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Une nécessaire montée en compétence

Dossier | publié le : 03.11.2015 | C. G.

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Une nécessaire montée en compétence

Crédit photo C. G.

Les travailleurs handicapés vieillissent et leurs profils évoluent, ce qui pousse à la transformation des postes. Et à davantage de fluidité entre Ésat et entreprises adaptées.

« La population handicapée employée dans le secteur protégé et adapté change. Elle ne veut plus être monotâche. Il faut donc faire évoluer les postes pour qu’ils soient moins répétitifs. » Directeur d’une blanchisserie industrielle à Asnières, Wenceslas Baudrillart recrute des personnes avec tous types de handicaps : physiques, sensoriels, psychiques. Il s’attache à développer la polyvalence et la montée en compétence de ses opérateurs, notamment sur du contrôle qualité, et à ménager ses salariés âgés.

Le secteur du travail protégé et adapté est tout entier confronté à l’évolution de la population handicapée, et rencontre des difficultés de recrutement. Alors même que le taux de chômage des personnes handicapées est deux fois plus élevé que la moyenne… Plusieurs phénomènes expliquent cette mutation. Notamment la réduction massive des accidents de la route et du travail lourdement invalidants, de même que la diminution des naissances d’enfants atteints de malformation, de type trisomie 21. Au niveau national, les Ésat recueillent, eux, davantage de personnes « ayant une déficience en psychisme sur le long terme » et une déficience intellectuelle, selon une étude de la Drees datant de 2010.

Plusieurs observateurs notent aussi l’accueil plus large de personnes éloignées des problématiques de handicap classiques. Tels des chômeurs de longue durée très abîmés par la grande précarité ; des autistes, dont le nombre augmente en partie à cause des pollutions environnementales ; de très grands prématurés, dont 30 % ont un risque de séquelles neurologiques. Et enfin, des personnes souffrant de psychopathologies, qui auraient été auparavant orientées vers des structures psychiatriques. Frédéric Lanet, directeur adjoint de l’Airdie, un organisme de microfinancement, l’affirme : « Le médico-social doit aussi prendre en compte les personnes souffrant de “handicap social”. »

Vieillissement des personnes

À ces évolutions récentes s’ajoute un phénomène plus ancien de vieillissement des personnes handicapées. « Aujourd’hui, il n’est plus rare de rencontrer des handicapés mentaux de 79 ans en bonne santé », assure Gérard Zribi, président d’Andicat, l’association des directeurs d’Ésat.

Depuis les années 90, les études montrent que, hormis pour les grands épileptiques les personnes atteintes de troubles cardiaques et les handicapés psychiques subissant de très mauvaises conditions d’existence, l’espérance de vie des personnes handicapées augmente. En Ésat, 20 % des usagers ont plus de 50 ans, ce qui pousse les établissements à adapter les situations de travail pour réduire la fatigue, à renforcer l’accompagnement et l’éducation à la santé. Comme à la blanchisserie de l’Apei L’Envol, à Castelnau-le-Lez, où le directeur a ouvert davantage de « possibilités de temps partiels pour le personnel vieillissant ». Six personnes y travaillent aussi dans un atelier plus calme. D’autres structures vont même jusqu’à former cadres et moniteurs à l’avancée en âge et à la gérontologie.

En moyenne, 25 % des travailleurs handicapés travaillent à temps partiel, contre 16 % pour la population générale. Cela complique le recensement des places vacantes en Ésat. « Personne ne sait plus s’il faut créer des places ou non. Ni où ni pour qui », dénonce le président d’Andicat. Il peste contre l’esprit jacobin qui a calculé un ratio moyen de postes par département, sans analyser les besoins sur le terrain. Résultat, en Seine-Saint-Denis, les Ésat sont sous-occupés, car inadaptés à une population jeune avec des troubles mineurs. Tandis que, dans la Meuse, 200 personnes sont sur liste d’attente.

« On n’a aucune idée de la proportion des handicaps psychique, physique et cognitif parmi les demandeurs. Les maisons départementales des personnes handicapées sont démunies, faute d’homogénéité des terminologies dans les dossiers », poursuit Gérard Zribi. Andicat a donc diligenté une étude de besoins, qualitative et quantitative. Histoire de prouver que l’analyse peut être menée, malgré l’indéniable complexité du suivi.

Difficiles passerelles

Pour faire face, parallèlement, à des exigences de productivité grandissantes, de nombreux Ésat ont créé une section entreprise adaptée (EA) afin de pouvoir recruter des salariés en meilleure santé. Mais les rouages du système, grippés, ne facilitent pas les flux entre structures. En partie, selon Emmanuel Chansou, ex-directeur du Gesat, parce que « les Direccte et les autorités régionales de santé ne fonctionnent pas ensemble ». Sylvain Couthier, d’ATF Gaia, constate qu’il faut parfois patienter jusqu’à vingt mois pour qu’un travailleur puisse passer d’une EA à un Ésat, au risque de provoquer son décrochage. « Les dossiers se perdent dans les arcanes des maisons de l’emploi, assure-t-il. Il y a de vraies améliorations à apporter pour créer des passerelles efficaces entre le médico-social et le milieu ordinaire. »

Dans les structures doubles, comme l’Association Vallée de l’Hérault (AVH), les passages de l’Ésat à l’EA sont en revanche plus faciles en cas d’aggravation des pathologies. « La personne reste dans les effectifs, c’est une façon de la protéger », explique Patrice Fouquet, à la tête d’AVH. Il considère que les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) n’ont pas encore un fonctionnement optimal. Et de citer le cas de deux usagers d’Ésat qui, trop abîmés, devraient partir en invalidité. En attendant la décision, ils accumulent les arrêts de travail. « Au sein des MDPH, on aurait dû avoir tous les acteurs, la CAF, la CPAM, des représentants des associations. On ne sait plus à qui s’adresser, il y a une déperdition d’énergie énorme », déplore-t-il. Cette dispersion des acteurs entraîne une dilution des responsabilités dommageable aux personnes handicapées.

Priorité à la formation

Les personnes handicapées cumulent les freins à l’embauche. Leur niveau de formation initiale reste très bas : 77 % n’ont pas été au-delà du CAP ou du BEP. Cependant, les efforts de scolarisation portent leurs fruits.

Et l’accès à la formation continue vient d’être déclaré priorité numéro un par la ministre du Travail, Myriam El Khomri.

La montée en puissance du compte personnel de formation doit permettre de « capitaliser tout ce qui s’est fait de manière volontaire dans les Esat et les EA depuis dix ans », explique Gérard Zribi, président d’Andicat, qui a travaillé sur un décret spécifique pour les Esat. Certains employeurs voient la formation comme une nécessité. Comme ATF Gaia, qui a dispensé 700 heures de formation pour une cinquantaine de salariés handicapés. « Cet effort représente plus de quatre fois le budget de notre cotisation à l’Opca et n’est pas couvert par la subvention spécifique dédiée aux EA, dont l’enveloppe diminue chaque année », précise son directeur, Sylvain Couthier. à charge donc pour les entreprises de trouver d’autres formes de financement. Certaines, comme l’Association Vallée de l’Hérault, passent par des fondations d’entreprise, telles celles d’EDF ou de Vinci. L’Union nationale des entreprises adaptées chiffre l’effort de formation à 19,5 millions d’euros pour 710 000 heures dispensées. Soit deux fois le minimum légal. C. G.

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  • C. G.