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APF Entreprises 34 joue la qualité totale

Dossier | publié le : 03.11.2015 | C. G.

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APF Entreprises 34 joue la qualité totale

Crédit photo C. G.

Stratégie de diversification et effort de formation à l’appui, l’entreprise adaptée gérée par l’Association des paralysés de France contrecarre l’image connotée du handicap. Avec succès.

Jean-Pierre Maillol récupère minutieusement de l’or industriel sur des badges de télépéage. Il en récolte plusieurs grammes par jour. Cet ancien plombier-chauffagiste, qui a perdu l’odorat après un accident de moto – ce qui lui interdit de travailler sur les installations à gaz – a suivi une formation en électrotechnique. Puis décroché, en 2010, un CDI dans l’entreprise adaptée (EA) de l’Association des paralysés de France à Montpellier : APF Entreprises 34. Dans l’atelier de démantèlement électronique, une dizaine de salariés dissèquent des tours d’ordinateurs IBM obsolètes, qui arrivent directement d’Europe et de Dubai. Leur mission ? Désactiver les pièces sensibles contenant des données, trier les composants puis les envoyer vers la revalorisation dans des cartons revendus à la tonne.

Un partenariat historique lie IBM et l’APF. Celle-ci a créé le site de Montpellier à la demande de la firme, en 1970, pour fabriquer des éléments d’ordinateurs. Un fleuve pas toujours tranquille : au début des années 90, Big Blue délocalise sa production en Irlande, entraînant des pertes pour l’association. « Quand j’ai repris l’atelier protégé, en 1997, la moitié des salariés jouaient aux cartes », témoigne son directeur, Christophe Rey, qui chapeautait aussi l’Ésat associé. Ce que confirme Frédéric Lanet, qui a audité l’entreprise en 2005 pour l’organisme de microfinancement Airdie. « APF 34 faisait très peu de marge. Avec sa culture d’entreprise, Christophe Rey a donné l’impulsion. Il a bataillé contre les lourdeurs du siège pour prendre en compte de nouvelles niches. » De fait, Christophe Rey a un pedigree inhabituel dans ce milieu. Responsable business unit pour un grand équipementier automobile, il quitte le secteur le jour où on lui demande « de lister les “deux I” dans les équipes : les inadaptés et les inadaptables ».

Diversification

Cette mésaventure le décide à prendre la direction de l’établissement montpelliérain. Signe de sa réussite, l’entreprise occupe depuis 2010 de spacieux locaux à l’extrémité d’une ZAC. Sur 63 salariés, 45 ont la reconnaissance de travailleur handicapé. À quelques kilomètres de là, les effectifs de l’Ésat atteignent près de 70 personnes, dont 53 usagers. Depuis trois ans, Marie-Christine Piercy-Garon a pris le relais à la tête de l’Ésat. « Nos structures sont liées par les mêmes préoccupations. On mutualise les infos et les démarches », indique-t-elle. Des échanges de bons procédés réciproques : l’EA oriente des acheteurs vers l’Ésat, spécialisé dans le conditionnement alimentaire et cosmétique ainsi que le traitement de courrier ; et vice-versa.

Résultat, en quinze ans, l’entreprise adaptée a développé de nouvelles activités et diversifié son portefeuille de clients. En misant sur l’essor du reconditionnement de cartouches d’encre pour imprimantes, elle est montée en charge progressivement sur des contrats avec l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris et des grands comptes comme Vinci, EDF ou le ministère de l’Éducation nationale. En 2014, cette activité a assuré la moitié de ses 3 millions d’euros de chiffre d’affaires.

Chaque soir, le chef d’équipe, Patrick Lecieux, 44 ans, consacre dix minutes à discuter avec ses troupes pour noter sur un tableau blanc les besoins en outillage, le suivi de production, les non-conformités. Sont aussi aimantés les plans de formation de chaque opérateur : expression orale, calcul, maîtrise d’Excel, formation spécifique métier. Comme dans la moyenne nationale, 75 % des effectifs n’ont pas le niveau BEP. « Les besoins émergent lors du bilan de compétences annuel », note Patrick Lecieux. Entré comme chauffeur-livreur en 1990, lui a suivi des cours en management dispensés par la maison mère. Cet effort de formation va de pair avec une démarche de qualité globale à coup de certifications ISO pour contrecarrer l’image « triplement connotée » du handicap, de l’associatif et du produit recyclé. « On pose ça sur la table lors de nos démarches commerciales, dit Christophe Rey, en frappant son bureau du plat de la main. Ça coupe court aux interrogations sur notre professionnalisme. »

Vers la fin des années 2000, APF Entreprises 34 a mené une vaste étude de marché sur de nouvelles activités très diverses. Puis elle a ajouté à celles déjà en place la production de volets roulants et de portes de garage. L’entreprise a créé sa propre marque, baptisée Rollec. « La sous-traitance a ses limites », justifie le directeur, qui vient d’avoir une franche explication avec Schneider Electric, après que la société a brutalement mis fin à « quinze ans de collaboration du jour au lendemain ». Un événement qui conforte la stratégie de diversification, financée grâce au regroupement d’une partie des entreprises adaptées de Languedoc-Roussillon au sein de CAP-LR. Cette structure facilite l’accès aux fonds structurels européens pour des projets communs ou spécifiques. APF Entreprises 34 a ainsi pu consacrer 300 000 euros à étudier précisément des opportunités de marchés et à déployer un plan de santé-sécurité incluant une étude des risques psychosociaux.

40 % de temps partiels

Éric Meanca, 46 ans, finit sa journée avant les autres dans l’entreprise adaptée. Depuis quatre ans, il travaille à mi-temps à cause de problèmes aux cervicales et au dos, séquelles d’un accident de scooter qui l’oblige aujourd’hui à se déplacer en chaise roulante. « Dans les situations de handicap moteur et des troubles associés, le corps vieillit différemment, le passage à temps partiel est inévitable », souligne Marie-Christine Piercy-Garon, dont l’Ésat fonctionne avec 40 % de temps partiels. « Il faudrait synchroniser les structures pour fluidifier les parcours, car rien n’est figé en matière de santé », complète la directrice, qui dirige aussi un accueil de jour de l’autre côté de la rue.

Un certain cloisonnement règne encore entre l’Ésat et l’EA. Les travailleurs ont peu d’occasions de se rencontrer ou de voir ce qui se passe ailleurs. La formation peut agir comme un levier. Au sein de l’Ésat, une conseillère d’insertion élabore des plans de formation individualisés et s’attache à trouver des stages dans d’autres établissements pour favoriser les échanges et la mobilité des agents dans la région. « On s’efforce de raisonner davantage sur les compétences métier que par typologie ou gravité de handicap », explique la directrice. Une « ouverture supplémentaire », qui signe, peut-être, un changement de culture plus profond du monde protégé et adapté.

Accéder à l’entreprise ordinaire

Aujourd’hui, le taux de sortie des travailleurs d’Ésat vers le milieu ordinaire oscille entre 0,3 et 0,5 %.

Une expérimentation a débuté à Montpellier pour prouver qu’il est possible d’atteindre 5 %.

« C’est une première en France, nous avons une obligation de résultat », s’enthousiasme Michel Coudrey, président de l’Aresat, l’association qui pilote ce projet financé par l’agence régionale de santé. Sur le terrain, Laure Bréchet, chargée de mission, a commencé à faire une enquête auprès des travailleurs d’Ésat pour préciser leurs besoins en formation et en reconnaissance de qualifications.

Une demande claire émerge déjà sur les savoirs de base : lecture, écriture, calcul. La remise à niveau permettra de lever un obstacle majeur à l’accès aux formations diplômantes.

Chaque travailleur handicapé détiendra ensuite un livret de compétences. Celui-ci devrait faciliter le démarchage des entreprises classiques ou adaptées et aider le travailleur handicapé à postuler à des stages, avec un accompagnement spécifique, qui pourrait soit déboucher sur un emploi, soit permettre, en cas d’échec, le retour en milieu protégé. L’expérimentation s’étendra au département de l’Hérault et à Nîmes en 2016, puis à la grande région en 2017.

Auteur

  • C. G.