logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Idées

Vers une “barémisation” des indemnités de licenciement ?

Idées | Chronique juridique | publié le : 02.06.2015 | Pascal Lokiec

Image

Vers une “barémisation” des indemnités de licenciement ?

Crédit photo Pascal Lokiec

« En cas de contentieux, s’il y a une rupture, […] les indemnités de licenciement seront d’ores et déjà fixées, dans le cadre d’un barème […] ; il faut que le coût de la rupture soit connu : si le coût est connu, si les conditions de la rupture sont précisées, c’est plus facile. » Ces propos tenus par le président de la République il y a quelques semaines relancent le débat sur la « barémisation » des indemnités de licenciement.

Dans la quête effrénée de sécurisation, une idée émerge depuis une dizaine d’années : « barémiser » les indemnités de licenciement. Fini, l’aléa judiciaire inhérent à l’appréciation des indemnités de licenciement, à commencer par l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ! L’employeur doit pouvoir évaluer, lors de l’embauche, le risque prud’homal. Longtemps cantonnée aux revues économiques, cette idée est aujourd’hui relayée par les plus hautes sphères de l’État et connaît ses premières concrétisations dans la législation.

I. DE L’ÉVALUATION JUDICIAIRE…

Orienté vers la recherche d’une juste indemnisation, le système indemnitaire n’a pas été conçu pour sécuriser la rupture du contrat. Certaines indemnités sont d’un montant parfaitement prévisible, à l’instar de celle pour licenciement due à tout salarié mis dehors pour un motif autre que la faute grave ou lourde et qui compte au moins un an d’ancienneté ininterrompu dans l’entreprise à la date de sa notifi cation. Son calcul, qui combine la prise en compte du salaire de référence et l’ancienneté de l’intéressé, fait même l’objet de simulateurs sur le Net.

L’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse concentre l’essentiel des critiques. Lorsque le salarié a moins de deux ans d’ancienneté ou travaille dans une entreprise de moins de 11 salariés, cette indemnité est calculée en fonction du préjudice subi. Dans les autres cas, elle est d’un montant qui ne peut être inférieur aux salaires des six derniers mois précédant le licenciement, sans qu’aucun plafond n’ait été défini. Il en va de même en cas de nullité du licenciement. Hors l’hypothèse du licenciement économique, le salarié qui ne demande pas à être réintégré dans l’entreprise a droit à des dommages et intérêts d’un montant au moins égal à ses six derniers mois de salaire. Dans l’hypothèse d’un licenciement économique soumis à un plan de sauvegarde de l’emploi, la nullité de la procédure entraîne une indemnisation au moins égale aux salaires des douze derniers mois.

Accusé d’empêcher l’entreprise de connaître, lors de la conclusion du contrat, le coût de la séparation, ce système est critiqué par ceux qui y voient un frein indirect à l’embauche. Deux séries de réponses sont préconisées. La première vise à agir en amont sur la cause du licenciement et conteste la marge d’appréciation des ju ges, notamment en matière économique. Du contrat de travail unique au CDI de croissance, les propositions sont légion. La seconde consiste à intervenir en aval, sur les conséquences, en encadrant le montant des indemnités éventuellement dues par les employeurs.

Les pistes les plus radicales reposent sur le remplacement d’une logique d’indemnisation par une logique de taxation des licenciements, avec pour effet l’éviction de toute appréciation judiciaire (Protection de l’emploi et procédures de licenciement, O. Blanchard et J. Tirole, La Documentation française, 2003 ; De la précarité à la mobilité : vers une Sécurité sociale professionnelle, P. Cahuc et F. Kramarz, La Documentation française, 2005). Si les premières réponses n’ont pour l’heure pas dépassé le stade de la proposition, les secondes ont connu des traductions législatives, avec l’apparition de barèmes d’indemnisation.

II… AUX BARÈMES D’INDEMNISATION

Un premier pas a été franchi par la loi de sécurisation de l’emploi qui prévoit que, lors de la conciliation, l’employeur et le salarié peuvent convenir ou le bureau de conciliation proposer de mettre un terme au litige par accord. Celui-ci prévoit le versement par l’employeur d’une indemnité forfaitaire dont le montant est déterminé en référence à un barème fixé par décret (art. L. 1235-1 ; D. 1235-21 du Code du travail).

Très peu utilisé en pratique, ce dispositif est complété par le projet de loi Macron qui envisage un référentiel fondé sur l’ancienneté, l’âge et la situation du demandeur par rapport à l’emploi. Ce référentiel interviendrait au stade non pas du bureau de conciliation, mais du bureau de jugement, ce qui lui confère une tout autre portée. Cela veut dire, en théorie, qu’en cas d’échec de la conciliation (le taux d’échec est de 93 %) le juge, plutôt que d’apprécier lui-même le niveau d’indemnisation, devrait appliquer un montant que l’employeur aura été en mesure de connaître au moment du licenciement, voire lors de l’embauche.

En théorie seulement, car tant le barème adopté par la loi de 2013 que le référentiel envisagé par le projet de loi Macron sont soit optionnels, soit indicatifs. Le second n’est ainsi obligatoire que si les parties en font conjointement la demande. Laquelle, d’après les travaux parlementaires, ne pourrait intervenir qu’au stade du bureau de jugement. Ce qui est logique, voire nécessaire, pour s’assurer du consentement libre et éclairé du salarié, mais empêche l’employeur d’anticiper le coût du licenciement, privant le dispositif d’une part essentielle de son intérêt pour ce dernier.

III. LA TENTATION DES « DROITS PROGRESSIFS »

Va-t-on franchir le pas et consacrer un barème obligatoire afin de permettre cette anticipation ? Les propos du président de la République tels que rapportés ci-dessus sont équivoques, et le Sénat vient de voter la création d’une commission de réforme du Code du travail dont l’un des objectifs est de remanier les règles de rupture du contrat de travail, en vue, notamment, d’adopter des « droits progressifs ». Un vocable qui reprend exactement celui utilisé en Italie pour désigner le barème obligatoire d’indemnisation en vigueur depuis mars 2015 (barème fondé exclusivement sur l’ancienneté), lequel fait d’ores et déjà l’objet de virulentes critiques.

Il faut avoir conscience de ce que le droit du travail est tout entier construit autour du droit du licenciement et que l’essentiel des protections en dépend. Si licencier n’est plus contraignant pour l’entreprise, le salarié qui voudra conserver son emploi devra tout accepter, y compris les changements emportant modification du contrat de travail. L’employeur sera à même de proposer la modification en connaissance du coût du refus éventuel de son salarié. Ce qu’on appelle la violation efficace du droit.

Un barème trop bas, comme l’est celui de la loi de sécurisation de l’emploi, reviendrait tout simplement à retirer, de fait, tout caractère contraignant à l’exigence de cause réelle et sérieuse, rendant d’ailleurs superfétatoires les projets de réforme du contrat de travail actuellement en débat. À quoi bon alléger le contrôle du motif du licenciement si les sanctions attachées au défaut de sérieux du motif perdent leur caractère dissuasif ?

Même si le débat est désormais lancé en France, nous n’en sommes pas là et un certain nombre d’obstacles juridiques se dressent sur ce chemin. Une « barémisation » obligatoire heurterait la fameuse convention 158 de l’OIT qui habilite le juge à accorder au salarié injustement licencié « une indemnité adéquate ou une réparation appropriée ». En droit français, elle heurte aussi le principe de réparation intégrale (le juge ne pourra pas réparer intégralement le préjudice subi par le salarié), comme l’illustre, dans le champ de l’indemnisation du dommage corporel, la censure de jugements fondés sur un forfait établi par les juges à partir de leur propre jurisprudence (Cass., 2e civ., 12 mai 2010, n° 09-67.789 ; Cass., 2e civ., 22 novembre 2012, n° 11-25.988). C’est sans nul doute pour cette raison que les projets de référentiels présentent, jusqu’à maintenant, un caractère indicatif (voir par exemple le projet de référentiel indicatif national, statistique et évolutif en matière d’indemnisation du dommage corporel). Espérons qu’il en restera ainsi.

Pascal Lokiec

Professeur à l’université Paris Ouest Nanterre La Défense, où il codirige le master 2 Droit social et relations professionnelles. Il vient de publier Il faut sauver le droit du travail chez Odile Jacob (février 2015).

Le salariat à l’épreuve de la nouvelle économie

Aux États-Unis, les entreprises de la nouvelle économie (services à la personne, covoiturage, etc.) font face à un nombre croissant de demandes de requalification en contrat de travail. Les class actions en cours contre Uber sont parmi les plus médiatisées. La célèbre entreprise de VTC a construit son business model sur le recours aux travailleurs indépendants, avec des économies de charges sociales et de frais du type assurance ou entretien du véhicule. Devant les prétoires s’affrontent, d’un côté, l’entreprise, qui se décrit comme une plate-forme d’intermédiation entre des prestataires de services et des clients, et invoque l’autonomie dont bénéficient ses chauffeurs en termes d’horaires et de nombre d’heures travaillées, et, de l’autre, des chauffeurs qui mettent en avant les obligations que leur impose Uber ainsi que la situation de dépendance économique dans laquelle ils se trouvent.

Si ces contentieux méritent l’attention, c’est non seulement parce que ce type d’entreprise fonctionne, en France, pour l’essentiel sur l’autoentrepreneuriat. Mais aussi parce qu’avec l’essor programmé de l’économie collaborative, notamment dans le champ des services à la personne (voir le rapport « Les métiers en 2022 », Dares, France Stratégie, 2015), dans les décennies à venir, le risque est important de voir une proportion grandissante de la population active exclue de la protection du salariat.

Auteur

  • Pascal Lokiec