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Ma maison, source de revenus

À la une | publié le : 03.02.2016 | Anne-Cécile Geoffroy

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Ma maison, source de revenus

Crédit photo Anne-Cécile Geoffroy

Salon, voiture, vêtements, matériel… Aujourd’hui tout se loue, se vend ou s’échange via les plates-formes collaboratives. Des pratiques boostées par la crise. Qui créent d’inclassables particuliers producteurs.

La France championne du monde de… la consommation collaborative ! Qui l’eût cru ? L’Hexagone fait pourtant bien la course en tête avec les États-Unis et l’Espagne. Ces trois pays trustent les premières places au classement mondial de ce nouveau marché par le volume d’affaires réalisé et la diversité de l’offre proposée. Et les perspectives ont de quoi susciter des vocations. Estimé en 2014 à 15 milliards de dollars, il devrait représenter 335 milliards en 2025 selon une récente étude du cabinet PWC.

Il faut dire qu’aujourd’hui les Français peuvent à peu près tout louer ou vendre sur Internet. Adeptes des vide-greniers, ils n’ont eu aucun mal à passer à la version 2.0. Ils s’en donnent même à cœur joie ! Les transactions entre particuliers sont pratiquées par plus de deux personnes sur trois et, dans la majorité des cas, elles sont monétisées, selon une étude de Nomadéis et TNS Sofres pour la Direction générale des entreprises (DGE) et le Pôle de compétitivité des industries du commerce (Picom).

La consommation de masse étant passée par là, nos maisons regorgent de biens monétisables. Votre paire de skis s’ennuie à la cave ? Rendez-vous sur la plate-forme Make it Travel. Vos robes de luxe fanent dans votre placard ? Dresswing vous propose de les mettre en location à 10 % de leur prix d’achat. Les toiles d’araignée ont pris possession de votre vélo tandem ? Mettez-le en location sur B and Bike…

Des pépites françaises

Un jour, qui sait, on pourra louer son chien ou son chat ! « Il s’agit de pratiques ancestrales que les plates-formes Internet remettent au goût du jour. Avant, les propriétaires louaient leurs champs à des métayers, aujourd’hui, ils mettent à disposition une chambre, une voiture, une perceuse. Il faut peut-être voir l’ère de la production et de la consommation de masse comme une simple parenthèse », observe Nathalie Damery, de l’Observatoire Société et Consommation.

Pour Marine Albarede, chargée de mission à la Fondation Internet nouvelle génération, un think tank qui explore les transformations numériques, « ces pratiques vont s’ancrer durablement dans la société car elles touchent le grand public et pas seulement des militants de la première heure. Surtout, elles pénètrent l’économie classique ». Il n’y a qu’à regarder la croissance exponentielle de l’offre du site Airbnb, chantre de cette nouvelle forme de consommation. Ouvert en France en 2012, il comptait à ses débuts 7 000 logements, dont 4 000 à Paris. Quatre ans plus tard, il en dénombre 200 000, dont un quart en Ile-de-France. Et les pépites françaises ne sont pas en reste. BlaBlaCar compte 10 millions de membres dans le monde et vient tout juste d’ouvrir sa plate-forme au Brésil. Quant à Vestiaire Collective, qui propose aux particuliers de revendre leurs vêtements de luxe, il annonce 4 millions de membres.

Les mots d’ordre de tous ces sites sont les mêmes : soyez malins, faites des économies et gagnez de l’argent. En temps de crise, l’argument fait forcément mouche. PriceMinister avait ouvert la voie en 2001 en incitant les Français à devenir radins. Et cette année encore, ils ont toutes les bonnes raisons de suivre ce conseil. Selon la Banque de France, les comptes des particuliers étaient à découvert de 7,6 milliards d’euros en juin dernier. Un niveau jamais atteint depuis que l’institution suit cette donnée, et la conséquence d’un pouvoir d’achat en berne.

« Les sites qui fonctionnent le mieux sont ceux qui génèrent le plus de revenus, note Damien Demailly, chercheur à l’Institut du développement durable et des relations internationales. La motivation financière, couplée à la grande praticité des plates-formes, explique leur succès. » Parmi les adeptes, Christophe, qui met en location sa voiture sur le site Drivy. « Ce complément de revenu est devenu un vrai treizième mois ! » se réjouit-il. OuiCar, installé sur le même créneau, calcule que les particuliers qui louent régulièrement leur véhicule gagnent entre 300 et 500 euros par mois. « En 2008, quand nous avons ouvert Zilok [spécialisé dans la location de matériel, NDLR] puis OuiCar, la France était déjà dans une crise du pouvoir d’achat, note Marion Carrette, fondatrice et patronne des deux sites. La première motivation reste l’argent. Ce qui a évolué, c’est que les gens n’ont plus honte de le faire. Au contraire, ils valorisent l’acte en mettant en avant l’optimisation de leurs biens. »

David Ménascé, cofondateur du cabinet Azao et auteur d’une note pour l’Institut de l’entreprise intitulée « La France du Bon Coin », distingue quatre grands profils d’utilisateurs : « les malins, des actifs bien insérés, qui viennent à la consommation collaborative pour un complément de revenu ; les microfranchisés, qui se placent dans la posture de l’entrepreneur avide d’autonomie ; les serviables, dont les valeurs se rapprochent le plus de l’imaginaire de l’économie collaborative ; les contraints, enfin, qui n’ont pas d’autres possibilités pour se faire un petit revenu ». En 2015, 5,2 % de la population aurait tiré déjà plus de la moitié de son revenu de la consommation collaborative.

Des sous avant tout

Mais n’allez pas croire qu’on ne retrouve dans ce marché qu’une armée de jeunes précaires ou de chômeurs aux fins de mois difficiles ! « Les Français exerçant une activité professionnelle représentent la catégorie la plus concernée par les revenus complémentaires générés par la consommation collaborative », souligne l’étude de la DGE et du Picom. Cet engouement brouille les frontières entre consommateur et producteur. Car les start-up de l’économie collaborative sont entièrement dépendantes de l’activité de leurs membres, qui s’avèrent être les vrais créateurs de richesses.

Les plates-formes font donc le maximum pour fidéliser ces travailleurs d’un nouveau genre. Comme Delphina Tomaszewska qui vient de lancer Dresswing, un site qui propose aux « modeuses » et propriétaires de vêtements et d’accessoires de luxe de louer leur dressing. « J’aide les filles de la communauté à le monétiser au mieux. Comme un trader le ferait avec son portefeuille d’actions », explique la jeune entrepreneuse. Celle-ci a développé de multiples fonctionnalités à leur attention. Et leur offre une séance de shooting avec un photographe professionnel pour mieux mettre en valeur leurs vêtements. « Demain, on mettra en place des petites récompenses pour valoriser les meilleures. On chouchoute nos offreurs comme une entreprise ses salariés », confie-t-elle.

Particuliers travailleurs

Créé en juillet dernier, le petit site Make it Travel, spécialisé dans la location de matériel de voyage, mâche aussi le travail des particuliers. Car ceux-ci n’ont pas toujours l’envie ni le temps de passer toutes les étapes préliminaires pour devenir membres. « Nous rédigeons les annonces pour eux, prenons les photos, allons à leur rencontre », détaille Anne-Laure Chorro, cofondatrice du site. Une méthode éprouvée par Airbnb qui investit beaucoup dans la relation avec ses hôtes en leur proposant régulièrement des meetup. Objectif : rencontrer les membres et leur donner des astuces pour augmenter leurs chances de louer leur bien. Une professionnalisation qui ne dit pas son nom. « L’objectif n’est pas de former et de mettre en concurrence nos hôtes, se défend Airbnb. Mais de répondre à leurs questions, d’écouter leurs souhaits et de leur permettre de satisfaire au mieux les standards de qualité attendus. »

De même qu’on dénombre aujourd’hui 2,8 millions de particuliers employeurs, va-t-on assister dans les prochaines années à l’avènement massif des particuliers travailleurs ? « Demain, nous allons devenir producteurs de services et polyactifs. Le modèle des Trente Glorieuses, celui du salariat, est de plus en plus obsolète », souligne Olivier Babeau, professeur de management à l’IAE de Bordeaux.

Reste à savoir à quoi pourrait ressembler le prochain modèle. La banalisation de la polyactivité participera-t-elle à l’accroissement du niveau de vie. Ou entraînera-t-elle, au contraire, une plus grande précarité des travailleurs, qui devront se construire un revenu de subsistance en jonglant entre différentes activités professionnelles, salariées ou non ? Impossible pour le moment de le savoir. Les cartes ne sont en effet pas seulement dans les mains des plates-formes et des particuliers producteurs. Mais aussi dans celles des entreprises traditionnelles, du législateur, du fisc et des partenaires sociaux, qui n’ont pas dit leur dernier mot.

Des Scop 2.0 à l’horizon

Appliquer le modèle coopératif aux plates-formes ? L’idée peut paraître saugrenue. Mais elle est en train de prendre forme à travers les travaux d’un universitaire américain, Trebor Scholz. Son constat est simple : les plates-formes de l’économie collaborative captent l’essentiel de la valeur créée par le travail des utilisateurs. Favoriser l’émergence de Scop 2.0 permettrait à l’utilisateur d’en être aussi propriétaire et d’en définir les règles de fonctionnement. L’intérêt du modèle réside dans la transparence des informations et la gouvernance démocratique qu’il garantit. Aujourd’hui, les plates-formes de location entre particuliers se rémunèrent à travers une commission appliquée sur les transactions, dont elles fixent librement le montant. Elles décident aussi des offres qu’elles entendent mettre en avant sur leur site. Et peuvent, comme chez Uber, le grand concurrent des taxis, « débrancher » des utilisateurs jugés indélicats. Sans toujours expliquer clairement les règles du jeu ni offrir de recours aux intéressés.

Cette promotion du coopératisme séduit le Conseil national du numérique. Dans son dernier rapport, remis début janvier à la ministre du Travail Myriam El Khomri, il préconise de soutenir financièrement le développement de ce modèle économique à travers le programme d’investissements d’avenir. Une façon de rééquilibrer une économie collaborative qui se développe sur un modèle hypercapitaliste.

Auteur

  • Anne-Cécile Geoffroy