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L’étau se resserre sur les compensations financières

Dossier | publié le : 03.12.2015 | Valérie Devillechabrolle

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L’étau se resserre sur les compensations financières

Crédit photo Valérie Devillechabrolle

Conçues en 1974 pour contrebalancer les écarts de démographie entre salariés, professions libérales, agriculteurs ou fonctionnaires, les compensations entre régimes sont devenues inéquitables. Mais les réformer s’annonce délicat, voire explosif.

Interpellés par une question prioritaire de constitutionnalité déposée au printemps par la Caisse autonome de retraite des médecins de France (Carmf), les sages de la Rue de Montpensier ont finalement botté en touche. « Le mécanisme de compensation démographique en retraite n’entraîne pas de rupture caractérisée de l’égalité devant la charge publique », ont-ils tranché dans une décision du 20 octobre. Au motif, notamment, que « les différences de traitement entre les régimes obligatoires sont inhérentes à leur diversité historique ».

Si l’ancien président de la Carmf, Gérard Maudrux, « ne se faisait guère d’illusions sur l’issue de ce recours », il n’a pas dit son dernier mot. « Nous allons étudier les moyens de poursuivre ce combat au niveau européen », prévient-il. Car ce trublion n’en démord pas. « Le mode de calcul de cette compensation est injuste », continue-t-il à affirmer. Il en veut pour preuve qu’« un smicard libéral va débourser 1 000 euros de compensation démographique par an contre 200 euros pour un smicard salarié ».

Sur le fond, cette usine à gaz, inventée en 1974 à titre… temporaire – en attendant la création d’un « système commun à tous les Français » –, partait pourtant d’une bonne intention. Il s’agissait de compenser par des transferts financiers les déséquilibres démographiques entre les régimes des secteurs d’activité créateurs d’emplois (salariés, fonctionnaires, libéraux) et ceux structurellement en décroissance (exploitants et salariés agricoles, artisans et commerçants, mines). Comme les revenus des indépendants ne pouvaient pas, en 1974, être définis dans les mêmes conditions que ceux des salariés publics et privés, le système est alors organisé en deux étages, régis par des règles de calcul distinctes : un premier niveau entre les seuls régimes salariés prenant en compte à la fois les critères démographiques et les capacités contributives de leurs affiliés ; et un second niveau entre régimes salariés et non salariés assis sur les seuls rapports entre nombre de cotisants et de bénéficiaires. Quarante ans plus tard, la compensation démographique est toujours en vigueur et ses paramètres font débat.

Double emploi

La non-prise en compte des capacités contributives induit toujours le soupçon de voir les dispositifs les moins généreux financer les avantages particuliers ou les pensions moyennes plus élevées de certains régimes. « Est-il normal que les artisans et commerçants, qui profitent à plein de la compensation démographique nationale pour leur régime de base, aient les moyens de se constituer une cagnotte de 13 milliards d’euros correspondant à sept ans de prestations au titre de leur régime complémentaire ? » relève Gérard Maudrux. « Ne pas tenir compte des durées d’affiliation aux régimes biaise le choix de la pension moyenne de référence au profit de régimes caractérisés par leur faible durée d’affiliation, tels que ceux des salariés agricoles ou des artisans-commerçants », pointe, de son côté, le Haut Conseil du financement de la protection sociale (HCFPS) dans un rapport de juillet.

En outre, certaines compensations peuvent faire double emploi avec d’autres mécanismes financiers destinés à assurer l’équilibre de certains régimes. À l’instar des versements opérés par la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav) à la Mutualité sociale agricole (MSA) au titre des exploitants et salariés agricoles, alors que ces derniers sont depuis 2015 financièrement intégrés à la branche vieillesse du régime général. « Pourquoi laisser persister la coexistence de ces deux mécanismes qui poursuivent sensiblement le même objectif ? » se demande cette instance présidée par Mireille Elbaum.

Un message reçu cinq sur cinq par les pouvoirs publics s’agissant des compensations bilatérales versées par la branche maladie à certains régimes spéciaux (SNCF, mines). Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2016 prévoit de les supprimer purement et simplement en contrepartie de leur intégration financière au régime général. Mais la question se pose aussi pour les quelque 6 milliards d’euros de subventions d’équilibre versés par l’État à certains régimes spéciaux (SNCF, mines, marins, RATP, Seita). « Une consolidation de ces transferts pourrait contribuer à clarifier les logiques de financement à l’œuvre », estime le HCFPS.

Reste que tous ceux qui s’attaquent à ce totem marchent sur des œufs, sachant que « toute réforme à somme nulle conduit nécessairement à des perdants et des gagnants », comme n’avait pas manqué de le relever Raphaël Hadas-Lebel, l’ancien président du Conseil d’orientation des retraites. Les pistes de cette dernière instance – fusion en un seul étage et prise en compte des capacités contributives – ont ainsi été tout bonnement enterrées en 2011. Et pour cause : le régime des exploitants agricoles risquait d’y perdre plus de 30 % de cette manne, qui représente… près de la moitié de ses ressources !

Pistes explosives

Dans son rôle de poisson pilote des pouvoirs publics, le HCFPS s’est attelé cet été à chiffrer l’impact financier de plusieurs scénarios. À commencer par la globalisation, à règles de calcul constantes, de tous les mécanismes de transfert recensés. Dans cette hypothèse, les flux de compensation, qui devraient atteindre 7,8 milliards d’euros en 2015 pour les 18 régimes impliqués, chuteraient de moitié. Ceux de la Cnav seraient même divisés par cinq, une fois déduits les flux de la MSA et du Régime social des indépendants (RSI). La Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) deviendrait alors le principal contributeur, à hauteur de 1,4 milliard d’euros, loin devant la Caisse nationale d’assurance vieillesse des professions libérales (CNAVPL) et ses 710 millions d’euros versés. Le régime des exploitants agricoles demeurerait, lui, le principal bénéficiaire, avec 3,5 milliards d’euros reçus.

Autre piste examinée par le HCFPS, la fusion des deux étages de compensation complétée par le regroupement des régimes intégrés (Cnav, RSI et salariés agricoles), d’un côté, et des régimes subventionnés, de l’autre (mines, marins, SNCF, RATP et ouvriers de l’État). Le résultat serait tout autre, faisant perdre aux exploitants agricoles entre 1,2 et 1,5 milliard d’euros de financement. Les fonctionnaires de l’État en seraient les principaux gagnants : ils passeraient de contributeurs, à hauteur de près de 270 millions d’euros, à bénéficiaires de plus de 600 millions d’euros. Un avantage qui s’annulerait si la réforme prenait aussi en compte les capacités contributives de chacun de ces régimes. La CNRACL, elle, y perdrait beaucoup, sa contribution progressant de 1,4 à 2,9, voire 3,2 milliards d’euros selon le scénario envisagé. Autant dire qu’avant de se lancer dans un tel big bang, le gouvernement va y regarder à deux fois. Et privilégier les petits pas.

Auteur

  • Valérie Devillechabrolle