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Des chauffeurs de car en rodage après la loi Macron

Décodages | publié le : 03.11.2015 | Éric Béal

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Des chauffeurs de car en rodage après la loi Macron

Crédit photo Éric Béal

Face à l’ouverture du marché, les compagnies françaises fourbissent leurs armes. Et recrutent, avec des exigences similaires. Mais les salaires et les conditions de travail sont plus homogènes dans la filiale de la SNCF.

Déjà 700 emplois créés, 75 villes desservies et 250 000 passagers transportés ! Fin septembre, Emmanuel Macron se félicitait des conséquences de sa loi sur la croissance pour le secteur du transport par autocar. Attendue avec impatience par les opérateurs, l’entrée en vigueur du texte a déclenché une guerre commerciale qui n’est pas près de s’arrêter. Une cinquantaine de lignes nouvelles sont annoncées pour la fin de l’année. À terme, plus de 200 pourraient voir le jour. L’allemand FlixBus et l’anglais Megabus ont débarqué au cours du mois de septembre. Mais du côté français, les deux leaders, Ouibus et Isilines, en sont déjà aux grandes manœuvres.

Premier sur la ligne de départ, Isilines. Les responsables de la nouvelle marque d’Eurolines et de Transdev avaient largement anticipé la loi Macron. Fort de 250 filiales locales employant 34 350 salariés, le groupe a les reins solides pour attaquer ce nouveau marché. « Des cars haut de gamme, avec Wifi et toilettes, ont été commandés et de nouveaux conducteurs recrutés en prévision du passage du texte de loi devant l’Assemblée », indique Isabelle Pons, porte-parole d’Isilines. Dès le 4 juin, des lignes interrégionales étaient ouvertes sous couvert de voyages touristiques. Créée en juillet 2012 et filiale à 100 % de la SNCF, Ouibus s’est fait d’abord connaître sous le nom commercial d’iDBUS, en ouvrant des lignes internationales vers 19 villes européennes et en desservant au passage quelques grandes agglomérations françaises. Début septembre, à l’occasion de l’ouverture de ses premières lignes interrégionales, elle a changé de nom, en écho à Ouigo, la marque de TGV low cost.

Petit Poucet.

Comparée à sa rivale de Transdev, Ouibus est une PME. Après ouverture de toutes les nouvelles lignes, elle ne devrait pas employer plus de 500 personnes. Très centralisée, l’entreprise déploie son activité depuis trois dépôts situés à Vitry-sur-Seine, Lyon et Lille. Elle vise la création de 130 liaisons en France et devrait acheter 80 autocars supplémentaires. D’autres appartiendront à huit partenaires locaux, déjà identifiés, dont l’activité pour Ouibus démarrera prochainement. Le Petit Poucet est actuellement en plein recrutement de conducteurs, baptisés « capitaines » en interne. « Nous exigeons cinq années d’ancienneté minimum dans le métier. Mais entre les candidatures spontanées reçues sur notre site, les annonces et les job dating, nous n’avons pas de problème pour trouver les compétences nécessaires », indique Christèle Bosse-Platière, la DRH.

Les futurs élus doivent posséder le permis D et la Fimo (formation initiale minimale obligatoire). Ils doivent aussi passer un entretien et une série de tests psychologiques pour déterminer leur capacité à communiquer et à prendre les choses en main en cas de difficulté. « Nous sommes exigeants sur le savoir-faire comme sur le savoir-être, précise la DRH. Les capitaines sont sollicités par les clients avant et après le voyage, ils sont les représentants de la marque. » Les recrues suivent une formation technique sur les règles de sécurité et l’utilisation des tablettes d’enregistrement, complétée par un apprentissage de quelques semaines sur le terrain.

Dans les filiales de Transdev, les procédures de recrutement sont assez similaires. Sauf lorsque les candidatures proviennent des équipes internes. Comme chez Marne et Morin, à Meaux. Les 24 conducteurs Isilines sont pour la plupart issus de l’activité tourisme de l’entreprise. Une réunion pour présenter la marque, un debriefing sur les nouvelles procédures avec remise du livret conducteur… et les voilà prêts à partir ! Ailleurs, la sélection est plus sévère. Chez Citram Aquitaine, autre filiale située à Bordeaux, les chauffeurs doivent passer des tests de conduite et de comportement au volant pour intégrer Transdev Express Sud-Ouest, une entité créée en octobre pour regrouper l’activité Isilines dans la région. Expression écrite, tests de géographie et entretien avec la DRH complètent une sélection qui voit la moitié des candidats recalés.

Statuts hétérogènes.

Ces différences de traitement sont le reflet du caractère très décentralisé du groupe Transdev. Elles se retrouvent dans tous les domaines de la gestion des ressources humaines d’Isilines. À commencer par le statut et la rémunération. Si les conducteurs de Marne et Morin n’ont pas bénéficié d’augmentation salariale à la suite de leur passage chez Isilines, du moins ont-ils gardé leur ancienneté au sein de l’entreprise. Leurs collègues de Citram Aquitaine, eux, ont dû signer une convention de mutation. Elle leur permet d’échapper à la période d’essai mais ne leur garantit pas de conserver leurs années de maison. Béatrice Gannieux, la DRH, n’est pas très précise sur ce point. « Ça dépend », se contente-t-elle de répondre. Ceux qui proviennent du ramassage scolaire bénéficient néanmoins d’un passage à temps plein, synonyme d’augmentation de salaire. Ils touchent aussi des primes pour le travail de nuit ou de week-end, ainsi que pour les repas, comme le stipule la convention collective du transport.

Autres différences, les rémunérations. « Dans certaines filiales, les nouveaux conducteurs sont embauchés à 1 200 euros net par mois », affirme Miguel Bionda, délégué CGT chez Transdev. Leurs collègues de Marne et Morin touchent quelque 1 000 euros de plus. Ce qui n’est pas le cas des chauffeurs sur les lignes départementales ou urbaines. Les conditions de travail, aussi, peuvent singulièrement varier. Chez Marne et Morin, les voyages sont organisés en double équipage. « Ça permet de mélanger les jeunes et les plus expérimentés, qui connaissent les arrêts. De cette manière, nous respectons parfaitement la réglementation sur les temps de pause », précise Marc Bray, un conducteur. En Aquitaine, ses collègues partent seuls et sont remplacés sur la route. « Nos salariés sont basés à Bordeaux, Brive ou Toulouse. Sur un même trajet, les passagers profitent de deux conducteurs différents », indique Béatrice Gannieux. Seuls éléments communs à tous, la planification, longtemps à l’avance, des horaires de travail, permise par la régularité du service. Et l’uniforme blanc et rouge.

Au sein de Ouibus, une certaine l’homogénéité domine. Même si, de source syndicale, l’entreprise recrute ses conducteurs à un tarif inférieur à celui de leurs homologues issus d’IDBus : 1 550 euros au lieu de 1 700. Au motif que les intéressés ne sont pas appelés à travailler sur des lignes internationales. Cela n’empêche pas la direction d’assurer que les évolutions de carrière entre les deux statuts seront possibles. Dans la filiale de la SNCF, le « capitaine » est seul à bord. Comme chez Transdev, il peut compter sur un système de géolocalisation et sur une tour de contrôle nationale, « Base-Car » en langage interne, pour obtenir des informations sur la circulation ou des conseils en cas de pépin avec un passager.

« 35 heures hebdo ».

Les plannings sont connus quinze jours à l’avance et les primes sont similaires à celles versées par le grand concurrent. « Nous travaillons 35 heures hebdo. Ailleurs, j’ai connu des semaines de 70 heures », précise Jacques Decamps, présent sur les lignes internationales depuis les débuts d’iDBUS. Avantage non négligeable, chez Ouibus, les chauffeurs ne sont pas chargés de nettoyer leur véhicule en fin de service. Chez Marne et Morin, le binôme de bord y passe une heure minimum en fin de parcours. Pour autant, note le cégétiste Grégoire Yapo, la situation des salariés de Ouibus n’est pas à la hauteur de celle des cheminots. « Ils nous ont refusé le statut SNCF. Nous ne bénéficions ni des avantages sociaux, ni du CCE, alors que les salariés vont participer aux élections des représentants du personnel au conseil d’administration du groupe », dénonce-t-il.

Les deux entreprises se disent très vigilantes sur les temps de travail et de conduite. Elles assurent avoir pour préoccupation de fidéliser les conducteurs. « Isilines est une marque premium sur le marché français. Notre positionnement est de soigner la qualité de l’accueil et le contact avec la clientèle. Dans ces domaines, ce sont les conducteurs qui font la différence », argumente Sonia Arhainx, directrice Isilines chez Transdev. « Nous voulons un turn-over le plus faible possible. Nous proposons à ceux qui nous rejoignent de participer à une aventure unique. L’entreprise va grandir avec eux », affirme de son côté Marc Martrette, directeur de l’exploitation du dépôt Ouibus de Vitry-sur-Seine. Des discours accueillis avec circonspection par les syndicats qui s’inquiètent de la pérennisation de l’activité « À 5 euros le voyage, on se demande comment ils vont faire pour tenir », font-ils remarquer. Les plus pessimistes anticipent déjà l’arrivée de travailleurs détachés issus d’Europe de l’Est pour diminuer les coûts d’exploitation.

OUIBUS

> 156 conducteurs.

> 20 lignes domestiques (+ 45 liaisons internationales).

> 46 cars.

La PME prévoit d’employer à terme 500 personnes.
ISILINES

> 150 conducteurs.

> 17 lignes domestiques (+ 140 internationales pour Eurolines).

> 50 cars.

Isilines recrute dans les filiales de Transdev.
Bouchons en vue

Le transport par car est promis à une belle croissance en France. À l’exemple de l’Allemagne où la libéralisation de ce marché a fait passer le nombre de clients de quelques dizaines de milliers à plus de huit millions. Outre les deux leaders français, d’autres opérateurs sont alléchés. FlixBus, le leader allemand, cherche à s’imposer dans l’Hexagone en proposant des trajets à des prix défiant toute concurrence. À partir de 1 euro pour un Lille-Paris ou un Bordeaux-Lyon. Le géant britannique Stagecoach avec sa filiale Megabus multiplie également les promotions sur ses premières lignes françaises. Enfin, le groupement d’autocaristes régionaux Réunir propose des « prix malins » sous sa bannière Starshipper. Tous vont ouvrir de nouvelles lignes au cours des prochains mois et proposer des prix incitatifs. « Il faut faire connaître aux Français le confort et la facilité du transport par autocar », explique Sonia Arhainx, directrice d’Isilines. Les objectifs financiers sont renvoyés à plus tard. Une fois les habitudes prises et le marché créé, les prix devraient remonter. « Il y aura des prix moyens plus élevés, admet Sonia Arhainx. Mais dans la limite de ceux pratiqués par les adeptes du covoiturage. » La voiture est en effet le premier concurrent de l’autocar.

Comme les compagnies françaises, les allemandes et les britanniques cassent les prix.

Auteur

  • Éric Béal