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Faut-il fusionner les minima sociaux d’insertion ?

Idées | Débat | publié le : 03.01.2016 |

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Faut-il fusionner les minima sociaux d’insertion ?

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Le député PS Christophe Sirugue doit rendre, au printemps, sa copie sur la simplification des minima sociaux. Objectif : accroître l’efficacité et l’équité du système. Parmi les pistes figure le rapprochement du revenu de solidarité active (RSA) et de l’allocation de solidarité spécifique (ASS).

Anne Eydoux Économiste, Centre d’études de l’emploi et université Rennes 2.

Évoquée depuis le rapport Hirsch de 2005 préfigurant la mise en place du RSA, relancée aujourd’hui par un référé de la Cour des comptes, l’idée de fusionner le RSA et l’ASS interpelle. Aurait-on là une simplification bienvenue, une allocation plus équitable ?

Non. Symboliquement, d’abord, l’ASS versée par Pôle emploi accorde un statut social de chômeur (et non de pauvre) à des chômeurs de longue durée qui ont épuisé leurs droits à l’assurance chômage. C’est déjà un statut de second rang, qui s’est dévalorisé en vingt-cinq ans. Tandis que l’allocation dite de retour à l’emploi versée par l’assurance chômage se monte en moyenne en 2013 à 1 100 euros mensuels brut, l’ASS, forfaitaire, n’est que de 453 euros brut. Et si l’assurance chômage procure un revenu de remplacement lié au salaire, l’ASS a décroché du salaire minimum : en 1990 elle représentait près de la moitié du Smic mensuel à temps complet, contre 42 % aujourd’hui. Sachant que seuls quatre demandeurs d’emploi sur dix sont indemnisés à l’assurance chômage, l’ASS, qui ne bénéficie qu’à un demandeur d’emploi sur dix, ne suffit pas à accorder un statut social de chômeur à ceux qui ne relèvent plus de l’assurance chômage. Pour prétendre à l’ASS, il faut justifier d’une activité salariée d’au moins cinq ans dans les dix dernières années, ce qui exclut souvent les jeunes. Et il ne faut pas appartenir à un ménage dépassant un plafond de ressources, une condition qui écarte nombre de personnes (surtout les femmes) en couple.

Pour autant, basculer les demandeurs d’emploi de l’ASS vers le RSA ne résoudrait rien. Cela les priverait de la reconnaissance sociale de chômeurs qu’ils ont conservée et compliquerait leurs démarches. D’autant que le calcul du RSA leur serait défavorable. D’abord, le RSA n’ouvre pas de droits à la retraite. Ensuite, son appréhension des ressources du ménage est plus restrictive. Le minimum garanti par le RSA socle est en principe supérieur au forfait de l’ASS (513 euros mensuels contre 487 pour une personne seule), mais les montants qu’il procure sont en pratique inférieurs. Le RSA n’est pas un modèle, mieux vaudrait étendre et revaloriser la couverture chômage des demandeurs d’emploi.

Julien Damon Sociologue, professeur associé à Sciences po.

Le principe d’un rapprochement entre RSA et ASS est évoqué depuis que le RMI a été porté sur les fonts baptismaux. C’est-à-dire depuis plus d’un quart de siècle. La visée d’une pleine fusion a été à l’ordre du jour lorsque le projet de RSA a été évoqué, il y a plus d’une dizaine d’années. Depuis, rapports et reports s’accumulent. De nombreuses raisons invitent à tergiverser. Montants, conditions d’activité préalable et d’âge, financements, opérateurs, avantages connexes, diffèrent. Des marques d’incohérence, d’iniquité et de complexité sont toutefois soulignées régulièrement, encore tout récemment par la Cour des comptes. Pour des situations de fait très semblables, la dépense d’aide sociale est dissemblable. Or, avec les années, le RSA est devenu, pour nombre de ses allocataires, une ASS, géré autrement, par les CAF et les caisses de MSA, et compris autrement. Le RSA est perçu comme une prestation d’assistance (ce qu’il est), à la différence de l’ASS, vue comme une prestation d’assurance chômage (ce qu’elle n’est pas vraiment).

Plusieurs obstacles se dressent sur la route d’une fusion. Bureaucraties gestionnaires et tuyauteries financières ne sont pas les mêmes. Mais deux défis plus importants sont souvent mis en avant. Tout d’abord, un problème d’image. Les bénéficiaires de l’ASS se verraient avant tout comme des chômeurs et non comme relevant de l’aide sociale. La bascule vers le RMI, et maintenant vers le RSA, pourrait avoir un impact négatif sur la perception qu’ont les allocataires d’eux-mêmes. Ensuite et surtout, fusionner vraiment deux prestations, c’est désigner des perdants et des gagnants. Certes, l’alignement pourrait se faire sur le régime le plus favorable. Mais il ne semble pas que les finances et l’opinion publiques l’autorisent. Il s’ensuit qu’aujourd’hui le principal barrage à la fusion tient aux trimestres et points de retraite validés au titre de l’ASS. S’il apparaît difficile de substituer purement et simplement, d’un coup, le RSA et l’ASS, l’extension progressive de l’ASS et son intégration dans le RSA sont cependant tout à fait réalisables pour les flux futurs de nouveaux allocataires. Même si l’on sait qu’il est toujours compliqué de simplifier.

François Soulage Président du collectif Alerte.

La feuille de route 2015-2017 du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale expliquait que « pour approfondir l’accès aux droits, un chantier de simplification des minima sociaux sera ouvert dans le cadre d’un groupe de travail qui sera mis en place au premier semestre 2015, pour créer un minimum social simplifié, rénové, disjoint de la prime d’activité, en examinant la fin du RSA et de l’ASS ».

Les associations de solidarité sont favorables, sur le principe, à cette fusion. En effet, l’accès aux minima sociaux est extrêmement difficile pour les personnes en difficulté, tant le système est complexe, obscur et ouvre des droits très différents selon les allocations versées. Si le groupe de travail promis n’a pas été mis en place, par exemple à l’occasion de la création de la prime d’activité, une mission confiée à M. Sirugue doit revoir tous les minima sociaux. Leur fusion envisagée est, de ce fait, renvoyée à une date ultérieure. Pour les associations de solidarité, cette question demeure d’actualité à condition que l’éventuelle fusion permette d’accorder aux nouveaux titulaires l’essentiel des dispositions favorables que contient chacun des deux systèmes. Ainsi, il faudrait tenir compte des charges de famille.

Mais l’un des principaux obstacles à la fusion tient au risque d’assimilation des chômeurs actuellement bénéficiaires de l’allocation de solidarité spécifique aux personnes qui perçoivent le RSA. Les chômeurs de longue durée ne veulent pas être des « assistés ». Ils veulent que soit reconnue leur situation de personnes privées provisoirement d’emploi. La réforme des minima sociaux doit donc tenir compte des risques de stigmatisation que provoquerait l’attribution sans distinction de ces minima. Les chômeurs ont raison de rappeler qu’ils ont auparavant travaillé, accumulé des droits à la retraite, et qu’il est donc normal que l’ASS actuelle leur valide des trimestres, ce que ne permet pas le RSA. Cette fusion ne peut se faire sans l’écoute des personnes directement intéressées et, dans le cas qui nous occupe, des chômeurs de longue durée et de leurs représentants.

Ce qu’il faut retenir

Manuel Valls, le Premier ministre, avait déjà inscrit à l’agenda des réformes, fin 2014, le rapprochement entre le RSA et l’ASS. Il était annoncé pour 2016.

L’idée d’une pleine fusion de ces deux minima sociaux date de l’élaboration du RSA. La loi de décembre 2008 qui l’a créé prévoyait d’ailleurs la remise d’un rapport sur le sujet dès l’année suivante.

Dans son référé, la Cour des comptes propose de conserver le RSA, une prestation d’assistance, et d’éteindre progressivement l’ASS versée aux demandeurs d’emploi en fin de droits, qui a été créée en 1984. Elle avance, au titre des avantages de la fusion, une meilleure lisibilité pour les allocataires, plus d’« équité au regard des situations personnelles » et des économies de gestion. La Cour préconise aussi d’améliorer le dispositif d’incitation à la reprise d’activité du RSA pour augmenter le taux de retour à l’emploi.

En chiffre

1,69 million de personnes percevaient le RSA socle (héritier du RMI) en 2014. Depuis sa création, en 2009, ses allocataires ont vu leur nombre bondir de 28 %.

435 800 demandeurs d’emploi longue durée, arrivés en fin de droits, percevaient l’ASS fin 2014.

Sources : Drees ; CAF.