun filet de sécurité. Si la poudreuse vient à manquer, pas la moindre garantie d’emploi. En lieu et place d’un travail acharné, avec rémunération à la clé, ils peuvent se retrouver avec un loyer à payer, mais aucune rentrée financière…

Autre option pour fidéliser les troupes, le recours à la multiactivité. À la Compagnie des Alpes, la direction propose à ses employés de travailler, l’été, dans les parcs d’attractions du groupe. Une possibilité néanmoins peu utilisée. « Vous nous voyez aller jouer les Astérix » interpelle, hilare, Christian Guérard. En montagne, de surcroît, certains télésièges fonctionnent en juillet et en août pour alimenter les activités d’escalade sur glacier, de VTT ou de parapente. Certains en profitent, tel Aurélien Veyret, pisteur secouriste l’hiver, secouriste tout court l’été. « C’est une chance d’avoir sept mois de salaire assurés. Le reste du temps, je travaille par-ci, par-là », raconte ce Parisien d’origine.

Ces solutions, certains saisonniers en hôtellerie-restauration peuvent aussi en bénéficier. Pour peu qu’ils travaillent dans des structures suffisamment grosses pour disposer d’implantations éclatées sur le territoire. À l’image des renforts hivernaux des villages de vacances VTF, qui se voient proposer de faire, l’été, la saison sur la Côte d’Azur. Une bisaisonnalité choisie par la moitié du personnel du Balcon de l’Alpe. Pour les autres travailleurs de la neige, les plus nombreux, la fidélisation reste à inventer. Eux vont et viennent au gré des opportunités.

Auteur

  • Rozenn Le Saint