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À Bruxelles, des syndicats en panne d’influence

Décodages | publié le : 03.11.2015 | Catherine Abou El Khair

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À Bruxelles, des syndicats en panne d’influence

Crédit photo Catherine Abou El Khair

En changeant de direction, la Confédération européenne des syndicats tente de se relancer. Urgent mais pas simple.

Motivée ! La Confédération européenne des syndicats (CES) dit sortir revigorée de son congrès parisien. À sa tête, un quadragénaire issu de l’Union italienne du travail (UIL), Luca Visentini. Le successeur de Bernadette Ségol au secrétariat général n’est pas un inconnu dans la maison, puisqu’il en était secrétaire confédéral depuis 2011. C’est même le seul ancien d’une direction sinon entièrement renouvelée. Ce poète à ses heures perdues peut-il redonner du souffle à la CES ? C’est tout l’enjeu pour cette organisation, réduite à un rôle de lobby peu influent. Et quasi invisible dans les médias, même quand Jean-Claude Juncker et François Hollande s’invitent à sa grand-messe.

Pour se relancer, la confédération a peaufiné son programme. Plus long et structuré que le texte adopté à Athènes en 2011, le Manifeste de Paris en appelle à une « économie forte ». « Avant, la CES était davantage dans une posture de dénonciation, sans offrir d’alternatives. L’objectif est de retravailler les questions économiques pour créer des emplois de qualité », précise Frédéric Imbrecht, en charge des questions européennes à la CGT.

Rapport de force

La crise est passée par là. Les syndicats européens reconnaissent désormais la nécessité d’un « salaire minimum légal, fixé en concertation avec les partenaires sociaux, et qui doit se rapprocher des meilleures normes prônées par les organisations internationales ». Jusqu’alors, le projet divisait. Mais ses détracteurs se sont laissés convaincre : outre l’Allemagne, qui l’a adopté début 2014, la Suède et l’Italie, très attachées à l’autonomie de la négociation collective, y viennent. Une avancée de taille pour de nombreux observateurs.

Avec l’arrivée, à la présidence de l’exécutif bruxellois, de Jean-Claude Juncker, culturellement plus empreint de dialogue social que son prédécesseur portugais, le contexte s’est aussi amélioré. « Il a été élu grâce au soutien d’une partie de la gauche. Il a promis d’agir sur le plan social et sur l’investissement », rappelle Guillaume Balas. Selon le député européen socialiste, la CES doit appuyer les sociaux-démocrates. « Son absence nous a handicapés, car nous sommes, depuis la crise, dans un rapport de force extrêmement défavorable face aux libéraux », explique-t-il.

De fait, le poids et le rôle de l’organisation posent question. Qu’elle est loin, l’époque des entretiens de Val Duchesse (1985), lorsqu’on venait chercher les partenaires sociaux ! Depuis quinze ans, le dialogue social européen fait du sur-place, tant du côté interprofessionnel que sectoriel. La directive sur le temps de travail ? Impossible de la réviser, faute de consensus. La dernière négociation sectorielle conclusive ? Elle remonte à 2010 et porte sur la santé et la sécurité au travail des… coiffeurs. À la Commission, ce n’est guère mieux. « Lorsque la troïka a imposé des réformes à la Grèce, la CES a eu beau crier, elle n’a pas été écoutée », note Claude-Emmanuel Triomphe, délégué général d’Astrées. Traitée à la légère à Bruxelles, la CES s’est aussi éloignée de sa propre base. Ses « euro-manifestations » font pâle figure comparées, par exemple, aux mouvements initiés par Podemos ou Syriza, en Espagne et en Grèce. « Son défi est d’organiser le mécontentement face aux mesures d’austérité et de réagir à son affaiblissement institutionnel et politique », écrivait, en juillet dernier, le chercheur David Natali dans le dernier Bilan social de l’Union européenne (Éditions ETUI et OSE). Tout un programme…

Pour y parvenir, la CES entend peser sur le semestre européen, c’est-à-dire ce cycle d’examens, par Bruxelles, des politiques économiques nationales. « Du côté français, on arrive à infléchir les diagnostics sur la situation économique. Désormais, il faut faire bouger les recommandations de Bruxelles, qui se cantonnent à des efforts budgétaires », souligne Yvan Ricordeau, secrétaire national en charge des questions européennes à la CFDT. Reste à parler d’une seule voix au plan européen. Ce qui nécessite la mise en place d’une réelle coordination, ambitieuse. Un chantier de plus.

Auteur

  • Catherine Abou El Khair