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Entrepreneurs… et rien d’autre !

À la une | publié le : 03.12.2015 | Anne Fairise

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Entrepreneurs… et rien d’autre !

Crédit photo Anne Fairise

L’envie de monter sa petite entreprise est très vivace chez les jeunes des « quartiers ». Mais ils sont mal pris en charge par les réseaux d’aide à la création. De nouveaux acteurs tentent d’y remédier.

Non, monter sa boîte n’est pas réservé aux nantis ou aux profils de grandes écoles ! À force de pousser des portes sans succès, Théodore Timboussaint, 28 ans, devenu éducateur sportif après un BTS commercial, avait presque fini par s’en convaincre. Dépité qu’une Junior-Entreprise de HEC lui demande 3 000 euros pour une étude de marché. Fatigué de ne pas trouver, dans les services gratuits, « les conseils ou même l’écoute au niveau souhaité ».

Il a changé d’avis à la Yump Académie (Young Urban Movement Project), qui mise sur les entrepreneurs en herbe des quartiers, qu’ils soient non diplômés ou bac + 5. Le pari ? Leur apporter ce qui fait défaut ailleurs. Un cadre structurant, une formation de six mois – gratuite – mais aussi des rencontres avec des pros, avocats, comptables ou juristes, et des entreprises partenaires, pour se créer un réseau. De quoi construire, valider, éprouver son projet dans tous ses aspects, financiers, juridiques, stratégiques.

Et ça marche. Sur les 170 yumpers qui se sont succédé depuis deux ans dans les antennes de Seine-Saint-Denis et de Paca, 43 % ont déposé les statuts de leur entreprise. Une pierre dans le jardin des grands réseaux d’accompagnement à la création d’entreprise (Adie, Boutiques de gestion, France active, Initiative France, Entreprendre) qui affichent un taux de passage à l’acte de 30 %. « Leurs services standardisés ne sont pas une réponse appropriée aux entrepreneurs des quartiers. Ils ont besoin d’un suivi spécifique, pour avoir les mêmes chances de voir leur projet se concrétiser », tonne Serge Malik, cofondateur de SOS Racisme, à l’origine de cette business school atypique, inspirée d’un programme suédois et créée avec deux entrepreneurs, Tomas Fellbom et Alexander Keiller. « Les grands réseaux n’ont pas de bons résultats. Ce qui fonctionne, ce sont les initiatives locales en lien avec le territoire. On n’accompagne pas les entrepreneurs à Lille comme à Brest », renchérit Majid El Jarroudi, délégué général de l’Agence pour la diversité entrepreneuriale (Adive), qui met en relation créateurs et acheteurs des grandes entreprises.

Coup de pouce.

Et des candidats à l’entrepreneuriat, il y en a. Notamment chez les diplômés issus des minorités dites « visibles » qui ont vu leur désir d’ascension se fracasser contre le plafond de verre, ou n’ont jamais trouvé le poste collant à leur profil. Et qui, parfois, se voient même déconseiller l’entrepreneuriat. « Entre ton voile et la création d’entreprise, faut choisir ! Voilà ce que m’avait dit un consultant », raconte une yumper, presque surprise que personne, dans cette école atypique, ne l’ait jamais renvoyée à son image. « C’est peu courant ».

« Tous les postes d’encadrement m’ont été fermés. À voir les compétences des promus, j’ai compris ce qui coinçait : ma couleur de peau », souffle Théodore Timboussaint, tout jeune patron de Team-S, qui propose des conseils en management aux associations sportives. Pour Hawa Dramé, chargée des antennes Yump du nord de Paris, la forte proportion de projets dans le consulting n’est pas anodine. Elle y voit une forme de revanche sociale : « C’est une façon de démontrer qu’ils sont très capables même s’ils n’ont pas pu le prouver. »

Ce coup de pouce comble un déficit. « Les quartiers ont une image désastreuse qui ressurgit sur leurs habitants et leur confiance. Ils en gagnent en évoluant dans un réseau qui ne les discrimine plus », confie Serge Malik. Le projet de Rym Ben Tili, devenue mère au foyer après un master 2 d’économie et quelques années derrière un guichet de banque, y a pris de l’ampleur. « J’avais de petites ambitions, travailler pour des particuliers. La confrontation avec des professionnels m’a décomplexée », note la chef d’entreprise, traiteur en pâtisseries depuis deux ans. Avec la Sweet table, elle a déjà garni les buffets d’Altran, d’Essilor ou de L’Oréal. Il faut dire que l’investissement de la Yump Académie est à l’avenant : 17 000 euros par « élève ».

À Cergy, dans le Val-d’Oise, Moussa Camara partage la même détermination. Le président d’Agir pour réussir (AGPR) s’est lassé « de voir revenir des jeunes frustrés de leur rendez-vous avec les grands réseaux. Ils s’en détournent car ils ne parlent pas le même langage. Ils ont des envies et des idées, pas de projet clés en main ni d’argent ». De surcroît, les banques jouent rarement les philanthropes quand on est jeune, sans fonds propres, domicilié à la mauvaise adresse. « La triple peine », reconnaît un conseiller financier.

Plutôt que de repérer les candidats pour les grands opérateurs, AGPR a monté une formation dédiée, avec le Medef et l’aide financière du groupe de protection sociale Klesia. Pour structurer les projets, pas réinventer la roue. Les « déterminés », nom de la première promotion, ont fait le grand saut. Ils ont été invités à plancher sur leur projet avec des professionnels, cinq semaines durant début 2015, dans les locaux mêmes de l’organisation patronale, en plein Paris. De quoi commencer à endosser le costume de patron. « Une formation de ce niveau, c’est une chance. Quand j’étais salarié, on m’a refusé toutes mes demandes », souffle Abdoulaye Sidibé, 28 ans, ancien technico-commercial chez Siemens, qui va déposer les statuts d’un cabinet de conseil en insertion. Dix mois après la formation, six des quinze participants ont créé leur société, dans les télécoms, l’événementiel, l’habillement, les transports…

Étiquette.

Sous l’impulsion du ministère du Travail, les grands réseaux commencent, petitement, à concevoir des dispositifs dédiés « jeunes entrepreneurs des quartiers prioritaires ». À l’image du réseau des Boutiques de gestion. Depuis fin 2014, 30 jeunes coachés par des experts bossent leur projet, rémunérés 1 425 euros brut par mois via le dernier-né des contrats aidés, un emploi d’avenir d’un an, renouvelable deux fois. « C’est plus de temps pour mon projet d’import-export », commente Mohammed Boussata, 23 ans. Domicilié à Compiègne (Oise) et licencié en commerce international, il a ainsi pu arrêter de courir les missions d’intérim. Mais cette expérimentation heurte le credo du réseau associatif. « On se bat depuis trente-cinq ans pour développer l’entrepreneuriat, pas pour mettre une étiquette sur le front de personnes qui en souffrent déjà. Elles doivent être considérées comme des entrepreneurs ayant eu un parcours compliqué, et non des habitants de quartiers qui entreprennent. L’absence de réseau ou de fonds propres ne leur est pas spécifique », souligne Sophie Jalabert, déléguée générale des Boutiques de gestion.

Coordonner.

L’activité des grands réseaux est pourtant dans le collimateur des pouvoirs publics. Le diagnostic est connu : trop d’intervenants ne tirant pas tous dans le même sens et une couverture à trous de la carte des quartiers. « Nous avons tous un énorme travail de communication à faire auprès du public qui peut être perdu », concède Sophie Jalabert, qui estime couvrir 70 % des quartiers prioritaires. Dotée de 110 millions d’euros, l’agence France Entrepreneur veut y remédier. Elle vise à centraliser les moyens et à mieux coordonner les intervenants. « C’est un moyen d’optimiser les actions, car les ressources publiques sont limitées », note un expert.

Mais les objectifs s’avèrent très raisonnables, au regard des 1 300 quartiers concernés : assurer un accompagnement plus continu, aider d’ici à deux ans 10 000 entrepreneurs à faire leur première embauche… On est loin d’un changement radical. « Plutôt que de donner une ambition d’accompagnement aux réseaux, il fallait fixer un objectif de suivi de tous les entrepreneurs des quartiers », estime Sylvie Saget, responsable de l’association gérant la pépinière d’entreprises de La Courneuve. « Beaucoup d’acteurs se positionnent sur l’amorçage de projets pour aider les jeunes au chômage à créer leur emploi. Mais les vraies carences sont dans l’accompagnement stratégique et financier des entrepreneurs en phase de développement », estime Majid El Jarroudi (Adive). Pas sûr que ce soit l’objectif prioritaire de France Entrepreneur, dédiée « aux territoires fragiles ». Et non aux seuls quartiers.

Auteur

  • Anne Fairise