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Demain, tous entrepreneurs

À la une | publié le : 03.09.2015 | Anne-Cécile Geoffroy

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Demain, tous entrepreneurs

Crédit photo Anne-Cécile Geoffroy

Érigés en héros, les entrepreneurs ont le vent en poupe. La fièvre de la création se répand, boostée par le numérique – et par le chômage. À terme, le modèle du salariat pourrait bien vaciller.

Vous êtes des héros, les aventuriers de cette nouvelle révolution industrielle qui se profile ; vous êtes nos stars ! » Pour galvaniser une foule d’entrepreneurs, Xavier Niel, l’emblématique patron de Free, ne fait pas dans la demi-mesure. Réunie en juin par la Banque publique d’investissement pour « célébrer » l’innovation, la grande communauté des entrepreneurs a eu droit à un shoot d’optimisme.

Dans les discours, le start-upper est devenu le symbole d’une France enthousiaste. Celle qui gagne, qui tourne le dos au chômage. Quand bien même ces discours remâchent des slogans qui ont fait les beaux jours des années 70. « En France, on n’a pas de pétrole mais on a… des start-up » assure CCI France qui lance un Atlas des start-up. Objectif : montrer que « chaque entrepreneur peut avoir l’ambition de devenir un champion mondial où qu’il se trouve en France ». Rien de moins ! Il faut dire que l’Hexagone peut se targuer de quelques belles réussites comme Blablacar, Vente-privée ou encore Criteo.

Pour faire éclore de futurs champions, permettre aux entrepreneurs de tester leurs projets, la France s’est dotée d’une kyrielle d’outils : incubateurs, accélérateurs, couveuses, Pépite, fab labs… Et d’une banque : Bpifrance, qui se veut un réseau social pour les entrepreneurs. à sa tête, Nicolas Dufourcq rêve de faire de la France, « un pays entrepreneurial et non plus salarial ». Pas une collectivité régionale, une fondation, une chambre de commerce qui n’ait développé son concours de création d’entreprise ; pas une école ou une fac qui ne se soit engouffrée dans la brèche pour créer des formations ad hoc. Même les grandes entreprises veulent prendre leur part. Pour capter l’innovation et faire du business en se dotant, par exemple, d’incubateurs.

BOULIMIE ENTREPRENEURIALE

Les chiffres sont au rendez-vous. La création d’entreprise ne s’est jamais aussi bien portée. Entre 2000 et 2014, elle a bondi de 155 %. Depuis 2009, on en compte environ 550 000 par an, dont plus de 40 % sous le régime de l’autoentrepreneur. Mieux : l’envie d’être son propre patron n’a jamais été aussi forte. Un Français sur trois envisage de créer ou de reprendre, un jour, une entreprise, selon un sondage de l’Institut Think pour CER France et Novancia. Idem pour les jeunes, qui sont 34 % à rêver d’entreprendre, selon le dernier baromètre de Moovjee, le Mouvement pour les jeunes et les étudiants entrepreneurs. « Deux tiers veulent s’y mettre avant l’âge de 30 ans. C’est un vivier de 660 000 entrepreneurs. Si 400 000 d’entre eux créaient trois postes, nous arriverions à 1,2 million d’emplois nouveaux dans les trois à cinq ans ! » s’enthousiasme Dominique Restino, président de l’Agence pour la création d’entreprise (APCE) et fondateur de Moovjee.

La figure de l’entrepreneur optimiste serait-elle en passe de supplanter celle du salarié déprimé ? Aux États-Unis, déjà 53 millions d’Américains travaillent en freelance. En France, leur nombre aurait crû de 83 % ces quinze dernières années. On compte déjà 200 000 consultants indépendants, 700 000 freelances et près d’un million d’autoentrepreneurs. « La création de ce statut en 2009 a joué comme un déclic chez les Français, un appel d’air. En 2003, les lois Dutreil, qui ont créé la SARL à 1 euro, avaient déjà amorcé le mouvement », rappelle Alain Bosetti, cofondateur de l’agence En personne, qui promeut le Salon des microentreprises.

Ce statut a surtout rendu poreuse la frontière entre le salariat et l’entrepreneuriat. Près de 30 % des autoentrepreneurs exercent ainsi une activité salariée. Conjuguée à l’essor d’Internet et du numérique, cette boulimie entrepreneuriale française pourrait encore s’amplifier. « Avant, pour créer une entreprise, il fallait construire une usine. Aujourd’hui, on a besoin d’une connexion Internet et d’un ordinateur. L’entrepreneuriat est à portée de main », explique Dominique Restino. Les jeunes sont les premiers à s’aventurer dans ce nouveau monde. « Il n’était pas question pour moi de me brider et d’attendre la fin de mes études. J’ai des idées plein la tête depuis le lycée », annonce d’emblée Léa Scher, en première année de master à Kedge Business School, une école de commerce de Bordeaux. « Je veux m’entraîner tout de suite et toucher à tout : la compta, les RH, le marketing, les relations presse », reprend la jeune femme, qui commercialise depuis un an le Yuck Pack, un kit de survie pour soirée étudiante. Entendez… un sac à vomi avec lingette, des préservatifs et autres goodies pour parer à tout lors des fêtes arrosées.

STRATÉGIE DU BRICOLAGE

« Pour les jeunes, la notion d’expérience est devenue presque plus forte que celle de diplôme. Ils cherchent à en emmagasiner. Ils tentent des choses, travaillent sur des projets. Et si ça ne marche pas, ils n’hésitent pas à en changer. Cette stratégie du bricolage favorise l’entrepreneuriat », relève Stéphane Schmaltz, directeur du cabinet Le Pouvoir des idées, qui flaire les grandes tendances sociologiques pour les entreprises.

L’un des moteurs de cette vague entrepreneuriale est aussi à chercher dans la quête de sens. « Les jeunes se définissent de façon polycentrique. Ils veulent pouvoir cumuler passions et activités, passer d’un métier à un autre, explique Denis Pennel, directeur de la CIETT (Confédération mondiale des services d’emploi privé). Si, aujourd’hui, les actifs connaissent sept emplois dans une carrière professionnelle, demain, ils en connaîtront sept… simultanément. » Pour Monique Dagnaud, sociologue à l’EHESS, « les jeunes diplômés font de l’entrepreneuriat une arme de changement politique. Ils font leurs choix professionnels selon leur goût, pas dans une logique de compétition, ni de carrière. »

Un vrai défi pour les entreprises, engoncées dans leurs organisations très hiérarchiques et encore peu enclines à stimuler la créativité de leurs salariés sur le modèle de Google, qui laisse à ses ingénieurs 20 % de leur temps de travail pour développer leurs propres produits. Aurélie Perruche, cofondatrice du site d’e-commerce Ma-Spatule.com, n’a pas oublié son stage de fin d’études chez Thales. « Je travaillais sur l’A380. C’était très intéressant mais personne ne prenait en compte mes remarques. Je préparais les Powerpoint pour les réunions d’équipe avec Airbus. Et je n’étais même pas invitée à y participer », se souvient cette ingénieure spécialisée dans les systèmes embarqués.

Elle a donc préféré monter sa boîte. Ou plutôt ses boîtes. Avec son associé, elle est à l’origine de l’application Likiwi, qui permet de téléphoner gratuitement sur les réseaux sociaux. Puis a lancé MaSpatule.com dont elle veut faire le leader de l’ustensile de cuisine. En trois ans, les comparses ont créé cinq emplois et leur petite entreprise réalise 2 millions d’euros de chiffre d’affaires. « Je n’ai pas choisi cette voie pour fuir la crise. Mais pour être libre d’innover sans attendre l’autorisation de mon supérieur. C’est la meilleure façon de changer le monde », explique la trentenaire. Robin Sappe, ancien DRH du Groupe SOS, abonde. Il vient de lancer, avec un associé, une application de partage de livres, Booxup. « Quand on goûte au sentiment très fort de liberté que l’entrepreneuriat procure, il est difficile d’y renoncer. Ma pression, aujourd’hui, c’est la réussite du projet. S’il marche, je n’aurai pas à revenir dans le monde du salariat. »

Salariés désabusés par la multiplication des plans sociaux, seniors exclus du marché du travail car trop vieux, trop chers… La création d’entreprise est aussi un refuge pour tous ceux qui peinent à se maintenir dans l’emploi. Plus habituée à financer les microentreprises portées par des bénéficiaires du RSA, des chômeurs de longue durée ou de jeunes décrocheurs, l’Association pour le droit à l’initiative économique (Adie), voit arriver aujourd’hui des dossiers montés par des seniors hautement qualifiés. « Ce qui est frappant, c’est que ces personnes compétentes et capables de travailler en autonomie ont intégré qu’elles ne pourraient plus retrouver d’emploi et que les banques ne financeraient pas leur projet », constate, inquiète, Catherine Barbaroux, présidente de l’Adie (et bloc-notiste pour Liaisons sociales magazine).

La vague entrepreneuriale se nourrit du marasme économique dans lequel la France patauge. Le contrat précaire est devenu la norme, le CDI un graal. Au premier trimestre 2015, les entreprises ont déclaré à l’Acoss plus de quatre millions de CDD de moins d’un mois. Dans le même temps, elles créaient 742 000 CDI. Les outsiders qui enchaînent les petits boulots n’arrivent plus à se projeter dans le monde du salariat. Ils n’ont finalement rien à perdre à se lancer dans l’aventure, aussi périlleuse soit-elle. « Le développement de la multiactivité a métamorphosé le salariat. La relation de travail devient hybride et le sera de plus en plus », prévient Denis Pennel.

ACTIFS HYBRIDES

Les pouvoirs publics ne s’y sont pas trompés et misent sur cet appétit de création pour lutter contre le chômage. « La SARL à 1 euro ou le statut d’autoentrepreneur ciblent un seul public, celui des demandeurs d’emploi. De l’autre côté, le gouvernement met le paquet sur les entreprises numériques. Mais il oublie la grande masse des entrepreneurs ordinaires, ceux qui créent des emplois », alerte Alain Fayolle, professeur d’entrepreneuriat à l’EM Lyon. D’après les données de l’APCE, le nombre de créations d’entreprise sans salarié a triplé depuis 2000.

L’entrepreneuriat de nécessité s’ancre en France. Les chances de survie sont plus aléatoires. « On pousse les individus à créer leur entreprise avec 1 euro pour les faire sortir des statistiques du chômage. Après, c’est silence radio. Or, entreprendre sans capital signifie vivre des mois dans la précarité, ce qui pose un vrai problème de société », ajoute Alain Fayolle. À l’image d’Aurélie Perruche, de MaSpatule.com. À 30 ans, elle ne se rémunère que depuis un an. Et n’aurait pu se lancer dans l’entrepreneuriat sans ses parents. À quelle retraite ces actifs auront-ils droit ? Personne ne le sait. Pour défendre ces actifs hybrides, les syndicats de salariés n’ont actuellement pas grand-chose à proposer. Tous entrepreneurs demain ? Peut-être, mais à quel prix ?

“On nous admire d’avoir franchi le pas”

ISABELLE LAMY ET KAREL DE GENDRE, cofondateurs de Galerie numéro 1

« Nous nous sommes retrouvés au chômage, fin 2013. Six mois après, nous ouvrions une galerie d’art atypique. Sans l’aide des banques ! Malgré mes compétences en architecture intérieure, et celles de Karel qui est photographe et webmaster, elles jugeaient notre projet trop risqué. Grâce à l’Adie, nous avons décroché un crédit pour prendre le bail d’une galerie dans le Village suisse, à Paris. Cela fait un an.

Nous ne gagnons pas encore notre vie. Tout le monde nous admire d’avoir franchi le pas. En même temps, la société ne nous laisse pas le choix. Je ne regrette pas le salariat. Je suis plus à l’aise aujourd’hui, même si mes journées de travail sont bien plus longues. »

“J’aime ne pas être un pion”

MAXIME BOURASSIN, créateur d’Isol’Centre, spécialisée dans l’isolation thermique

La réussite m’a toujours attiré, j’aime me débrouiller seul, ne pas être un pion, être fier de ce que je fais. En deuxième année à Novancia, j’ai planché sur mon projet : proposer des solutions d’isolation thermique en éco-matériaux. Mon père, mon frère et ma belle-mère m’ont rejoint dans l’aventure. C’est une histoire familiale… à l’envers ! Isol’Centre compte sept salariés et le chiffre d’affaires double tous les ans.

Auteur

  • Anne-Cécile Geoffroy