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Les œuvres sociales très opaques de la police

Décodages | publié le : 03.10.2015 | Rozenn Le Saint

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Les œuvres sociales très opaques de la police

Crédit photo Rozenn Le Saint

Sous contrôle syndical, l’un des principaux organismes gestionnaires des œuvres sociales de la police est dans le collimateur de la Place Beauvau. Rapport à l’appui, le ministère promet de mettre un terme à l’opacité et aux dérives de la structure.

Place Beauvau, on semble déterminé à faire le ménage dans l’Association nationale d’action sociale (Anas). Subventionnée par le ministère de l’Intérieur et administrée par les syndicats, cette structure gère les à-côtés sociaux dont peuvent bénéficier policiers et personnel du ministère de l’Intérieur, tels les centres de vacances. Une sorte de comité d’entreprise, limité aux œuvres sociales. Et qui, lui, n’est pas présidé par l’employeur mais par un représentant syndical élu par les adhérents. Un poste tenu par le sulfureux et tout-puissant Joaquin Masanet, de 2009 jusqu’au printemps 2015, lorsqu’il a été démis de ses fonctions. Longtemps chasse gardée de l’Unsa Police, l’association est aujourd’hui sous le contrôle d’Unité SGP Police–FO, qui détient les postes clés du bureau national. Erick Sabos, son vice-président, est encarté mais il invoque un pur hasard : « Les adhérents votent pour élire le conseil d’administration sans que nous mentionnions notre appartenance syndicale. » L’Anas revendique 21 000 membres, qui s’affranchissent d’une cotisation de 42 à 84 euros, selon les revenus.

Traînant depuis longtemps une réputation d’opacité, l’organisme avait jusqu’alors échappé au contrôle de son principal financeur. Jusqu’à ce que le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, décide d’y apporter de l’ordre en commandant un rapport à l’Inspection générale de l’administration (IGA), en janvier 2015. Remis en avril, il n’a toujours pas été rendu public : seule une synthèse de quatre pages est accessible sur Internet. Pourtant, les 123 pages du document, que nous avons épluchées, valent la lecture, tant elles sont accablantes.

D’après ce rapport, environ 400 fondations et associations bénéficient d’une subvention du ministère de l’Intérieur, qui leur sous-traite l’action sociale pour des montants fort variables. Avec ses 2,9 millions d’euros, l’Anas capte à elle seule près de 15 % du budget. Sans compter les… 40 fonctionnaires détachés obtenus en 2012 par « Jo » Masanet. « Les subventions allouées à l’association font apparaître une augmentation constante des moyens accordés par le ministère, notamment pour les charges de personnel (globalement + 41 % entre 2012 et 2014) », indiquent les inspecteurs. Des moyens humains considérables, auxquels le rapport préconise de mettre fin en ces périodes de disette. « Cela sera fait d’ici au 30 juin 2016 », promet la Place Beauvau. Qui n’a pas daigné répondre à nos questions, se contentant de nous transmettre le discours de Bernard Cazeneuve prononcé le 30 juin, lors de l’assemblée plénière de la Caisse nationale d’action sociale, laquelle alloue les budgets aux différents acteurs.

Piètre bilan

Le rapport s’étonne du montant des prestations, bien plus élevé à l’Intérieur que dans les autres ministères. En 2011, le premier consacrait aux œuvres sociales 358 euros par agent, contre 284 euros en moyenne pour ses homologues. Les inspecteurs ont établi un « ratio de dépendance » aux subventions de chaque association. Il est particulièrement prononcé pour l’Anas, qui pâtit d’une « dépendance très forte ». Un mauvais point pour la structure, dont le budget est aussi très mal géré : sur l’exercice 2014, le déficit atteint 1,1 million d’euros. « Nous avons pris les mesures de restrictions nécessaires en matière de fonctionnement », assure Bernard Layes, son président depuis le printemps, après avoir été le numéro deux pendant quatre ans.

Ce piètre bilan se double d’un énorme problème de gouvernance, l’association ne rendant aucun compte à son financeur principal. « L’absence de tout représentant de l’administration au conseil d’administration des associations comme l’Anas prive le ministère d’information et de capacité d’orientation », observent les rapporteurs. « à aucun moment les responsables des ressources humaines du ministère n’ont pu engager des discussions avec les dirigeants de l’Anas, ni participer aux réunions de ses instances statutaires, à la différence de ce qui se pratique avec d’autres organismes », déplorent-ils. Résultat, « l’attribution de subventions se faisait sans échange sur le fond et sans suivi d’indicateurs d’activité ou de performance ».

Cette situation est inadmissible pour l’IGA. Elle préconise l’établissement d’un « droit de regard de l’administration allant au-delà du simple dialogue de gestion, a fortiori lorsque l’organisme est reconnu par ailleurs d’utilité publique ». Les inspecteurs invitent aussi à « réaffirmer le principe d’une action sociale au profit de tous les agents ». Et exhorte l’administration à exercer « une tutelle renforcée sur les organismes les plus autonomes dans leur gestion et les plus dépendants des aides financières et des missions confiées par le ministère ».

« Secret Défense »

Ces préconisations sont saluées par les syndicats tenus à l’écart de la gestion de l’association. « Cela fait des années que nous dénonçons l’opacité des relations entre le ministère de l’Intérieur et l’Anas, assure Véronique Daumerie, l’une des responsables du syndicat Alliance. Cela d’autant plus que le budget alloué à l’action sociale est censé être destiné à l’ensemble des agents. Or, l’accès aux centres de vacances gérés par l’Anas était jusqu’à présent réservé à ses seuls adhérents. » Ceux-ci sont « simplement prioritaires et les non-adhérents qui en bénéficient sont incités à verser leur cotisation après coup, au nom du principe de solidarité », nuance le vice-président de l’association. « Lorsqu’on voulait obtenir des précisions sur l’argent distribué à l’Anas, l’administration répondait “secret Défense”. À présent, elle joue les vierges effarouchées alors que les dérives sont connues de longue date », regrette Pierre Dartigues, du Syndicat des cadres de la sécurité intérieure.

Tout laisse à penser que, cette fois-ci, le ministère prendra ses responsabilités. Dans son discours prononcé fin juin, Bernard Cazeneuve a cité les quatre grands principes qui doivent guider son action : garantir la transparence comptable et budgétaire, affermir des contrats d’objectifs, renforcer les procédures de contrôle interne et systématiser les audits externes. Des mots forts, qui laissent à penser que l’Anas n’a plus droit à l’erreur. Et que des audits réguliers de l’IGA ou des contrôles du fisc lui pendent au nez.

Auteur

  • Rozenn Le Saint