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CGPME et Medef se disputent les PME

Décodages | publié le : 03.09.2015 | Manuel Jardinaud

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CGPME et Medef se disputent les PME

Crédit photo Manuel Jardinaud

En pleine guerre de représentativité, les deux organisations font feu de tout bois pour séduire les petits patrons. Sans se faire de cadeaux.

Elles sont l’objet de toutes les attentions. Chouchoutées, flattées, cajolées. Elles ? Les petites et moyennes entreprises, ces fameuses TPE et PME, qui emploient moins de 250 salariés et composent 92 % du tissu économique français. Et même 99 % en comptabilisant les micro-entreprises. Les organisations patronales ne s’y trompent pas, qui les ont placées au cœur de leur stratégie de communication et de revendication. Si la CGPME est naturellement légitime sur le terrain des « petits patrons », le Medef en a aussi fait son cheval de bataille. Avec le secret espoir de casser, enfin, cette image de porte-voix des seuls groupes du CAC 40 qui lui colle à la peau.

La stratégie est pertinente, selon Michel Offerlé, professeur à l’école normale supérieure et auteur de l’ouvrage Les Patrons des patrons (Odile Jacob, 2013) : « Du point de vue démographique, le Medef est bien une organisation de PME. Celles-ci composent 95 % de ses entreprises adhérentes via les branches », assure ce grand spécialiste du monde patronal. Pierre Gattaz, président du Medef depuis le départ de Laurence Parisot en juillet 2013, en a fait son leitmotiv. Creusant le sillon déjà tracé par son prédécesseur – « la PME attitude », c’était elle –, le président du directoire de Radiall ne jure que par la petite entreprise, porte-étendard de la France qui se bat, prend des risques et croule sous les charges. « Les patrons de PME-TPE gueulent, et je gueule avec eux », lâche-t-il. Le locataire de l’avenue de Bosquet ne manque pas de rappeler qu’il est à la tête d’une entreprise familiale, fondée en 1952 par son père, et désormais leader de la connectique high-tech.

Face à lui, le quinqua François Asselin, élu en janvier à la tête de la surannée CGPME, tente de relancer la machine à adhésions. Patron d’une entreprise de restauration de monuments historiques (150 salariés) rachetée à son père, il doit forcer sa nature réservée pour convaincre qu’il incarne bien l’employeur de PME-TPE. « Ce n’est pas un combat des petits contre les grands. Mais une lutte pour des logiques économiques différentes. Ma base, elle, est homogène », assène-t-il. Des mots choisis pour un contexte précis. À l’horizon se profile la mesure de la représentativité patronale : l’année 2015 doit servir de période de référence pour établir le poids des uns et des autres sur les territoires, dans les branches et au niveau national. Un enjeu crucial.

Pédagogie et équilibrisme

En juin, la conférence sociale sur l’emploi dans les TPE-PME a permis à chacun de montrer ses muscles. Le Medef frappe le premier : il rend public un dossier de 29 pages assorti de 22 propositions. La CGPME réplique : elle égrène 39 mesures sur 13 pages. Et se montre plus combative que son rival sur l’évolution des contrats de travail et des seuils sociaux. Au-delà des tribunes médiatiques, la légitimité des deux organisations se joue sur le terrain, au contact des chefs d’entreprise. C’est aussi là que se vérifie la pertinence de leurs propositions. Les deux candidats au poste de « patron des petits patrons » l’ont compris. Ils battent la campagne. Douze déplacements en province pour Pierre Gattaz entre février et fin juin 2015, six voyages pour François Asselin à partir de mai…

Pour le Medef, il s’agit de convaincre les chefs de PME qu’ils profitent aussi des négociations interprofessionnelles. Pas simple. Certains textes, conçus davantage pour les grands groupes, suscitent leur colère. à l’image de l’accord sur la sécurisation de l’emploi de janvier 2013, qui facilite la vie des grosses boîtes lors des plans de licenciement. Et impose, en contrepartie, la généralisation de la complémentaire santé aux… PME ! L’exercice de pédagogie relève donc souvent de l’équilibrisme. Au sein même de la fédération de Pierre Gattaz, l’UIMM, les débats sont très vifs. « Les petits patrons de la métallurgie sont très remontés contre les concessions faites lors des négociations. Ils considèrent que Jean-François Pilliard est beaucoup trop conciliant avec le gouvernement », confie un dirigeant de la maison. Les relations entre le patron du Medef et son vice-président en charge du social s’avèrent très tendues, illustrant les difficultés de cette reconquête des PME.

Nouveau vice-président du Medef en charge des TPE et PME, Thibault Lanxade reconnaît le besoin d’explications. Comme sur la réforme de la formation professionnelle de mars 2014, portée par le Medef et âprement combattue par la CGPME : « Grâce à cette loi, les TPE paient moins aujourd’hui. Il nous faut comprendre pourquoi elles bloquent quand même », admet-il. François Asselin ne s’y trompe pas et marque sa différence. « Pour nous, cette loi est une rupture doctrinaire. Avec la volonté de démutualiser les fonds et de mettre en place des outils obligatoires de gestion administrative. Comment des chefs d’entreprise ont-ils pu valider de telles mesures ? » s’emporte-t-il, sûr de faire mouche auprès de sa base. Idem sur le compte pénibilité. Un « combat homérique », dit-il. La CGPME en a fait sa principale lutte de l’année 2014. Avec un vrai temps d’avance sur le Medef.

« Un patronat de service »

Si la chasse aux adhésions se joue sur les idées, elle se gagne aussi sur les services. « Les attentes des PME sont basiques. Elles veulent du conseil juridique et un facilitateur dans leurs relations avec l’Urssaf », résume Thomas Chaudron, ancien président du Centre des jeunes dirigeants et du Medef Essonne. Tout en essayant de mieux structurer sa présence sur les territoires, le Medef national démultiplie des actions via des modules utilisables localement. Tels le guide « Rue de la formation » ou les kits « Beau travail ! » pour encourager les relations avec les écoles. Ou encore le dispositif d’aide à l’export Stratexio, mis en place en partenariat avec des chambres de commerce. « Nous visons 1 000 PME accompagnées », assure Pierre Gattaz. Il ajoute : « Nous voulons un patronat de service et d’adhésion. Nous renforçons donc notre réseau. » La dynamique peut plaire aux dirigeants de TPE, souvent isolés et perdus dans le maquis réglementaire. C’est le cas de Sabine Thillaye, dirigeante d’OTC, une petite agence de communication basée à Saint-Cyr-sur-Loire. Sessions sur le droit du travail, opération Entreprise-école ou débats réguliers sur l’Europe l’incitent à dépenser entre 500 et 600 euros de cotisation chaque année en faveur du Medef. « Un bon investissement », considère-t-elle.

Moins riche que son concurrent, la CGPME fait avec ses moyens. « Notre politique vise d’abord à orienter les PME vers leur branche quand celle-ci est structurée. Pour les autres, nous entamons une réforme de nos structures territoriales pour 2016. Nous allons comparer et analyser les services qu’elles offrent. S’il y a des trous dans la raquette, nous fournirons une offre nationale », explique François Asselin. La CGPME a beau avoir édité un guide sur la sécurité numérique et lancé une plate-forme sur les marchés publics, les initiatives restent d’abord locales. « Nous avons en projet la création d’un Club business et d’une école des PME pour accompagner les chefs d’entreprise dans leur gestion », illustre Stéphanie Pauzat, à la tête du syndicat en Basse-Normandie. En Seine-et-Marne, un partenariat avec une plate-forme de crowdlending vient d’être monté pour améliorer l’accès au crédit des entreprises adhérentes. Rien n’est trop beau pour séduire le petit patron…

Attirer les start-up

Le Medef souhaite aller plus loin, en attirant les « nouvelles PME », celles des services et du numérique. « Thibault Lanxade est très présent et opère le lien avec ces entreprises », note le sociologue Michel Offerlé. En juin, la tenue de l’Université du numérique du Medef une semaine avant Planète PME, le rendez-vous annuel de la CGPME, ne devait d’ailleurs rien au hasard. La stratégie pourrait se révéler gagnante, via des fédérations comme le Syntec (conseil) ou la Fevad (e-commerce) qui n’adhèrent qu’au seul Medef : « Quand on parle de la CGPME à un jeune patron de start-up, c’est bien le dernier endroit où il voudrait dépenser de l’argent », estime Michel Offerlé.

François Asselin le reconnaît : « La logique économique est différente entre les entreprises de la CGPME et celles du numérique. » Face au retard pris par son organisation, une commission « Innovation et économie digitale » a vu le jour pour travailler sur ces nouveaux modèles. En clair : faire du lobbying. Avec l’ambition de séduire les start-up. Mais la marche est haute pour la CGPME, pas du tout identifiée comme une caisse de résonance de cette nouvelle économie. Sur ce point, Pierre Gattaz a un coup d’avance. Quant à devenir le porte-drapeau incontesté des TPE et PME, il lui reste du chemin à parcourir. François Asselin est là pour le lui rappeler.

CGPME

→ Entreprises adhérentes : 600 000 revendiquées.

→ Branches et syndicats : 200.

→ Structures territoriales : 125.

MEDEF

→ Entreprises adhérentes : 745 000 revendiquées

→ Branches et syndicats : 600.

→ Structures territoriales : 132.

CGPME

François Asselin, président depuis début 2015.

Medef

Pierre Gattaz, président depuis 2013.

Rivalités patronales

Les échanges risquent d’être houleux en cette rentrée. Le gouvernement a en effet renvoyé les organisations patronales autour de la table pour discuter de leur représentativité. En jeu : la comptabilisation du poids de chacune afin de répartir financements et mandats… Pourtant, la loi de mars 2014 était, sinon claire, du moins déjà votée. Elle dispose que, dans les branches et les territoires, toute entreprise adhérente vaut une voix. Cette règle favorise les artisans de l’UPA, très nombreux, et, dans certaines branches, la CGPME. Au grand dam du Medef, qui ne l’entendait pas du tout de cette oreille. L’organisation de Pierre Gattaz a donc fait un intense lobbying pour que le nombre de salariés des entreprises adhérentes soit aussi pris en compte. Comme c’est le cas pour mesurer le poids des signataires lors des négociations collectives. Son action a porté ses fruits, avec le lancement d’un nouveau round de concertation, qui doit impérativement se terminer d’ici au 15 novembre. À défaut de consensus, le gouvernement a prévenu qu’il trancherait, par ordonnance.

Concurrents, CGPME et Medef savent aussi défiler ensemble contre les projets gouvernementaux.

Auteur

  • Manuel Jardinaud