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Comment les patrons des patrons font chez eux

Décodages | publié le : 03.02.2016 | Manuel Jardinaud

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Comment les patrons des patrons font chez eux

Crédit photo Manuel Jardinaud

Dans leur propre entreprise, les dirigeants des organisations patronales cultivent des relations sociales très consensuelles. Fort éloignées parfois de leurs discours.

Leurs visages et leurs voix incarnent le patronat. Ils parlent devant les micros et les caméras, rencontrent les responsables politiques, croisent le fer avec les leaders syndicaux. Au nom des dirigeants qu’ils représentent, ils sont amenés à prendre des positions tranchées, parfois excessives, pour se faire entendre des pouvoirs publics. Mais chez eux, dans leur entreprise, quel type de relations sociales mettent-ils en œuvre ? Sont-ils fidèles à leurs discours ou gèrent-ils leurs troupes autrement, avec pragmatisme ?

Pour le savoir, nous avons ausculté les sociétés de quatre grands dirigeants : Pierre Gattaz, président du Medef et du directoire de Radiall ; François Asselin, son homologue à la CGPME, aux manettes de l’entreprise familiale éponyme ; Alexandre Saubot, président de l’UIMM et directeur général de Haulotte Group ; Viviane Chaine-Ribeiro, patronne de la fédération Syntec et présidente de Talentia Software. Des sociétés très diverses, qui vont du groupe industriel mondialisé à la PME artisanale en passant par la société de technologie en forte croissance. Et pourtant, un point commun émerge : un besoin, si ce n’est une stratégie, de créer un dialogue social serein et apaisé. À l’opposé des débats houleux et des surenchères auxquels ils peuvent parfois prendre part.

Radiall encourage les syndicats consensuels

Dans l’entreprise du patron du Medef, experte en interconnexions de haute technologie, on n’aime pas les remous. Longtemps, la signature d’un syndicat acquis à la direction – la Confédération autonome du travail (CAT) – a permis de valider les accords sans trop de problèmes. Les élections professionnelles de l’automne 2015 ont un peu rebattu les cartes. Mais sans modifier profondément la donne. L’Unsa et SUD se partagent certes les suffrages avec, respectivement, 39 % et 31 %. Mais leurs représentants étaient auparavant à la… CAT ! La leader de l’Unsa, Martine Evesque, n’ignore d’ailleurs rien de sa réputation. « On dit que je signe tout ! » confie-t-elle. De quoi faciliter le travail du DRH, André Hartmann, en poste depuis 2010. « Ici, le dialogue social est constructif », affirme-t-il. Seule la CGT (16 %) retient parfois le stylo.

Même si elle a signé, comme les autres (Unsa, SUD, CFDT), le dernier accord sur les salaires. Normal. Avec 2,4 % d’augmentation globale, difficile de s’opposer… « Une hausse qui tranche avec le discours porté par Pierre Gattaz au Medef », ironise Yoann Bardou, délégué syndical central CGT. Depuis son élection à la tête du patronat en juillet 2013, le grand patron vient, lui, à la rencontre des salariés et de leurs représentants de quatre à six fois par an.

En pleine croissance – son chiffre d’affaires a progressé de près de 20 % depuis 2012 –, Radiall s’avère plus innovant d’un point de vue technologique que social. Certes, plusieurs accords ont été signés ces quatre dernières années (prévoyance, Perco, intéressement, égalité hommes-femmes). Mais celui portant sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences n’a été que toiletté, en 2013, pour y intégrer le contrat de génération. A minima, donc, pour les 1 200 salariés en France (2 500 dans le monde). Quant à la mutuelle, elle est en cours de renégociation. André Hartmann défend le dynamisme du dialogue social. « Légalement, nous devons organiser deux comités centraux d’entreprise (CCE) par an. Nous en avons eu 12 en 2015. » Le DRH vante un pacte social qui fonctionne bien. Exemple significatif à ses yeux : une seule heure de débrayage au cours des deux dernières années ! Reste que certains chantiers sont encore embryonnaires.

Comme celui portant sur le partage de l’information économique et sociale via la base de données du même nom (BDES). Aucun accord n’a été signé à ce jour. Pas si grave, selon Martine Evesque, puisque « la porte du DRH est toujours ouverte ». Lequel insiste sur l’information fournie au CCE tous les ans. « Dans ce cadre, nous pouvons satisfaire les attentes des délégués syndicaux et des représentants du personnel », estime-t-il, sûr de construire peu à peu un outil complet.

Dans ce groupe en bonne santé, partager intégralement l’information apparaît comme un chantier peu urgent pour la direction. Ce que regrette Yoann Bardou (CGT) qui juge, par exemple, manquer de données pour discuter sereinement de GPEC.

Transparence chez Talentia Software

« Il règne une très bonne ambiance. Et le contact avec les syndicats est très bon, même si nous signons peu d’accords. » Quelques mots suffisent à Viviane Chaine-Ribeiro, la présidente de Talentia Software, pour résumer sa vision du dialogue social. Sa recette ? Des relations directes et très informelles avec les représentants des salariés.

Sur l’égalité professionnelle et les seniors – sujets ô combien compliqués dans les SSII –, par exemple, pas d’accord signé. Juste des plans d’action… Une politique que les deux délégués syndicaux centraux, issus de la CFDT et de la CFE-CGC, ne remettent pas en cause. Ce qui n’est guère une surprise dans l’informatique, un secteur peu connu pour ses conflits, qui plus est dans une PME de 295 salariés (420 dans le monde) où la présidente connaît presque tous les prénoms.

Clé de la confiance instituée par la dirigeante : la transparence avec les représentants des salariés. Qu’elle illustre ainsi : « En juillet 2015, je me suis retrouvée avec les avocats d’un fonds d’investissement qui voulait devenir actionnaire de la société. Il a fallu que j’informe le CE pour continuer le processus. Une heure après, c’était réglé parce que tout avait été dit auparavant, même sans être formalisé. »

Une façon de travailler habituelle dans la société, qui a fait… six acquisitions au cours des sept dernières années ! « La transparence de notre présidente est quasi entière sur les discussions commerciales », témoigne Rezki Mezaguer, de la CFE-CGC. « Nous ne découvrons jamais les projets d’acquisition a posteriori », abonde Françoise Balthazard, de la CFDT. En contrepartie de cette confiance dans la transmission des informations, les élus du personnel respectent très scrupuleusement leur obligation de confidentialité.

Asselin : discuter plutôt que négocier

Sise à Thouars (Deux-Sèvres), la PME artisanale Asselin, qui emploie 140 salariés, n’a rien que de très typique. Sauf que son président, François Asselin, est également à la tête de la CGPME depuis janvier 2015. « Je continue de présider le comité d’entreprise et le CHSCT. J’ai bien un directeur qui pourrait animer le dialogue social, mais je souhaite rester le patron de ma boîte », précise d’emblée le dirigeant de cette société familiale spécialisée dans la restauration de monuments historiques. Une présence appréciée du seul délégué syndical maison. « Le contact est bon avec M. Asselin. Il mène les négociations et c’est un fin connaisseur du social », témoigne René Busseau, qui s’est fait mandater par la CFTC au début des années 2000 pour parapher l’accord sur les 35 heures. Un texte qui permet une modulation des horaires de 22 à 42 heures par semaine en fonction de l’activité.

Mais appliqué avec une grande souplesse, selon François Asselin. « Bien sûr, il convient d’être réglo sur le paiement des heures supplémentaires », précise-t-il. Chez Asselin, comme dans la plupart des PME françaises, la présence syndicale est extrêmement limitée. Et les relations sociales, secondaires, tiennent plus du formalisme que de la conviction partagée. Exemple, les négociations sur la mutuelle, en 2015 : « Il y a d’abord eu un sondage auprès des salariés sur l’intérêt d’un accord. Puis, avec la nouvelle loi, on a dû négocier un texte », précise René Busseau, pas très en pointe sur le sujet. À un dialogue social structuré et encadré, François Asselin préfère un management qu’il qualifie de « participatif ». En dehors des négociations obligatoires, comme sur les salaires ou l’égalité hommes-femmes, les chantiers RH sont partagés et discutés mais échappent à la formalisation. La gestion prévisionnelle des emplois et des compétences ? « Pour avancer, un accord d’entreprise n’est pas nécessaire », tranche le patron. Sur les seniors, idem : la direction s’en est tenue à un plan d’action.

La méthode Asselin se veut pragmatique : une réunion en fin d’année pour faire le point sur le carnet de commandes, les besoins en ressources humaines – en particulier en apprentis –, la formation des salariés et l’organisation du travail. « Je réunis le comité d’entreprise pour discuter de l’activité et pour présenter les données économiques et sociales. On ne négocie pas, on fait ensemble le planning.

Dès que l’on est d’accord sur les actions à mener, on le diffuse aux salariés. Le CE n’est pas en demande d’autre chose », explique François Asselin. De fait, difficile pour la CFTC d’exiger davantage, son représentant s’avérant bien esseulé parmi les troupes. « Les salariés n’attachent pas assez d’importance à la négociation collective », reconnaît René Busseau. La présence d’un autre syndicat vivifierait-elle le dialogue social ? « Elle amènerait surtout de la surenchère », répond François Asselin. Qui reprend alors un discours offensif cher à la CGPME.

Chez Haulotte, le social sert l’éco

« En 2009, quand le chiffre d’affaires du groupe a été divisé par quatre et la production par huit, il fallait une réponse managériale. Qui nécessitait la confiance des partenaires sociaux. » Pour sortir le leader européen de la nacelle élévatrice de la quasi-faillite, sans un jour de grève, Alexandre Saubot a relevé ses manches pour continuer de produire en France. Et pour convaincre le personnel de le suivre. Une quête de consensus social et de pédagogie qui sied bien au leader de l’UIMM. « À l’époque, l’entreprise a tout fait pour ne pas licencier », approuve Franck Sauton, délégué syndical central CFDT, qui reconnaît « une vision sociale » au directeur général délégué du groupe Haulotte.

Pour sortir l’entreprise de cette très mauvaise passe, un accord de chômage partiel a été signé, à raison de deux à trois semaines par mois pendant un an et demi. Les salariés ont aussi renoncé à des jours de RTT et le fonds de formation de la métallurgie a été mobilisé pour préparer l’avenir.

Cette période critique ne semble pas avoir laissé de cicatrices profondes. « Si les syndicats n’avaient pas joué le jeu, l’entreprise ne serait plus là aujourd’hui », affirme Alexandre Saubot. Ce consensus social se retrouve d’ailleurs à travers les différents accords signés ces dernières années. Presque tous obtiennent en effet le paraphe des deux organisations syndicales représentatives, la CFDT et la CGT. Comme sur les seniors et le temps de travail en 2009, la prévention de la pénibilité en 2012, l’intergénérationnel en 2013, la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences et l’égalité professionnelle en 2014. Reste une frustration. « Avec une inflation très faible, il est très difficile de négocier sur les salaires », regrette Franck Sauton.

Au niveau du groupe, un accord d’intéressement et une prime dite « de partage des profits » ont pourtant bien vu le jour pour les 577 salariés en 2014.

S’il est moins présent dans l’entreprise depuis son élection à la tête de l’UIMM, en mars 2015, Alexandre Saubot tient toutefois à présenter en personne les informations économiques et sociales au comité central d’entreprise, une fois par an. « Il partage plus que le minimum légal, précise le délégué syndical cédétiste. Il n’est pas obligé de nous livrer les chiffres consolidés. » De quoi satisfaire les représentants du personnel, qui disposent d’informations sincères et fiables sur l’entreprise.

« Si l’on souhaite un échange et un dialogue social de qualité, il convient de s’assurer en permanence que les gens en face comprennent les enjeux. Sans diagnostic partagé, aucune chance d’y arriver », justifie le patron. Début 2016, des négociations sur les rémunérations et le temps de travail doivent s’engager. Un nouveau test pour la méthode Saubot.

Auteur

  • Manuel Jardinaud