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Discrètement (ou pas), toutes les banques réduisent la voilure

Décodages | publié le : 03.12.2015 | Éric Béal

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Discrètement (ou pas), toutes les banques réduisent la voilure

Crédit photo Éric Béal

Bousculés par la révolution numérique, les établissements bancaires ont engagé une réduction de leur réseau d’agences. Plus ou moins brutalement selon les enseignes. Les syndicats craignent les conséquences sur l’emploi.

Révélée fin septembre par la fédération syndicale FO Banques, l’information a fait l’effet d’une petite bombe. La Société générale prévoit de fermer environ 400 agences d’ici à fin 2020, soit 20 % de ses points de vente en France. Et de supprimer 2 000 postes de travail. Début novembre, Bernardo Sanchez Incera, son directeur général délégué, a confirmé l’information. En précisant que l’enseigne avait l’intention d’investir 1,5 milliard d’euros pour moderniser ses systèmes informatiques et dématérialiser ses processus. Bon gré mal gré, l’établissement de la Défense est ainsi le premier à assumer publiquement une réduction drastique du nombre de ses agences.

L’événement n’est pas anodin car la France est le pays d’Europe qui possède le maillage le plus serré de guichets bancaires. Soit 37 623 en 2014, selon les dernières statistiques de la Banque centrale européenne. Et 60 % des quelque 370 000 salariés recensés cette même année par la Fédération bancaire française travaillaient dans ces points de vente physiques. La banque est-elle appelée à devenir la nouvelle « sidérurgie » de ce début de xxie siècle ?, comme le prophétisaient Simon Nora et Alain Minc dans un rapport datant de presque quarante ans.

La question s’avère très pertinente pour un secteur frappé de plein fouet par la révolution numérique. L’accès facile à son compte personnel au moyen d’un smartphone ou d’un ordinateur pousse les clients à déserter les agences bancaires. En 2010, plus de la moitié (52 %) des Français se rendaient plusieurs fois par mois dans leur agence, selon l’Observatoire des métiers de la banque. Ils ne sont plus que 21 % aujourd’hui. Ce changement de comportement a des conséquences majeures sur les métiers de la banque de proximité, notamment pour les gestionnaires de back-office et les chargés de clientèle.

Les premiers disparaissent petit à petit quand les seconds voient leur activité se transformer. Ils doivent maintenant gérer les relations avec leurs clients en « multicanal », ces derniers pouvant par exemple simuler leur prêt en ligne puis se rendre en agence pour négocier ou se faire conseiller. Si l’on ajoute l’arrivée de nouveaux concurrents sur le Web et la diminution drastique des taux d’intérêt, le secteur paraît à l’aube d’une restructuration majeure. Pour autant, les syndicalistes ne font pas montre d’un pessimisme exacerbé. Les banques, qui ont massivement embauché dans les années 1970, peuvent compter sur les départs à la retraite. De quoi gérer la mutation en cours sans trop de licenciements.

Agences désertées.

Autant dire que les responsables de fédération syndicale n’ont pas été surpris par l’annonce de la Société générale. « Toutes les enseignes ont déjà commencé à réduire en douce le nombre de leurs agences », résume l’un d’eux. « Entre les automates pour distribuer les espèces ou les chéquiers et les cartes bancaires, les directions ont tout fait pour que les clients désertent les agences », complète Luc Mathieu, leader de la CFDT Banques. Aucun ne conteste cependant que la relation avec les clients a changé. « Aujourd’hui, ils demandent des informations pointues. Lorsqu’ils viennent voir leur conseiller pour une demande de prêt, ils ont d’abord glané des informations sur le Web et, très souvent, ils en savent plus que lui sur l’état du marché », renchérit Régis dos Santos, président du SNB CFE-CGC. Pour autant, les syndicalistes se plaignent souvent d’un manque d’informations. « Nos interlocuteurs ont du mal à partager leurs réflexions stratégiques. Ils préfèrent annoncer les fermetures au compte-gouttes et se retranchent derrière le digital pour justifier les évolutions en cours. Mais ils ne s’aventurent pas à parler des données chiffrées sur les conséquences sociales de cette réorganisation », remarque Valérie Lefebvre-Haussmann, secrétaire générale de la CGT Banque.

Ce profil bas des directions fait écho à la prudence de l’Association française des banques en début d’année. Invitée par le gouvernement à signer un pacte de responsabilité l’engageant à recruter, l’AFB, qui rassemble les banques commerciales non mutualistes, a promis de procéder à 40 000 embauches dans la période 2015-2017. C’est certes plus qu’en 2013 (31 000 recrues) et 2014 (35 000 recrues). Mais, compte tenu des départs à la retraite, l’engagement masque une régression des effectifs de 1,5 %.

Manque d’informations.

Resserrement des réseaux et évolution des métiers de la banque de proximité ne sont pas abordés de la même façon selon les enseignes. Seul point commun, la volonté de réorganiser sans faire de remous sociaux. À la Société générale, Édouard-Malo Henry, le DRH, a invité les partenaires sociaux à négocier un accord d’accompagnement qui devrait faciliter les mobilités internes engendrées par la restructuration. Un plan de formation est également prévu pour développer l’expertise des salariés. Le nouveau texte prendra le relais de l’accord de gestion de l’emploi signé en 2013, qui arrive à échéance en février 2016. Côté syndical, le SNB est résolu à ne laisser personne sur le côté de la route. « Les salariés ont été solidaires de la direction pendant l’affaire Kerviel et la crise de 2008, nous exigeons en retour des mesures pour les accompagner. Et nous ne nous contenterons pas de bonnes intentions, nous voulons des propositions précises », assène Jean-Pierre Clauzel, son leader.

L’inquiétude des syndicats est attisée par le manque d’informations précises. En comité central d’entreprise, la direction n’a présenté que la partie 2016 de son projet économique qui comporte 74 fermetures de points de vente et la réorganisation de 120 agences. Avec suppression des chargés d’accueil, que doivent suppléer les conseillers de clientèle. Au risque de détériorer considérablement les conditions de travail de ces derniers. « On nous dit que les nouvelles technologies vont faciliter le suivi des clients, remarque Philippe Fournil, délégué CGT. Mais pour le moment nous avons le sentiment que tout est à l’état de réflexion. Les investissements sont loin d’être décidés. »

Chez LCL, le projet stratégique « Centricité clients 2018 » passe par un plan de sauvegarde de l’emploi, validé par la Direccte en janvier. Il prévoit la suppression de 1 658 postes, dont 80 % dans le réseau. Quelque 70 fermetures d’agences sont également programmées. Parallèlement, la filiale du Crédit agricole va créer des centres de relation clients qui se substitueront aux plates-formes téléphoniques en 2018. Pour autant, la direction espère éviter les licenciements économiques en profitant des 1 750 départs à la retraite prévus entre 2015 et 2018. Une communication mensongère pour la CGT, non signataire de l’accord de PSE. « On en est à 46 licenciements en moins de six mois, après la fermeture des back-offices. Et ils n’ont pas encore attaqué le réseau », calcule Michel Gutierrez, le délégué syndical. Il dénonce aussi les conditions dans lesquelles s’effectue la mobilité interne. « La direction a décrété que les conseillers aux particuliers ou aux professionnels et les directeurs d’agence faisaient le même métier et étaient interchangeables. Par ailleurs, les postes de contrôleurs sont supprimés en régions et les salariés doivent accepter une mutation. S’ils refusent, ils seront licenciés économiques mais sans profiter des mesures du PSE. »

« Pas d’accord ».

Ailleurs, les partenaires sociaux en sont restés au stade de la concertation. Annick Verdier, la DRH de la banque de détail en France de BNP Paribas, estime que les discussions sur le sujet ont été bouclées il y a un an. « Après avis des partenaires sociaux, nous avons démarré les programmes de formation des managers et des équipes, qui se poursuivront pendant deux ans », explique-t-elle. Une vision contestée par les syndicalistes. « La direction veut réaménager les agences, mais nous n’avons aucun plan précis et encore moins d’accord sur le comment », déplore Rémi Gandon, représentant du SNB CFE-CGC. Durant les quatre dernières années, BNP Paribas a fermé une cinquantaine d’agences, surtout dans les zones rurales. Sans un seul PSE. « Ceux qui sont touchés ont deux possibilités, précise François Besnard, délégué CGT. Soit ils acceptent la mobilité proposée et profitent des règles internes réactualisées en 2014 ; soit ils abandonnent leur poste et finissent licenciés économiques. » Pour le moment, ce système fonctionnerait plutôt bien. « Personne ne choisit d’attaquer aux prud’hommes car les gens se recasent facilement dans d’autres établissements », indique le cégétiste.

Les banques mutualistes aussi suivent le mouvement des fermetures de guichets. Même si elles partent de plus loin : privilégiant culturellement la présence sur le terrain, elles sont à la tête de réseaux très étoffés. Le Crédit agricole à lui seul possède 10 000 agences dans toute la France ! En Ile-de-France, la banque verte compte ramener ses points de vente de 325 à 277 à la fin 2016 en regroupant les plus petits d’entre eux. « Cela se fera grâce à des réallocations de moyens et sans suppression de poste », précise Jean-Marc Cros, le DRH francilien.

Les conseillers de clientèle seront spécialisés par segments et munis de tablettes pour répondre à distance. « Nous avons négocié un accord de mobilité groupe pour plus de fluidité, relayé par d’autres accords en caisses régionales, mais je crains pour l’emploi, lorsque la pyramide des âges ne sera plus aussi favorable », confie Philippe Laisne, du Sneca CFE-CGC. Ici encore, ceux qui n’acceptent pas la mobilité géographique en dépit des aides financières n’ont d’autre choix que de négocier une rupture conventionnelle ou un licenciement économique. Les banques bénéficient encore d’une bonne image auprès du grand public. Toutes cherchent à éviter de l’abîmer dans les affres d’un plan social médiatisé.

Des banques au creux de la vague

Années de vaches maigres, arrivée de nouveaux concurrents et évolution de la clientèle. C’est, en résumé, la situation des banques françaises aujourd’hui. Si les profits se sont maintenus jusqu’à présent, la position traditionnellement confortable des banques en France se fragilise. Le loyer de l’argent étant de plus en plus bas, les clients en profitent pour racheter leurs prêts et emprunter à meilleur taux. Ce qui engendre des réductions du chiffre d’affaires. La révolution digitale, elle, est synonyme de nouvelle concurrence. Les banques en ligne proposent des services à un prix très inférieur à celui des banques traditionnelles. Leur taux de pénétration vient d’atteindre les 11 % en France, d’après une étude Audirep/BforBank de mai 2015. Mais il y a également les géants du Web, tels Amazon, Apple, Google ou Facebook, qui se passent des banques pour se faire payer. Sans oublier les fintech, ces start-up spécialisées dans les technologies financières qui proposent des services bancaires plus efficaces et/ou à moindre coût. Dans une étude publiée le 30 septembre, le cabinet McKinsey estime que les bénéfices des métiers bancaires les plus attaqués pourraient baisser de 20 % à 60 % d’ici à 2025, partout dans le monde.

Auteur

  • Éric Béal