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Idées

Le Code du travail du xxie siècle : un couteau suisse ?

Idées | juridique | publié le : 03.01.2016 | Jean-Emmanuel Ray

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Le Code du travail du xxie siècle : un couteau suisse ?

Crédit photo Jean-Emmanuel Ray

L’année 2015 fut celle des rapports ; 2016 sera celle des réformes. En espérant que, quel que soit le résultat de la présidentielle, 2017 ne soit pas l’occasion de tout reprendre de zéro. Dans une configuration créative au pays de Montesquieu (des juges suprêmes concourent directement à la rédaction de la loi), mais astucieuse car il est toujours bon que des contrôleurs mettent les mains dans le cambouis, la mission Badinter doit bientôt rendre sa copie sur les principes fondamentaux du droit du travail, déjà bien encadrés par des textes supranationaux. Pour limiter la créativité des juges, leur portée exacte en droit interne pourrait être utilement précisée.

Mais le plus urgent est le projet de loi sur la durée du travail prévu pour mars, même s’il ne doit pas toucher au totem des 35 heures. Car la complexité du droit des successions, mis en œuvre devant notaire tous les soixante ans, est moins catastrophique que cet abracadabrantesque livre du Code du travail servant à fixer tous les mois la paie de chaque salarié…

Si la rédaction d’un code protecteur de l’homme-machine à la Charlot était relativement aisée au temps des manufactures organisées sur le tout collectif, il est aujourd’hui difficile de le simplifier radicalement en raison d’un double phénomène.

« Et moi, et moi et moi ! »

Suivant un mouvement très général, encouragé en Europe par la Cour de Strasbourg, nous poussant chaque année davantage vers une « société » d’individus vindicatifs et procéduriers, notre droit collectif du travail issu du Préambule constitutionnel de 1946 est devenu celui des droits de la personne au travail… et bientôt « en activité » avec son propre compte personnel.

Le tout collectif, avec ses règles nécessairement contraignantes, n’est plus à la mode – les syndicats en savent quelque chose –, en particulier parmi les jeunes générations qui, de la famille au lycée, n’ont par ailleurs guère eu affaire à l’autorité, sous forme de puissance paternelle puis de rude pouvoir patronal, qu’ont connue leurs parents.

En matière de temps de travail, il est tout simplement impensable de revenir – y compris pour des raisons d’embouteillages – au tout collectif de la sirène du matin et du soir. Conforté par l’article L. 1121-1, l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle partout mis en avant – a fortiori dans les pays à la démographie déclinante – renforce naturellement cette tendance. Car, en termes de durée du travail mais aussi d’arbitrage congés/salaires, la situation personnelle de chacun (célibataire/parent, par exemple) est par définition différente de celle de son voisin. Voilà pourquoi la réforme annoncée pour mars ne pourra pas tout simplifier d’un coup de Code magique.

Côté employeurs, cette volonté d’individualisation des entreprises, voire des établissements, est identique. Mais à moins d’en revenir au « laissez faire, laissez passer », la dérogation, voire la supplétivité, exige des textes précis pour éviter que le juge français, qui adore l’égalité en forme d’uniforme, n’y trouve à redire. À l’image de la lente asphyxie du forfait jours, que le projet de loi doit remettre sur ses pieds – mais si c’est pour légaliser la jurisprudence…

Au bout du chemin, une certitude : si les acteurs eux-mêmes ne croient pas à la négociation collective (source d’un nécessaire compromis, mais aussi de consensus facilitant l’exécution tout en limitant le contentieux) et/ou ne se saisissent pas des possibilités nouvelles de flexibilité, il ne se passera rien. Comme cela a déjà été le cas avec la loi du 4 mai 2004 permettant, il y a plus de onze ans, aux accords d’entreprise de déroger aux accords de branche.

Du droit du travail au droit de l’emploi

Avec ses 3,5 millions de chômeurs fin 2015, la France a retrouvé les niveaux les plus élevés des années 1990 : en termes de fracture comme de facture sociales, cette situation plombe notre société. Si personne ne prétend que le droit du travail est responsable du chômage, ses nombreux irritants n’incitent pas à l’embauche, en particulier dans les TPE/PME aujourd’hui seules créatrices d’emplois nettes.

Notre droit du travail (celui des CDI à temps plein qui votent) ne peut par exemple faire l’autruche – le coq – en vantant sa « législation la plus protectrice de l’UE pour les salariés sous contrat à durée déterminée », tout en voulant ignorer que 85 % des embauches ont eu lieu sous ce régime en 2015. Tout ça pour coincer les seules PME mal conseillées ?

Sur ce terrain de la lutte contre le chômage, il y a urgence : il ne peut être question d’attendre le nouveau Code de 2018. Et ce n’est pas le Conseil constitutionnel qui censurera cette évolution, lui qui énonçait le 5 août 2015 : « En aménageant les conditions dans lesquelles la responsabilité de l’employeur peut être engagée, le législateur a entendu assurer une plus grande sécurité juridique et favoriser l’emploi en levant les freins à l’embauche : il a ainsi poursuivi des buts d’intérêt général. »

« Lever les freins » à l’embauche, c’est éviter que le juge ne se substitue à l’employeur en matière de cause sérieuse du licenciement économique. Et barémiser les dommages et intérêts dus en cas de licenciement non fondé, afin de créer un minimum d’égalité devant la loi, de Marseille à Lille. S’agissant de start-up, c’est éviter de contraindre un employeur de bonne foi à d’impossibles contorsions juridiques pour faire tourner son entreprise au quotidien.

Il est donc impératif que les projets de loi en cours d’élaboration (loi sur les nouvelles opportunités économiques à Bercy, et sur le temps de travail Rue de Grenelle) prennent en compte le fait que les travailleurs du savoir (certes statistiquement peu nombreux mais qui nous feront réussir le tournant du numérique) ne se managent pas comme des ouvriers sur une chaîne. Bref, utiliser les dérogations prévues par l’article 17 de la directive sur le temps de travail de 2003 pour leur donner davantage de souplesse. Sinon, il ne faudra pas venir demain pleurnicher sur l’érosion du salariat due à la révolution numérique.

Prévenir d’éventuels licenciements, c’est enfin favoriser à froid la mobilité géographique et professionnelle, mais aussi la flexibilité interne. Par conséquent, comme l’a proposé le rapport Combrexelle, créer rapidement un régime spécifique pour les accords d’entreprise sur les conditions et le temps de travail, l’emploi et les salaires (« Actes »), absorbant les accords de maintien de l’emploi et les accords de mobilité. Ces Actes devant être majoritaires s’ils doivent s’imposer au contrat individuel de travail.

Jean-Emmanuel Ray

Professeur de droit à l’université Paris I (Sorbonne), où il dirige le master 2 professionnel Développement des ressources humaines. Il a publié en septembre 2015 la 24e édition de Droit du travail, droit vivant, à jour des lois Macron et Rebsamen (éditions Liaisons).

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  • Jean-Emmanuel Ray