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Comment la loi Macron retouche le licenciement économique

Idées | Chronique juridique | publié le : 03.09.2015 | Jean-Emmanuel Ray

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Comment la loi Macron retouche le licenciement économique

Crédit photo Jean-Emmanuel Ray

Deux ans après la réforme du 14 juin 2013, la loi du 6 août 2015 supprime deux contraintes jurisprudentielles difficilement compréhensibles de notre droit du licenciement économique. Et tente, aussi, de relancer les moribonds accords de maintien de l’emploi.

I. OBLIGATION DE RECLASSEMENT À L’INTERNATIONAL : URBI ET ORBI, C’EST FINI

Avec l’arrêt du 7 octobre 1998, la chambre sociale de la Cour de cassation avait étendu l’obligation de reclassement aux dizaines, voire centaines de filiales d’un groupe situées à l’étranger. Devait-on raisonnablement demander à François – si attaché à son terroir et qui, après sept ans d’anglais, ne savait toujours pas si Brian est dans la cuisine – s’il accepterait d’aller à Dublin, à Hambourg, voire en Chine pour 269 euros mensuels et 55 heures de travail par semaine ? Un groupe mondial pouvait-il bloquer toutes ses embauches parce que 12 postes étaient supprimés dans une filiale française ? Respecter cette irréaliste obligation jurisprudentielle conduisait par ailleurs souvent au pilori médiatique (« 269 euros par mois ! De qui se moque cette entreprise ? »).

Que disait l’article L. 1233-4 ? « Le licenciement pour motif économique d’un salarié ne peut intervenir que lorsque le reclassement de l’intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles situés sur le territoire national, dans l’entreprise, ou les autres entreprises du groupe dont l’entreprise fait partie […]. » Une époque révolue grâce au L. 1233-4-1 : « Lorsque l’entreprise, ou le groupe dont l’entreprise fait partie, comporte des établissements en dehors du territoire national, le salarié dont le licenciement est envisagé peut demander à l’employeur de recevoir des offres de reclassement dans ces établissements.

Dans sa demande, il précise les restrictions éventuelles quant aux caractéristiques des emplois offerts, notamment en matière de rémunération et de localisation. L’employeur transmet les offres correspondantes au salarié ayant manifesté son intérêt. »

Ce n’est donc plus à l’employeur d’aller rechercher partout dans le monde des postes vacants, y compris en CDD pour remplacer un congé maternité dans une filiale lointaine, puis de proposer cette mobilité internationale à chaque salarié concerné. C’est au collaborateur intéressé de faire une demande écrite et ciblée en ce sens : un décret de décembre 2015 précisera la procédure à suivre. L’employeur doit alors demander à la filiale étrangère concernée s’il existe des postes vacants, puis le cas échéant transmettre ces offres « écrites et précises » au salarié, qui reste libre d’accepter ou non.

II. ORDRE DES LICENCIEMENTS : RETOUR À LA RAISON

Pour la chambre sociale, éprise d’égalité de traitement, le périmètre retenu pour appliquer les critères légaux n’était pas celui de l’établissement où les problèmes économiques se posaient, mais celui de l’entreprise tout entière. Ce qui pouvait aboutir à ne pas licencier Pierre, de l’établissement de Strasbourg ayant perdu 85 % de sa clientèle, mais obligeait Souad, appartenant à la même catégorie professionnelle, à quitter celui de Brest pourtant en pleine santé. Déstabilisation incompréhensible pour les entreprises, voire les intéressés eux-mêmes.

à présent, l’article L. 1233-5 dispose que, « pour les entreprises soumises à l’obligation d’établir un PSE, le périmètre d’application des critères d’ordre des licenciements peut être fixé par l’accord collectif ou par le document unilatéral. Dans le cas d’un document unilatéral, ce périmètre ne peut être inférieur à celui de chaque zone d’emploi dans laquelle sont situés un ou plusieurs établissements de l’entreprise concernés par les suppressions d’emploi. »

Au-delà d’un accord collectif, le bon vieux PSE unilatéral peut désormais retenir comme périmètre l’établissement qui est concerné par les difficultés économiques. Mais pour éviter que l’employeur ne descende trop loin (une agence bancaire de 13 salariés), désignant ainsi indirectement les futurs licenciés, il ne pourra être inférieur à celui d’une « zone d’emploi ». Cette notion définie par l’Insee (« espace géographique construit à partir des déplacements domicile-travail, à l’intérieur duquel la plupart des actifs résident et travaillent ») ressemble fort au « secteur géographique » de la chambre sociale. Hélas, elle ne lui correspond pas toujours : la plus importante est ainsi celle de la région parisienne (5 897 000 habitants) et la deuxième celle de Lyon (1 708 000). Mais la troisième est « Roissy-Sud Picardie » (1 659 700)… Un décret à paraître en décembre doit préciser ces « zones d’emploi », régulièrement mises à jour. Mais qui trop détaille, mal légifère.

III. RÉANIMER LES ACCORDS DE MAINTIEN DE L’EMPLOI ?

Moins de dix accords ont été signés depuis deux ans : la loi du 6 août 2015 souhaite donc les relancer. Mais ce replâtrage peut-il sauver ces accords mort-nés du fait de la volonté du législateur de 2013 de se différencier à tout prix des accords compétitivité-emploi de l’époque Sarkozy ? Surtout avec un régime de l’activité partielle nettement plus opérationnel ?

1. Leur durée passe ainsi de deux à cinq ans. Mais s’agit-il encore de difficultés conjoncturelles ? Un employeur peut-il s’engager à maintenir l’emploi sur une aussi longue période ?

2. La procédure d’acceptation du salarié est alignée sur le L. 1222-6 : au bout d’un mois, qui ne dit mot consent. Procédure qui pourrait utilement être généralisée.

3. Conflit d’impérativité entre accord collectif et contrat de travail. à l’occasion de leur évaluation de juin 2015, les signataires de l’ANI de janvier 2013 avaient bien posé la question concernant les collaborateurs refusant l’application de cet accord destiné à maintenir la collectivité de travail : « Si une majorité des salariés, via leurs représentants, font le choix d’un effort collectif qui profite à tous, comment articuler ce choix collectif d’intérêt général avec le choix individuel des salariés ? » Appel entendu par la loi Macron, avec le choix d’une préconstitution de cause réelle et sérieuse pour le licenciement des salariés refusant l’application de l’accord. Essentielle sur le plan des principes, cette évolution est en l’espèce peu intéressante, puisque l’entreprise doit connaître de « graves difficultés économiques conjoncturelles ».

4. « L’employeur n’est plus tenu aux obligations d’adaptation et de reclassement ». Résultat, plus de contentieux possible sur l’obligation de reclassement, souvent gagnant dans les grands groupes… jusqu’à la refonte de l’article L. 1233-4 examinée supra. « Et moi, et moi, et moi » + « Take the money and run », c’est fini !

Jean-Emmanuel Ray

Professeur de droit à l’université Paris-I (Sorbonne), où il dirige le master professionnel Développement des ressources humaines, et à Sciences Po.

Il publie en septembre 2015 la 24e édition de Droit du travail, droit vivant (éditions Liaisons).

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray