logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Décodages

Des emplois d’avenir bien mal nommés

Décodages | publié le : 03.12.2015 | Catherine Abou El Khair

Image

Des emplois d’avenir bien mal nommés

Crédit photo Catherine Abou El Khair

La très faible efficacité des emplois aidés fait consensus chez les économistes. Mais faute de mieux, les gouvernements y recourent massivement. Celui de Manuel Valls n’échappe pas à la règle, même si l’année 2016 marque une inflexion.

Si j’étais restée au chômage, j’aurais pété les plombs ! » Depuis qu’elle a eu un enfant, Clémence cherche à s’échapper de la précarité. En 2012, elle signe un contrat d’accompagnement dans l’emploi (CAE) pour travailler dans un lycée. Sur un poste d’aide-secrétaire, dégoté par la mission locale, ce qui ne l’enthousiasme guère. La mise sous pli des bulletins scolaires et le tri de dossiers ? Très peu pour elle ! Sept mois plus tard, la voilà agente d’accueil, de nouveau en CAE, à la maison de l’emploi de Pantin. Mieux, mais pas pérenne : à presque 26 ans, elle n’a guère d’espoir d’être titularisée à la fin de son contrat, en décembre. Par manque de budget de la structure…

À l’image de Clémence, des centaines de milliers de jeunes peu qualifiés misent sur les associations, les établissements scolaires ou les collectivités locales pour acquérir une première expérience professionnelle. Et pour cause, ces secteurs forment le trio de tête des plus gros consommateurs de contrats de travail subventionnés. Une arme antichômage dégainée de longue date par les gouvernements de gauche comme de droite. Du contrat emploi solidarité (CES), lancé en 1990, au CAE, créé en 2005, des emplois jeunes (1998) aux actuels emplois d’avenir, les noms changent. Mais les ficelles restent les mêmes : réduire au maximum le reste à charge des employeurs pour créer des postes.

Après Nicolas Sarkozy, qui s’est résolu à y recourir après la crise de 2008, François Hollande y a succombé à son tour. À coups de visioconférences mensuelles, l’ex-ministre du Travail, François Rebsamen, mettait sous pression préfets de région, chefs des Direccte et directeurs régionaux de Pôle emploi pour engranger des contrats. Entre 2012 et 2014, pas moins de 930 000 CUI-CAE ont été signés ou renouvelés. Auxquels s’ajoutent quelque 130 000 emplois d’avenir et 200 000 emplois subventionnés dans le secteur marchand (CUI-CIE). Résultat, le nombre total de bénéficiaires de contrats aidés est reparti à la hausse, après dix ans de décrue. L’an prochain, la ministre du Travail, Myriam El Khomri, devrait y consacrer plus de 20 % de son budget. Même si le nombre de nouveaux contrats prévus s’inscrit en baisse, de 345 000 à 295 000.

Incontournables.

Et pour cause, les limites de cette politique sont bien réelles. Certes, cela permet de sortir les jeunes du chômage. Mais cette amélioration s’avère temporaire dans bien des cas : 56 % des bénéficiaires des CUI-CAE signés en 2012 étaient au chômage six mois après la fin de leur contrat, et 14 % en emploi « non durable », selon les dernières données de la Dares sur le sujet. « L’effet négatif des emplois subventionnés dans le secteur non marchand fait consensus parmi les économistes », confirme Thomas Brodaty, chercheur associé au Centre d’études de l’emploi, auteur d’une toute récente note sur la question. Autre analyse, publiée par l’Insee en juillet, celle d’Isabelle Benoteau. Elle montre que les titulaires d’un CAE ont une probabilité cinq fois plus faible que les autres d’être en emploi deux ans et demi après leur sortie du dispositif. Avant elle, ses confrères Karl Even et Tristan Klein avaient consacré des travaux aux effets du CES, aboutissant aux mêmes conclusions.

Les jeunes en galère devraient-ils fuir ces places, quitte à rester au chômage ? « Cela dépend pour qui et de quels contrats on parle », répond Léa Lima, maître de conférences au Cnam et spécialiste des politiques d’emploi des jeunes. Pour certains, notamment les moins qualifiés, les emplois aidés sont devenus incontournables, ne serait-ce que pour entretenir motivation et employabilité. La faute aux gains de productivité et à l’essor fulgurant des nouvelles technologies, qui détruisent les emplois à faible valeur ajoutée. « L’État offre des dispositifs d’accompagnement sur du temps long. Faire un peu de formation, de l’intérim, passer par des contrats aidés, repasser par une période de chômage est considéré comme normal. C’est le rôle des conseillers d’insertion que de coordonner les dispositifs », insiste Léa Lima.

Le secteur non marchand en a profité. Maisons de retraite, services d’aide à la personne, clubs de sport, crèches… Beaucoup de structures sont devenues dépendantes de ces emplois subventionnés. Et les candidats ne manquent pas. « Le nombre de femmes qui veulent un poste en école primaire ou en maternelle est hallucinant. À plus de 50 ans ou avec un simple niveau CAP, les CUI-CAE offrent des opportunités indéniables. Le secteur privé, lui, est de plus en plus exigeant, avec des conditions de travail plus rudes. À salaire égal, aucun intérêt de s’y risquer », observe une conseillère Pôle emploi d’Argentan (Orne). Solution de repli pour les uns, pis-aller pour les autres, les contrats aidés génèrent des effets contre-productifs, qui débutent très tôt. « Être surveillant de collège est une expérience professionnelle très éloignée de celle à laquelle pourrait prétendre un bachelier dans le secteur privé, illustre Thomas Brodaty. Le cercle vicieux s’enclenche : l’éventualité de décrocher un CDI dans une entreprise s’amenuise. Il est essentiel de valoriser un diplôme par une expérience professionnelle de même niveau. »

Faire du chiffre.

Plan de formation déterminé en amont avec l’employeur, tutorat, travail à temps plein, contrats longs, voire en CDI… Les emplois d’avenir tentent d’éviter les pièges des outils précédents. « C’est la première fois qu’on propose aux jeunes une vraie chance d’accéder à l’emploi durable. La quasi-totalité d’entre eux a eu un engagement de formation. C’est mieux que les CAE », estime Serge Kroichvili, délégué général de l’Union nationale des missions locales. Le dispositif aurait davantage de chances de jouer son rôle de « coup de pouce » car il cible les jeunes sans emploi et à faible qualification. « Il peut se passer plus de choses en trois ans qu’en six mois, confirme Olivier Baguelin, professeur d’économie à l’université d’Évry-Val-d’Essonne et ancien économiste à la DGEFP. Dans les collectivités, la perspective de préparer les concours administratifs peut enclencher, par exemple, une dynamique positive. »

Reste la pratique. Car les opérateurs publics ont du boulot pour atteindre les objectifs décidés au sommet. L’allongement de la durée des contrats implique de trouver encore plus d’employeurs. Difficile, en temps de crise. « La priorité est de faire du chiffre. On a pour consigne implicite d’être moins regardants sur le plan de formation des emplois d’avenir, notamment dans le secteur marchand », confie la responsable d’une mission locale de Haute-Garonne. « Le problème, c’est que tenir des objectifs chiffrés dégrade la qualité du dispositif au niveau individuel », prévient Olivier Baguelin.

Les premières cohortes de jeunes passés par les emplois d’avenir arrivent au terme de leur contrat. Trois ans après leurs débuts, ont-ils été bien formés ? Conseillère à la mission locale de Gennevilliers, Fouzia Bendelhoum s’inquiète : « Quand on explique aux employeurs leur devoir de formation, certains nous font les gros yeux. » Elle cite le cas d’une jeune femme en emploi d’avenir dans une crèche d’entreprise qui devait préparer le diplôme d’État d’auxiliaire de puériculture en parallèle. « La formation s’est révélée beaucoup trop lourde à gérer pour elle, en plus de sa charge de travail, raconte Fouzia Bendelhoum. Il va falloir lui trouver une nouvelle formation. » Ou lui obtenir un autre emploi aidé.

En chiffres

Bénéficiaires de contrats aidés (en milliers)

Source : ASP, traitement Dares.

Auteur

  • Catherine Abou El Khair