logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Idées

Le référendum est-il l’avenir du dialogue social ?

Idées | Débat | publié le : 03.10.2015 |

Image

Le référendum est-il l’avenir du dialogue social ?

Crédit photo

« Le référendum, c’est la mort du fait syndical », affirmait en 1982 Jean Auroux, alors ministre du Travail. Depuis, la pratique de la consultation directe s’est répandue. En septembre, Smart défrayait la chronique en interrogeant ses salariés sur un retour provisoire aux 39 heures payées 37.

Éric Aubry Ancien conseiller social du Premier ministre François Fillon

L’entreprise devient le noyau central de la négociation collective, ce qui correspond à un mouvement de fond. Tel est bien le sens des différents rapports qui viennent de sortir (ceux de Combrexelle, de l’Institut Montaigne, de Terra Nova), quelles que soient leurs nuances. La question de la qualité du dialogue social devient alors centrale, et plus précisément, d’une part, la compétence technique des acteurs patronaux ou syndicaux, d’autre part, la représentativité réelle, c’est-à-dire la légitimité des syndicats à signer des accords engageant les salariés.

Dans ce contexte, l’introduction du référendum ne doit pas être comprise comme un contournement ou un remplacement de la représentation des salariés. Au contraire, le rôle des syndicats est encore plus important puisqu’il leur revient de trouver les meilleurs compromis, compte tenu des contraintes de compétitivité. Mais la faiblesse du taux de syndicalisation alliée aux divisions syndicales peut faire peser un doute sur la représentativité réelle des syndicats. Ainsi, on a vu les syndicats eux-mêmes demander des référendums « consultatifs », en cours de négociation, afin de s’assurer du consentement d’une majorité de salariés. Difficile de contester le bien-fondé de ce type de référendum… Alors pourquoi ne pas franchir une étape supplémentaire, comme le propose l’Institut Montaigne, et acter le fait qu’en cas de blocage, le chef d’entreprise puisse poser la question aux salariés ?

Ce référendum serait non pas soumis à l’accord initial et à un veto des syndicats, mais préparé en concertation avec eux : choix des questions posées, temps suffisant de préparation, etc. Il n’apparaîtrait pas comme un contournement des syndicats ou une sorte de chantage à l’emploi, comme certains le redoutent. Il s’intégrerait naturellement dans la stratégie syndicale de négociation, aboutissant à renforcer cette culture de négociation si nécessaire. Ajoutons que, depuis la réforme de 2008 qui a fait de l’audience électorale le socle de la représentativité syndicale et introduit des règles de validité des accords, la logique référendaire est entrée, de facto, dans l’entreprise. Les résultats électoraux des syndicats dépendront bien de l’appréciation que porteront les salariés sur leurs actions !

Xavier Moulins DRH Groupe d’Eurotunnel

Répondre à cette question nécessite préalablement de rappeler avec force la vertu du dialogue social en entreprise. En quoi il sert durablement la création de valeur et constitue un levier efficace au service d’une performance économique et sociale équilibrée et créatrice d’emplois. Pour que ce dialogue soit constructif et efficace, il faut impérativement et prioritairement privilégier le dialogue de proximité avec des interlocuteurs légitimes qui connaissent les enjeux de l’entreprise. À ce niveau, le dialogue social devient consubstantiel d’écoute, d’échange, de fréquence et de compréhension mutuelle.

Dans cette dynamique vertueuse, la négociation d’accords d’entreprise avec les délégués syndicaux, ou à défaut avec les instances représentatives du personnel, doit être durablement privilégiée. Et cela se justifie d’autant plus depuis le renforcement de la légitimité par les urnes des délégués syndicaux dans l’entreprise, en application de la loi du 20 août 2008.

L’accord d’entreprise, a minima majoritaire et de préférence à durée déterminée pour faciliter son évolution, devient alors la meilleure source normative. C’est-à-dire celle de nature à adapter avec pertinence et agilité le cadre normatif social à la réalité économique, financière et sociale. Dans ce contexte, le référendum n’est pas, en soi et à lui seul, l’avenir du dialogue social. Ce serait nier notre culture sociale et syndicale française ainsi que le rôle et la légitimité des partenaires sociaux. Il n’en demeure pas moins une source créatrice de normes sociales, qui sollicite l’adhésion. Et donc digne d’intérêt. En substitution ou en complément, et ce en fonction du contexte. En substitution, le référendum peut être un outil utile en l’absence de partenaires sociaux. Ainsi, il semble naturel que dans les TPE, qui composent en grande partie le tissu économique social français, le référendum puisse être, en raison du très faible nombre d’employés, l’outil idoine et de référence. En complément, il peut aussi être une solution pertinente, si majoritairement souhaitée par les négociateurs, pour valider des positions avant conclusion d’un accord d’entreprise majoritaire.

Frédéric Sanchez Secrétaire général de la fédération CGT de la métallurgie

L’avenir du dialogue social en entreprise ne s’enferme pas dans le référendum. Il est essentiel de revenir aux fondamentaux, dont le préambule de la Constitution de 1946 : « Tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises. » C’est la citoyenneté au travail qui se pose ! Être citoyen en entreprise, ça ne correspond pas à la question posée par la direction de Smart : « emploi contre conditions de vie familiale et de travail dégradées ». Cette consultation s’apparente aux pratiques dictatoriales. Elle entrave l’expression des alternatives à la plate-forme patronale. Tout au contraire, il faut un débat loyal où l’information n’est pas constituée de dés pipés ou de cartes biseautées.

Pour sa part, la CGT pratique le débat et organise des consultations. Comment parler de démocratie directe quand, dans le même temps, les directions frappent du cachet « confidentiel » les informations fournies dans les comités d’entreprise et que l’action judiciaire est nécessaire ?

Quant aux lois du gouvernement Valls, elles réduisent les droits d’information et d’intervention des salariés, elles s’attaquent aux institutions de représentation des salariés, à leurs moyens et à leur efficacité. Nous pensons que la démocratie et les droits actuels, trop souvent écrasés, doivent vivre. Le rapport Combrexelle s’inscrit dans cette même logique vidant le Code du travail de sa substance pour qu’il ne protège plus les salariés, mais sécurise les entreprises, marchandise la rémunération et les droits des salariés. C’est le renforcement du rapport dominant-dominé. Oui, la loi doit offrir un socle minimum de garanties. Il est urgent de faire cesser la répression contre la citoyenneté (dont l’activité syndicale) à l’entreprise. Si l’avenir passe par la démocratie, il doit permettre son plein exercice. Aussi, il est indispensable que les salariés bénéficient, par le biais de leurs représentants, de réels droits d’intervention. L’avenir, c’est le salarié-citoyen et des droits novateurs.

Ce qu’il faut retenir

Le Code du travail prévoit, depuis les années 80, le recours au référendum dans trois cas. Lorsqu’il s’agit de valider des accords portant sur les régimes complémentaires de retraite et de prévoyance, sur l’intéressement et la participation ou sur la mise en place d’horaires individualisés dans les entreprises dépourvues d’élus.

La pratique de la consultation directe s’est répandue avec les accords RTT négociés par les entreprises au début des années 2000.

Jean-Denis Combrexelle, dans son récent rapport, propose de réserver la voie du référendum aux seules TPE qui, en droit, ne disposent pas d’instance de négociation. Les branches professionnelles auraient alors un rôle de soutien et de conseil dans l’organisation des consultations directes.

En chiffre

11 453 c’est le nombre d’accords d’entreprise ratifiés par référendum en 2014. Soit 18,7 % des accords enregistrés par le ministère du Travail.

56 % des salariés de Smart se sont prononcés, le 11 septembre, pour le retour aux 39 heures (74 % chez les cadres, 39 % chez les ouvriers). Depuis, seule la CFTC a accepté de revenir à la table des négociations.