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Des réfugiés en mal d’emploi

À la une | publié le : 03.01.2016 | Emmanuelle Souffi

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Des réfugiés en mal d’emploi

Crédit photo Emmanuelle Souffi

La France, comme toute l’Europe, fait face à la plus grave crise migratoire depuis 1945. Les associations, plus que l’État, tentent d’aider les réfugiés. Mais ceux-ci doivent souvent tirer un trait sur leur passé professionnel.

Nawal a un sourire qui ne la quitte pas. Et pourtant, depuis un an et demi qu’elle a rejoint son mari en région parisienne, cette Syrienne de 38 ans galère toujours autant à valoriser tout ce qu’elle faisait avant de fuir son pays. Titulaire d’un doctorat en littérature arabe moderne, Nawal travaillait comme correctrice dans un magazine et donnait des cours. Ses courriers envoyés aux universités sont restés lettre morte. Pas assez d’expérience, lui rétorque-t-on. Elle savait que ce serait dur. Son mari aussi. Compositeur, il est désormais technicien dans une radio communautaire. « Le travail sert à s’intégrer et à créer des liens avec les autres. Nous ne voulons pas d’aide financière mais un salaire ! On ne prend pas le travail des Français, nos compétences peuvent profiter à votre pays », clame-t-elle. Son histoire ressemble à tant d’autres. Syriens, Libyens, Irakiens, Soudanais… Débarqués en Europe, ils rêvent d’une vie meilleure.

Depuis début 2015, le flot de migrants a quintuplé. Les conflits au Moyen-Orient poussent les populations à un exode massif. Mais, à la différence de l’Allemagne ou de la Suède, la France est relativement « épargnée ». Selon le ministère de l’Intérieur, l’Hexagone devait recevoir près de 80 000 demandes d’asile en 2015, contre 65 000 en 2014. Conformément au programme européen de relocalisation, il accueillera entre 26 000 et 30 000 migrants dans les deux ans, quatre fois moins qu’outre-Rhin.

Notamment parce que notre pays ne fait pas fantasmer des populations qui craignent chômage et précarité. Or, au-delà du logement, le principal enjeu d’une intégration réussie, comme le soulignait Nawal, reste l’emploi. Sans activité professionnelle, pas de ressources et, surtout, un risque de diabolisation. Les centres Afpa qui accueillent depuis septembre quelque 200 migrants de Calais l’ont constaté. Entre ceux qui enchaînent les cigarettes faute de pouvoir travailler et ceux qui partent le matin au boulot, ça grince. « C’est humainement inacceptable et socialement difficile à gérer », reconnaît Christophe Donon, directeur de la stratégie de l’Afpa.

Travail au noir.

Jusqu’en juillet 2015, un demandeur d’asile ne pouvait occuper un poste ou suivre une formation durant l’instruction de son dossier. Qui atteignait seize mois en moyenne ! Depuis cet été, cette interdiction tombe au bout de neuf mois. Mais à condition que la préfecture n’oppose pas la situation locale du marché de l’emploi. En clair, si le chômage est élevé, aucun espoir. Ce qui encourage le travail au noir, les demandeurs d’asile ne touchant que 8 euros par jour d’allocation. « Dans les faits, ils ne sont jamais inscrits à Pôle emploi, observe Florent Gueguen, directeur général de la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale. L’État ne les considère pas comme des réfugiés potentiels, mais comme des déboutés potentiels. »

Pourquoi, en effet, investir sur leur devenir professionnel si moins du quart des dossiers est accepté ? « On gère l’urgence : l’administratif, le logement, l’accès aux soins. Mais tout être humain a besoin d’avoir une perspective d’insertion, souligne Rémi Bordet, directeur du développement du service public de l’Afpa. C’est pourquoi, très rapidement, il est important de proposer un travail préparatoire sur un projet professionnel permettant ensuite une utilisation efficace des dispositifs de droit commun. »

Une fois la demande acceptée, deux types de protection internationale existent : celle accordée aux persécutés politiques au titre de la convention de Genève de 1951. Et celle octroyée aux recalés mais qui ne peuvent être renvoyés dans leur pays d’origine en raison d’un « risque caractérisé ». Dans les deux cas, c’est une fois qu’ils sont sous ce « parapluie » que leur intégration professionnelle commence réellement. Ou, en tout cas, qu’on s’en préoccupe. Revenu de solidarité active, Sécurité sociale, allocations familiales… Ils bénéficient de toute la couverture sociale et on ne peut les cantonner aux listes de métiers réservés aux étrangers. Seuls ceux qui exigent la nationalité française leur sont interdits. Quant à leur employeur, il n’a pas à s’acquitter de la taxe due à l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) pour embauche d’un travailleur non européen.

Pour leur mettre le pied à l’étrier, ils doivent signer un contrat d’accueil et d’intégration. Créé en 2007, celui-ci comporte des modules sur le « vivre ensemble en France », un test linguistique et un éclairage administratif. Le volet sensibilisation à la recherche de travail, « Vivre et accéder à l’emploi en France », a été enrichi. « Nous l’adaptons pour tenir compte des besoins des bassins d’emploi », souligne Valérie Gilton, la directrice de l’accueil et de l’intégration de l’Ofii.

Preuve de la montée en puissance du dispositif, 9 786 contrats ont été paraphés par des réfugiés en 2014 contre 7 919 un an plus tôt. Mais les financements n’ont pas suivi. Au contraire, ils ont été rabotés depuis trois ans. Selon l’étude d’impact du projet de loi sur les droits des étrangers, il manque 5 millions d’euros pour proposer un programme d’intégration efficace. Résultat, le bilan de compétences professionnelles est passé à la trappe. Les formations linguistiques, non obligatoires, ne profitent qu’à 22 % des signataires. Le niveau visé est très léger, même si la loi l’a relevé. « Avec ces différentes décisions, nous allons doubler le nombre de personnes formées en 2016 », défend la directrice de l’Ofii. Il n’empêche, le seuil reste toujours insuffisant pour occuper un emploi. « L’État crée l’obligation de parler français mais ne propose aucune structuration de l’apprentissage de la langue ! déplore Céline Guyot, responsable du pôle juridique de l’Association service social familial migrants (Assfam). Pourtant, c’est un public très demandeur de formation car reconnaissant d’avoir été protégé. »

Partie de rien, Nawal se fait très bien comprendre. Mais elle sait que pour trouver un travail il va lui falloir encore progresser. « Aucun institut ne propose des cours intensifs et pas trop chers ! » regrette-t-elle. L’association Revivre, qui apporte son soutien aux réfugiés syriens, lui a offert une formation, à raison de trois heures par semaine pendant quatre mois. À Paris, des étudiants en langues orientales dispensent également bénévolement des cours de français langue étrangère (FLE).

Frein linguistique.

Comme ailleurs en Europe, le tissu associatif prend le relais de politiques publiques défaillantes. À Villeurbanne, Zineb* a reçu 120 heures de cours et 60 heures de théâtre pour briser sa peur de s’exprimer. Grâce à Forum Réfugiés-Cosi, cette Irakienne de 27 ans a doublé son niveau. « Il y a tellement de demandeurs d’emploi sur le marché que le frein linguistique se fait plus sentir aujourd’hui », relève Chloé Monin, responsable emploi de cette association rhodanienne. Face aux risques d’ancrage dans la précarité et à l’absence de prise en charge spécifique, Forum Réfugiés propose, depuis 2002, le programme « Accelair », qui facilite l’accès au logement, à l’emploi et à la formation. Les bailleurs sociaux du département s’engagent à fournir 240 logements par an aux réfugiés installés depuis moins d’un an sur le territoire.

Ateliers de recherche d’emploi, préparation aux entretiens, construction du projet professionnel, analyse et transfert des savoir-faire… Accelair propose même des formations FLE adaptées aux métiers du BTP, de la restauration collective ou du nettoyage et sensibilise les travailleurs sociaux et les conseillers de Pôle emploi aux spécificités culturelles. « Quarante-sept nationalités suivent le programme, c’est autant de façons de travailler différentes, observe Chloé Monin. En France, par exemple, le respect des horaires apparaît primordial. Ailleurs, arriver en retard n’est pas forcément mal perçu. » Mille deux cents personnes par an bénéficient de ce soutien. Si le public a crû de 50 % ces trois dernières années, les financements, eux, ne bougent pas, obligeant l’association à se tourner vers des fondations privées.

L’Afpa va aussi lancer une offre de services d’accompagnement social en partenariat avec le Groupe SOS et Adecco Insertion. Bilan de compétences, validation des acquis, appropriation des codes culturels du travail en France seront proposés à près de 1 200 personnes venues des hotspots d’Italie et de Grèce. « Entre les conflits et les désordres climatiques, la problématique des migrants est durable, estime Christophe Donon. C’est un enjeu de cohésion sociale. Laisser une partie de la population en déshérence plombera la vie collective et économique. » Des actifs mettent aussi leurs réseaux à contribution. Membre du Haut-Commissariat aux réfugiés, Kavita Brahmbhatt a créé une plate-forme virtuelle pour mettre en relation exilés et employeurs, « Action Emploi Réfugiés ». « Le travail doit faire partie de l’accueil, estime-t-elle. Trop souvent, ils se déqualifient. »

Déclassés.

Même épaulés par un tissu associatif hyperréactif, ces déplacés connaissent des parcours difficiles. Tel ce chef d’entreprise aujourd’hui dans le nettoyage faute de maîtriser le français. Ou cette licenciée en économie peintre au noir dans le bâtiment. « Quand vous êtes migrant, vous ne recommencez jamais au même niveau que dans votre pays », pointe Céline Guyot, de l’Assfam. Zineb était professeure de géographie. Elle aimerait garder des enfants. « Je voudrais tellement travailler, mais c’est difficile », déplore-t-elle.

Marine, chargée de mission à l’association Revivre, connaît quantité de Syriens diplômés qui désespèrent de rebondir. « Certains sont placés dans de petites villes et ils ne comprennent pas pourquoi on les met là, loin de tout alors qu’ils veulent être utiles ! » raconte-t-elle. L’intégration prend du temps, se fait par étapes. Pas simple d’obtenir l’équivalence de ses diplômes quand on n’a pu partir avec ! La tentation est grande de parer au plus pressé. « Quand vous vous êtes exilé seul et avez besoin d’argent pour faire venir votre famille, vous prenez n’importe quel travail car il y a urgence », souligne Chloé Monin. La communauté est certes toujours là pour dépanner, mais avec le risque de s’exclure davantage. « La plupart vont travailler dans la restauration et le BTP, avec des gens qui ne parlent pas français. Ceux qui ont limité la communautarisation ont une meilleure intégration », remarque la responsable juridique de l’Assfam.

Entre les attentats parisiens et la montée du FN aux élections régionales, nombre d’acteurs locaux redoutent le développement d’un sentiment antiréfugiés. Ils craignent aussi les coupes dans les subventions. Une aberration. Deux tiers des exilés accompagnés par Forum Réfugiés accèdent par exemple à l’emploi ou à la formation en moins de huit mois…

Réfugié

Personne « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, sa religion, sa nationalité, son appartenance à un certain groupe social, ses opinions politiques ».

(Convention de Genève du 28 juillet 1951.)

64 811 C’est le nombre de demandes d’asile déposées en 2014.

14 512 ont été satisfaites, principalement pour des Congolais (RDC), des Russes, des Sri Lankais, des Syriens.

Source : Ofpra, rapport d’activité 2014.

* À la demande du témoin, le prénom a été modifié.

Auteur

  • Emmanuelle Souffi