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Des entreprises accros au parrainage

À la une | publié le : 03.12.2015 | Anne-Cécile Geoffroy

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Des entreprises accros au parrainage

Crédit photo Anne-Cécile Geoffroy

Pour faciliter l’insertion des jeunes, les employeurs ne jurent plus que par le parrainage. Une façon de jouer la diversité en s’appuyant sur l’adhésion des salariés.

Pour Yazid Chir, il n’y a plus à mégoter ! Le parrainage de jeunes des quartiers populaires par des cadres d’entreprise est l’outil « le plus efficace pour relancer l’ascenseur social et lutter contre le chômage qui les touche », estime le président de Nos quartiers ont des talents (NQT). La preuve ? Le bilan de son association créée en 2005 en Seine-Saint-Denis et qui opère aujourd’hui sur l’ensemble de la France. « En dix ans, nous avons parrainé plus de 27 000 jeunes. 71 % trouvent un emploi après un accompagnement qui dure en moyenne sept mois. Et sur les dix prochaines années nous avons l’ambition d’accompagner 100 000 jeunes », assure le chef d’entreprise.

Cette réussite s’appuie sur un réseau de 800 entreprises et administrations publiques partenaires et de 7 000 parrains et marraines. Une machine de guerre qui n’a pas échappé à François Hollande, en quête d’actions concrètes pour renouer avec des banlieues qui ont voté en masse pour lui en 2012. Fin octobre, il annonçait son intention de voir 60 000 jeunes pris en charge dans le cadre d’un parrainage d’ici à 2017, toutes associations confondues, contre 30 000 aujourd’hui. Ambitieux ou petit bras ? L’objectif affiché est bien difficile à qualifier. Les structures qui œuvrent sur ce créneau sont nombreuses et leurs actions mal évaluées. Surtout, l’annonce a le « mérite » de ne pas coûter un sou à l’État.

Ces dix dernières années, l’ouverture des entreprises vers les jeunes des quartiers s’est ainsi effectuée essentiellement à travers un réseau d’associations. Qui, pour certaines, émanent des entreprises elles-mêmes. À l’instar de « 100 chances 100 emplois », créée à l’initiative de Schneider Electric, qui revendique 746 entreprises partenaires pour 3 500 jeunes cornaqués en dix ans. Ou de Passeport Avenir, née dans le giron de SFR, qui a suivi 5 000 jeunes diplômés d’université et de grande école depuis 2006 à travers des programmes de parrainage. Dans ce cadre, 1 500 mentors, cadres de haut niveau issus de 30 entreprises adhérentes, se mobilisent chaque année pour donner les clés de compréhension et les codes de l’entreprise aux jeunes de milieu modeste.

Jeunes lycéennes.

Quant à Orange, il a lancé en 2011 l’association Capital Filles, en ciblant spécifiquement les jeunes lycéennes des quartiers et des zones rurales. Mission ? Les éclairer dans leur choix d’orientation et les accompagner le temps de leur formation dans l’enseignement supérieur. Des structures ambitieuses qui viennent compléter la multitude d’associations locales, moins médiatiques, plus modestes mais pas forcément moins efficaces, comme Proxité, en Seine-Saint-Denis, qui travaille au développement du parrainage depuis 2001.

Faut-il regretter que les initiatives ne viennent pas de l’Éducation nationale ? Non, pointe Benjamin Blavier, le délégué général de Passeport Avenir. « Ce n’est pas à l’école de s’attaquer seule à l’énorme chantier de l’égalité des chances. Les enseignants ne sont pas les « hussards noirs » de la République. Si on continue à se raconter cette fable, on laissera encore de côté toute une partie de notre jeunesse », pointe-t-il. L’angle d’attaque de cette association : les classes préparatoires technologiques des lycées des quartiers populaires, les grandes écoles et les universités. Objectif, amener au plus haut niveau de formation des jeunes qui un jour intégreront les comités directeurs des entreprises françaises et apporteront un peu de mixité dans un univers très blanc et très masculin.

L’adhésion à Passeport Avenir s’élève à 50 000 euros, celle à NQT varie de 700 à 23 920 euros selon la taille de l’entreprise. Une garantie pour ces associations de ne pas servir de simple caution sociale. Mais si le parrainage est autant plébiscité aujourd’hui, c’est sans doute parce qu’il n’oblige pas les entreprises à recruter les jeunes. Un argument choc en temps de crise. Chez Passeport Avenir, seuls 9 % des filleuls ont trouvé un emploi dans l’entreprise de leur parrain. Mais 100 % ont décroché un job dans les six mois qui ont suivi le parrainage.

Autre raison de l’efficacité de ces dispositifs, le fait qu’ils soient fondés sur le bénévolat des salariés, volontaires et engagés. « Cet accompagnement, c’est mon engagement citoyen, explique Audrey Jeanjean, responsable des relations sociales chez Carrefour Market et marraine NQT. Ces jeunes arrivent plus inquiets pour leur avenir qu’en colère contre le système. Ils ont besoin d’une écoute objective, de mieux comprendre l’entreprise et de retrouver confiance en eux. » Chez LafargeHolcime, Christophe Levy, cadre en recherche et développement, y trouve, lui, beaucoup de satisfaction personnelle. « C’est un vrai plaisir de pouvoir transmettre son énergie et de voir ces jeunes reprendre confiance au fil des semaines. Après seize mois de chômage, un de mes filleuls a décroché un CDD. Je crois que j’étais aussi heureux que lui de cette réussite. »

Outil de management.

Ces engagements très précieux n’échappent pas aux directions des ressources humaines. Au fil du temps, le parrainage s’est révélé un outil de management interne efficace. D’autant que, dans certaines entreprises, les promotions de parrains commencent à être importantes. Chez Generali, une centaine de salariés sont engagés. Au sein du groupe Stef (logisticien du froid), 30 parrains suivent en moyenne trois jeunes par an via NQT ou l’association Sport dans la ville. Orange revendique de son côté 800 parrains. « Le contact avec ces jeunes leur permet de faire évoluer leur vision du monde, de prendre conscience de réalités sociales qu’ils ignorent parfois et de relativiser les petits soucis du quotidien. Ils développent aussi la fierté du maillot en voyant l’entreprise s’engager », souligne le directeur diversité du groupe de télécommunications.

Totalement séduites, des entreprises ont mis en place des parcours d’intégration qui s’en inspirent. Le transporteur Stef intègre ainsi près de 150 jeunes managers au sein de sa « pépinière » chaque année. En plus de découvrir les métiers du groupe, ils sont coachés par des cadres plus expérimentés. « Certains jeunes issus de quartiers défavorisés ont besoin d’un accompagnement renforcé. Pour eux, les relations interpersonnelles et le travail en équipe sont parfois plus difficiles à appréhender. Nous avons mis en place un système de tutorat qui permet de lever ces questions sans les stigmatiser et de leur donner confiance en eux », explique Céline Liegent, chargée de la RSE du groupe Stef.

« Ces actions d’accompagnement et d’intégration fonctionnent bien quand les employeurs comprennent que l’insertion de ces jeunes est aussi un facteur de performance économique, explique Estelle Barthélémy, du cabinet de recrutement Mozaïk RH. Dans les grandes entreprises, la prise de conscience est là, plus aucune ne dit qu’il s’agit d’un sujet à la mode. » Certes. Mais les groupes refusent encore d’attaquer frontalement le sujet en l’abordant sous le prisme des discriminations liées aux origines. Par crainte de bloquer leur corps social, ils adoptent des stratégies qui, ils l’espèrent, infuseront dans leurs organisations.

Écosystème.

« Quand on arrive à convaincre des top managers de se mettre à la disposition de ces jeunes, on participe à la déconstruction des stéréotypes. Et aux discriminations qui en découlent », assure Benjamin Blavier. Chez Orange, Laurent Depond, directeur diversité, ne dit pas autre chose. « On préfère agir sur l’écosystème pour aider à l’intégration de ces jeunes sans les stigmatiser. Et travailler en creux les questions de discrimination ethnique et de stéréotype. Notre politique de recrutement est claire : à compétences égales, on choisira toujours le candidat issu de la population la moins représentée dans l’entreprise. Comme ça, on est incontestables et on ne risque pas de gripper la machine. »

Pour contredire les chiffres du chômage des jeunes diplômés des quartiers populaires, et ne pas s’en tenir à la seule prise de conscience, les entreprises comme les associations ont encore du pain sur la planche. « Nous avons deux défis à relever. Gagner en notoriété auprès des jeunes et réussir à embarquer les PME dans le mouvement », explique Yazid Chir. Aujourd’hui, ce ne sont pas les bonnes volontés qui manquent mais… les jeunes candidats ! Ainsi, près de 700 parrains NQT n’ont pas de filleuls. Pour les trouver, l’énergique patron compte s’appuyer sur Pôle emploi. « 60 % des jeunes diplômés des milieux défavorisés s’y trouvent. Nous devrions accueillir des conseillers Pôle emploi dans nos équipes pour qu’ils nous aident à identifier ces jeunes », indique-t-il. Une façon de mettre le gouvernement au pied du mur, pour qu’il ne s’en tienne pas à des effets d’annonce.

Auteur

  • Anne-Cécile Geoffroy