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Au Royaume-Uni, le règne du moins-disant

À la une | publié le : 03.01.2016 | Tristan de Bourbon

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Au Royaume-Uni, le règne du moins-disant

Crédit photo Tristan de Bourbon

L’intégration des réfugiés pâtit de la politique d’austérité et des restrictions d’accès au marché du travail.

« Je suis allé à un entretien dans une agence de recrutement. À mon arrivée, ils ont regardé ma carte biométrique de réfugié, qui est mon seul document d’identité. Ils m’ont dit qu’ils ne la reconnaissaient pas comme un document légal. Mon rendez-vous s’est arrêté net. » Ce témoignage a été recueilli par Sheila Heard, une spécialiste des migrations qui a créé Transitions. Avec les moyens du bord, cette structure conseille les réfugiés dans leur recherche d’emploi et parfois les demandeurs d’asile, qui n’ont pas le droit de travailler pendant les douze premiers mois suivant le dépôt de leur demande. « Nous ne sommes que deux employées et travaillons depuis chez nous ; nous organisons nos rendez-vous dans des cafés… Nous sommes débordées. Nous n’avons pu suivre que 25 réfugiés cette année. Pour en aider plus, il faudrait embaucher, mais nous ne pouvons pas », explique-t-elle.

De 1998 à 2010, cette militante était conseillère emploi au sein du département d’évaluation et d’orientation des réfugiés des universités londoniennes Metropolitan et South Bank. Jusqu’à son licenciement, alors que son programme produisait des résultats encourageants. Une conséquence de la politique d’austérité du gouvernement qui décide, à l’époque, de couper les subventions destinées aux organisations caritatives et aux institutions opérant auprès des demandeurs d’asile et des réfugiés. « Avant 2010, tout était très différent : de nombreuses ONG aidaient les réfugiés à s’intégrer, professionnellement en particulier, se souvient Jenny Phillimore, professeure de migration et de diversité au sein du département de politique sociale de l’université de Birmingham. Aujourd’hui, il n’en reste qu’une poignée. »

Syriens, Irakiens, Soudanais… Ils sont pourtant très nombreux à rêver de jours meilleurs outre-Manche, le plus souvent au départ de Calais. De juillet 2014 à juin 2015, le Royaume-Uni a reçu 25 771 demandes d’asile, soit une hausse de 9,6 % par rapport aux douze mois précédents. Les associations, amputées de leur budget, peinent à financer leurs projets et doivent se lancer dans une course de fond semée d’embûches. « Toutes les organisations survivantes peinent financièrement », observe Sheila Heard. Et pourtant, on reste très loin des flux enregistrés en 2002, avec 84 132 dossiers déposés.

Effondrement des dispositifs.

Transitions vit grâce aux contributions d’une fondation caritative et des entreprises qui utilisent ses services. À Londres, seules six autres entités accompagnent les réfugiés dans leur quête d’un emploi. La baisse des subventions s’est accompagnée d’un effondrement des dispositifs de soutien aux migrants. Dès 2002, la classe politique avait commencé à se désengager. « Jusqu’à cette date, les demandeurs d’asile étaient autorisés à travailler immédiatement, mais le gouvernement a prétexté qu’ils servaient d’aimants à leur famille, se souvient la professeure de Birmingham. Malgré le boom économique, on a rendu le pays le moins attrayant possible. » Depuis, la loi a restreint l’accès au marché du travail. Le ministère de l’Intérieur doit désormais délivrer une autorisation, qui n’est pas automatique, pour pouvoir occuper un emploi. De peur de voir leur demande refusée, beaucoup n’osent pas tenter leur chance. Ils doivent alors se débrouiller pour vivre avec une aide très limitée, de 160 livres par mois, soit 224 euros.

Résultat, nombreux sont ceux qui sacrifient leurs ambitions professionnelles. « La plupart sont qualifiés mais le gouvernement n’accompagne pas leur intégration via des formations pour leur permettre d’adapter leur savoir ou de comprendre le fonctionnement du système britannique », déplore Sheila Heard. Bien souvent, ils n’exercent donc pas dans leur domaine de spécialité et alternent ou cumulent des emplois mal payés et peu qualifiés. Quant à leurs droits, ils ne sont pas non plus protégés. Le gouvernement conservateur a refusé d’intégrer les réfugiés à la loi sur la discrimination de 2010.

Auteur

  • Tristan de Bourbon