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Les organismes doivent se réinventer pour survivre

Dossier | publié le : 03.01.2016 | S. G.

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Les organismes doivent se réinventer pour survivre

Crédit photo S. G.

Fragilisés par la mise en œuvre très rapide de la réforme, les organismes de formation ne contestent pas sa philosophie. Mais doivent s’adapter à marche forcée.

L’année 2015 devrait se clore sur une chute de 3 % du chiffre d’affaires des organismes de formation. Fourni par l’Observatoire économique de la Fédération de la formation professionnelle (FFP), ce taux paraît plutôt rassurant. Il indique que la branche a tant bien que mal limité les dégâts. Sauf que la mise en œuvre de la réforme du 5 mars 2014 a été un véritable tsunami pour de nombreux organismes.

Certains ont enregistré des baisses de 15 à 20 % de leur activité, notamment ceux très orientés vers les formations comportementales et les langues, financées via l’ex-DIF. Ou ceux spécialisés dans les cursus interentreprises, « qui ont connu une forte baisse, de l’ordre de 10 à 15 % », estime Emmanuelle Pérès, déléguée générale de la FFP. « Nous sommes dans le camp de ceux qui ont beaucoup souffert », avoue Bernard Bruche, fondateur du cabinet éponyme, spécialisé dans le développement personnel. « Je vois régulièrement passer des courriers d’administrateurs judiciaires me proposant de reprendre une entreprise ou des personnels. Heureusement, nous avons accumulé suffisamment de trésorerie pour tenir », poursuit-il.

Tout le monde ne peut pas en dire autant. Selon un calcul effectué par l’institut Linguaid à partir des données mises en ligne par les greffes des tribunaux de commerce, 265 organismes de formation réalisant plus de 100 000 euros de chiffre d’affaires ont fait faillite dans les onze premiers mois de 2015. On en recensait 158 sur l’ensemble de 2014. Un bond de 65 % ! « La réforme a totalement bouleversé les circuits de financement, elle a été menée à la hussarde », commente Guillaume Huot, directeur marketing de Cegos. Malgré un léger tassement du chiffre d’affaires, celui-ci reste confiant. « Après cinq ans de crise, les perspectives à moyen terme sont positives », assure-t-il. Cet optimisme d’une structure solide et implantée à l’international est partagé par Sophie Crespy, directrice de Cesi Entreprises : « Nous avons compris bien avant la loi qu’il fallait développer les certifications professionnelles. Nous avons donc pu anticiper. » Résultat : un chiffre d’affaires en « légère hausse ».

Inutile d’en déduire que le secteur devrait, une fois la loi digérée, retrouver son fonctionnement d’antan. « Au-delà de sa dimension conjoncturelle, la réforme révèle une véritable mutation du marché, longtemps protégé par l’obligation fiscale des entreprises », prévient le consultant Jean-Pierre Willems. Selon lui, les organismes doivent s’adapter à une nouvelle forme de régulation « dans laquelle les partenaires sociaux jouent un rôle majeur ». En misant sur les trois axes valorisés par la réforme : qualité, certification et digitalisation.

Cap sur la qualité

Le décret relatif à la qualité des actions de formation est paru en juillet. Il détaille les sept critères que les financeurs doivent prendre en compte : l’identification précise des objectifs, l’adaptation des dispositifs d’accueil, de suivi pédagogique et du public, l’adéquation des moyens pédagogiques, la qualification professionnelle des formateurs, etc. Rien que du très classique. Mais à ce jour, « seul un tiers des organismes a une certification ou un label qualité, commente Sylvie Petitjean, vice-présidente de la FFP. Nos adhérents sont très au-dessus de la moyenne : 76 % d’entre eux ont déjà un label et la plupart des autres ont entamé une démarche ».

Ceux-ci ont opté très majoritairement – à 61 % – pour la démarche OPQF (Office professionnel de qualification des organismes de formation) mise en place par la FFP. Mais parfois aussi pour les normes ISO 9001 (13 %) ou NF 214 (6 %). « Il est logique que les organismes de formation soient en mesure de garantir que les sommes investies sont bien utilisées », approuve Guillaume Huot. Qui s’impatiente néanmoins : « Le décret est paru en juillet. Il serait temps que le Conseil national de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelles nous dise quels labels sont retenus. »

Cette nouvelle instance, réunissant État, régions, partenaires sociaux et instances consulaires doit en effet décider des labels ou certifications auxquels pourront faire appel les organismes. La sélection doit commencer en janvier. Cette démarche qualité n’inquiète pas Sophie Crespy : « Nous sommes certifiés par l’OPQF depuis 1993 et ISO 9001 depuis 1994. Nous serons dans les clous ! » Comme la plupart des structures adhérant à l’Association française de réflexion et d’échange sur la formation. « Elles n’ont pas attendu le décret, affirme René Bagorski, son président. La qualité est aujourd’hui l’alpha et l’oméga de tout opérateur. » Il reste un an pour être en ordre de marche.

Le cahier des charges du compte personnel de formation (CPF) a aussi donné le ton de la réforme : priorité aux cursus certifiants, qualifiants ou diplômants. Là encore, pas de surprise : « C’est une stratégie que nous avons engagée il y a une quinzaine d’années », explique Sophie Crespy en détaillant la vingtaine de titres RNCP (Répertoire national des certifications professionnelles) proposés par Cesi Entreprises. À ses yeux, cette démarche va de pair avec la modularisation de l’offre : « Nous avons découpé tous nos cursus en blocs de compétences de dix à douze jours de formation, que nous considérons comme la « maille » de base, celle qui correspond au financement par le CPF. Cette offre modulable permet à chacun de construire son propre parcours. »

Guillaume Huot approuve : « Nous sommes passés d’une logique de stages pour tous à une logique de parcours personnalisés. C’est ainsi que nous avons mis en place 90 cycles certifiants. Des formations totalement modulables, menant à une expertise métier. » Tout comme Cegos, 64 % des adhérents de la FFP proposent désormais des formations certifiantes, qui représentent 50 % de leur volume d’activité. Il s’agit, bien entendu, de s’adapter à la réforme. Mais aussi, et surtout, de « répondre à la demande des entreprises et des salariés », commente Sylvie Petitjean. Il n’empêche, de nombreux organismes de formation doivent encore adapter leur offre.

Digitalisation de l’offre

Modules d’e-learning, Mooc, serious games, social learning, applications mobiles… La digitalisation des prestations de formation n’a pas non plus attendu la réforme pour se développer. « Ce n’est d’ailleurs pas une fin en soi. Mais un moyen supplémentaire au service d’objectifs pédagogiques », insiste René Bagorski. Au dire des acteurs, cette offre à distance ne peut en aucun cas suffire. « Le digital learning peut fonctionner pour des petits modules de bureautique ou des premiers pas en langue, observe Guillaume Huot. Mais au-delà, il faut mixer distanciel et présentiel. Nous avons l’absolue certitude que la blendisation, c’est-à-dire le mélange des deux, est la solution. »

Le consultant Jean-Pierre Willems attire toutefois l’attention des organismes de formation sur l’impact qu’aura la digitalisation sur la structuration du marché. « Le digital n’en représente encore que 10 %. De plus, ses process qualité ne lui permettent pas encore d’accéder au marché de la formation financée via les Opca. Mais il y aura accès en 2017. De nouveaux opérateurs – qui seront détenteurs de technologies permettant de produire des volumes importants de formation selon des schémas pédagogiques nouveaux – vont alors s’imposer. »

De quoi chahuter encore le secteur… « Les organismes doivent s’habituer à l’idée qu’il est nécessaire de se réinventer en permanence pour coller à l’évolution des besoins », prévient Sophie Crespy. Sans oublier, toutefois, que ce sont souvent les formateurs qui trinquent. Pour surmonter la crise, Bernard Bruche a, par exemple, dû sérieusement « réduire la voilure ». « Alors que nous avons toujours préféré avoir des permanents salariés, nous privilégions maintenant les vacataires. Et nous sommes passés de 12 salariés à 5 », confie-t-il. Des dommages que subissent de nombreux acteurs du secteur. Et qui ne peuvent être négligés.

Auteur

  • S. G.