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Les robots à l’assaut du boulot

À la une | publié le : 03.10.2015 | Anne Fairise

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Les robots à l’assaut du boulot

Crédit photo Anne Fairise

Petit à petit, les robots gagnent le secteur des services. Nous remplaceront-ils demain ? Personne ne sait. Encore assimilés, en France, à une cause de chômage, ils concourent aussi à améliorer les conditions de travail.

On y est, le futur investit nos maisons de retraite ! Cet automne, une dizaine d’établissements testent le petit robot humanoïde Zora, conçu pour apporter « aide et assistance » au personnel. Sa voix est métallique et sa démarche un peu mécanique. Mais du haut de ses 58 centimètres, il fait le « taf » : stimuler l’intérêt, la mémoire, les muscles endormis des résidents. En parfait adjoint des animateurs et ergothérapeutes. Qu’il converse ou montre des gestes de gymnastique.

Quatre mois après l’arrivée de Zora à la résidence Les Balcons de Tivoli, au Bouscat près de Bordeaux, l’enthousiasme est intact. Et toute appréhension éteinte. « Le robot n’est pas le personnel soignant de demain. Il participe à des activités mais ne les initie pas de lui-même », précise la directrice, Sylvie Cailliet-Creppy. Derrière une tablette, le personnel est nécessairement à la manœuvre. N’empêche, pour écarter toute confusion, l’humanoïde, déjà présenté aux résidents de façon dépersonnalisée, va être rebaptisé. « Il doit rester au stade d’objet, dans le regard des résidents comme du personnel », martèle Sylvie Cailliet-Creppy. À chacun sa place.

Ce changement d’identité en dit long sur les craintes suscitées par la robotisation. Elles n’ont pas fini de se manifester. Car une nouvelle génération de machines, portée par les progrès en mécatronique et en systèmes embarqués, sort des ateliers industriels et gagne les services, secteur de main-d’œuvre par excellence. Rien d’une déferlante. Mais, depuis quelques mois, on croise dans les couloirs de certains hôpitaux des robots coursiers, capables de se déplacer dans un environnement non prévisible et d’aller délivrer des médicaments à la place des aides-soignants. Des robots gardiens commencent à être intégrés aux équipes de surveillance. Chez une poignée de maraîchers, les saisonniers ont laissé la place à un robot désherbeur, réputé biner très vite et sans tasser le terrain.

Véhicules sans conducteur.

À Châlons-en-Champagne (Marne), Leclerc vient d’inaugurer une deuxième centrale logistique presque totalement automatisée. La préparation des commandes n’y est plus qu’à 5 % manuelle contre 100 % dans les autres entrepôts. En ce mois d’octobre, la ministre de l’Écologie, Ségolène Royal, doit autoriser les véhicules sans conducteur à rouler sur les voies publiques, dans le cadre de tests. Un cauchemar annoncé pour des milliers de chauffeurs professionnels, même si l’industrialisation ne se fera pas avant une ou deux décennies. Les spécialistes pronostiquent des destructions d’emplois plus importantes que celles promises par l’« ubérisation » des transports.

Les Français n’ont pas besoin d’experts pour en être persuadés. Ils comptent parmi les Européens qui assimilent le plus les robots à une cause de chômage, pointe un Eurobaromètre de 2012. À la question « les robots volent-ils le travail des hommes ? », 72 % ont répondu oui, contre à peine un Néerlandais ou un Finlandais sur deux. Pire, seulement 34 % de nos compatriotes considèrent qu’un plus grand usage des robots boostera les opportunités d’emplois. Ce jugement place l’Hexagone en queue de classement des 28… avec la Slovénie, Chypre et la Hongrie.

Logique, pensez-vous, dans un pays comptant plus de 10 % d’actifs inscrits à Pôle emploi. Mais la résistance est ancienne. Elle est même l’une des raisons avancées au sous-équipement français et, par ricochet, à la faiblesse de sa filière dans ce domaine. Avec 31 600 robots industriels en 2014, la France ne joue pas dans la même cour que l’Allemagne, qui en compte cinq fois plus (175 200) ni même que l’Italie (58 400). « Historiquement, la robotisation a été freinée en France par l’hostilité des salariés et des syndicats qui la perçoivent essentiellement comme destructrice d’emplois. Pour maintenir la paix sociale, les chefs d’entreprise ont limité les projets », commente Pierre Paturel, auteur d’une récente étude sur la filière pour le cabinet Xerfi.

S’ils détruisent des emplois peu qualifiés, répétitifs ou pénibles, les robots en créent d’autres, à plus haute valeur ajoutée. Dans la conception, la fabrication, l’intégration, la maintenance. Dans les collectifs de travail aussi, où leur introduction recompose le boulot et fait monter d’un cran les compétences. Tout l’enjeu est de savoir si notre économie générera autant de nouveaux emplois que la révolution robotique en supprimera. On attend encore l’étude sur le sujet. « Il n’existe aucun consensus, faute de données, sur l’impact net de la robotisation en termes d’emplois », reconnaît Pierre Paturel. Le think tank américain Pew, qui a interrogé 1 900 experts des nouvelles technologies, fin 2013, n’a pas été plus avancé. Pour 48 % d’entre eux, la destruction d’emplois l’emportera. Pour 52 %, la balance sera positive. C’est dire si le débat sur le chômage technologique va faire couler de l’encre.

Les cadres pas épargnés.

Chacun y va de ses chiffres. « À chaque installation de robot industriel, trois emplois sont créés ou préservés », défend à longueur d’interviews Bruno Bonnell, président du fonds d’investissement Robolution Capital et figure incontournable du secteur. À l’appui, il sort toujours une enquête de la Fédération internationale de robotique de 2013. Mais elle ne dit mot sur le volume de postes disparus. Il y a un an, le cabinet Roland Berger dessinait un tout autre avenir, digne de la série TV suédoise Real Humans. En France, 42 % des métiers sont automatisables, annonçait-il. Son pronostic ? La révolution numérique, mêlant informatique et robotique, pourrait détruire 3 millions d’emplois d’ici 2025. Fonctions administratives, d’encadrement, juristes : les cols blancs et les professions « intellectuelles » ne seraient plus épargnés. Mais l’analyse est encore partielle : elle ne mesure que les pertes brutes d’emplois, sans quantifier les activités créées ni les effets des gains de productivité.

Le gouvernement, lui, a tranché. Avec le plan « France Robots Initiatives » lancé en 2013, et ses 100 millions d’euros d’investissement répartis entre les entreprises et la recherche, il espère planter la petite graine qui fera changer les esprits. « Le robot n’est pas l’ennemi des emplois. C’est une fausse idée », assénait encore au printemps le ministre de l’Économie, Emmanuel Macron. D’ici dix ans, grâce à ce soutien, quelques dizaines de milliers d’emplois sont attendus dans la robotique de services, réputée pour sa recherche mais largement embryonnaire. En 2012, elle ne comptait que 30 à 60 entreprises et « quelques centaines de personnels très qualifiés ». Des chercheurs, ingénieurs et techniciens, selon le cabinet Erdyn. Faire grandir ces start-up et TPE, c’est s’assurer que, demain, les nouveaux robots de services tricolores pourront être fabriqués dans l’Hexagone. Signe d’un réveil, les métiers de la robotique sont davantage recherchés (voir page 24).

Le plan a un autre objectif : diffuser la robotique dans les PME pour développer leur compétitivité. Au grand soulagement du Symop, le syndicat des machines et des technologies de production (240 entreprises, 16 000 salariés), qui a longtemps prêché dans le désert et attendu le sursaut politique. L’ambition du volet « Robot Start PME » reste modeste : équiper 250 sociétés d’ici mi-2017, en apportant appui technique et financement, à hauteur de 10 % de l’investissement. Mais « en mars, le nombre de PME éligibles au financement de l’État était déjà atteint », selon Pierre-Marie Gaillot, chef de projet au Centre technique des industries mécaniques, associé au pilotage. Une trentaine de robots tournent déjà, en chargement-déchargement ou fabrication. Parmi les projets en cours, il y a même une poignée de « cobots », ces nouveaux robots coopératifs, qui assistent l’homme. Sans le remplacer.

Survie de la filière viande.

Aide à la compétitivité, la robotisation apparaît aussi désormais comme une condition au maintien d’activités. Et une réponse à la pénurie de main-d’œuvre. Dans l’agroalimentaire, par exemple. « La survie de la filière viande, pour le porc et le bœuf, en dépend, estime Didier Majou, directeur général de l’Association de coordination technique pour l’industrie agroalimentaire (Actia). Les abattoirs ne trouvent plus de candidats pour découper les carcasses. Un métier pénible exigeant la manipulation de lourdes charges, à une cadence élevée, dans l’humidité et le froid. L’abattoir de Clermond-Ferrand, qui cherchait cinq bouchers, a dû recruter des Brésiliens. » La solution robotique envisagée pour diminuer la pénibilité de cette tâche complexe est le port d’un exosquelette par les opérateurs. Cette structure articulée externe permet d’absorber les contraintes auxquelles le corps est soumis. Reste à en construire une qui soit adaptée. Le financement du programme de recherche, auquel l’Actia est associée, n’est pas encore bouclé.

Dans le secteur du bâtiment, ce bond dans le futur prend déjà forme. Les grandes entreprises expérimentent sur leur chantier des prototypes, pour soulager les bras des plâtriers, les muscles des ouvriers déplaçant des charges lourdes. Face à l’intérêt grandissant, l’organisme de prévention OPPBTP a émis des préconisations et lancé, cet été, une étude pour décortiquer les usages. « Nous sommes persuadés que ce type d’équipement peut diminuer l’usure professionnelle, maintenir plus longtemps en activité et même redonner une chance à des salariés handicapés ou seniors. Mais il faut porter un regard lucide sur les risques physiques et psychiques associés, voire se poser des questions éthiques. Est-ce acceptable d’augmenter les capacités de l’homme pour mieux l’adapter au travail ? Jusqu’à présent, c’est le travail que l’on adaptait à l’homme », souligne Patrick Richard, le directeur technique. Décidément, les progrès en robotique n’ont pas fini de bousculer l’emploi et le travail.

Auteur

  • Anne Fairise