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Les irréductibles du Clic-P ne désarment pas

Décodages | publié le : 02.06.2015 | Anne Fairise

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Les irréductibles du Clic-P ne désarment pas

Crédit photo Anne Fairise

À l’heure de la fin des travaux parlementaires sur la loi Macron, l’intersyndicale du commerce parisien maintient la pression pour faire échec au travail du dimanche. Une bataille qui divise, y compris au sein des centrales.

Et une de plus ! Le 12 mai, les représentants du Clic-P scandaient encore leur « Non, non, non au travail dominical » devant le Sénat, appelé à voter le projet de loi Macron. Pas la première fois, ni la dernière. Depuis la présentation du texte en Conseil des ministres, l’intersyndicale du commerce parisien (CGT, CFDT, Unsa, SUD) aura manifesté presque une fois par mois, seule ou avec d’autres structures, pour exiger son retrait, regroupant jusqu’à 3 000 salariés en décembre. Peu ? Pas si mal dans un secteur où la syndicalisation atteint 2 %. Honorable pour un collectif revendiquant, au total, 12 000 adhérents. Et il ne compte pas relâcher la pression, alors que ce projet « fourre-tout », qui élargit les dérogations au travail du dimanche et de nuit, arrive début juin devant la commission mixte paritaire (CMP), chargée de trouver une version commune aux deux chambres. À défaut, l’Assemblée nationale tranchera.

La crainte du Clic-P ? Que le classement probable de plusieurs quartiers de la capitale en « zones touristiques internationales » (les Grands Boulevards ou les Champs-Élysées), à définir par décret, n’aboutisse à une ouverture permanente le septième jour et après 21 heures. Certains patrons, comme Régis Schultz, P-DG de Darty France, réclament déjà par presse interposée « une même loi pour tous ». « La multiplication des exceptions n’est pas gérable. Ce projet de loi est une étape supplémentaire vers la généralisation du travail dominical et nocturne », martèle Karl Ghazi (CGT), ancien de la Fnac et initiateur de cette intersyndicale du commerce parisien.

Un collectif unique. Parce qu’il s’est créé sur un secteur et un territoire, quand la plupart émergent lors d’un plan social. Parce qu’il dure, même si la défection de FO, de la CFTC et de la CFE-CGC a lézardé l’ensemble. Parce que son nom sonnant tel un slogan (Clic-P pour Comité de liaison intersyndical du commerce de Paris) est devenu le cauchemar des enseignes en délicatesse avec la réglementation, inlassablement pour sui vies en justice. Depuis 2010, toutes celles assignées par le Clic-P ont perdu. Leur liste est impressionnante : l’Apple Store et le magasin Uniqlo d’Opéra, le BHV, les Galeries Lafayette du boulevard Haussmann, la boutique Sephora de Bercy-Village et son vaisseau amiral sur les Champs-Élysées, tous interdits de nocturnes. Dernière épinglée, la chaîne d’habillement éthique American Apparel, condamnée pour ouverture dominicale le 7 mai. « Plus de 160 procédures ont été engagées en cinq ans », estime Éric Scherrer (Unsa), un ancien du Printemps.

Faux trésor de guerre.

Depuis 2013, le Clic-P se porte même partie civile devant les tribunaux de police dès qu’un procès-verbal de l’Inspection du travail établissant une infraction y est porté. Objectif : réclamer des dommages et intérêts afin d’alourdir la note pour les entreprises. Mais surtout « augmenter la pression sur les enseignes. Elles sont prises en étau entre les poursuites au civil et au pénal », commente Laurent Degousée (SUD), ancien de Virgin et autre animateur du collectif.

Une stratégie qui a déclenché l’ire du puissant Bernard Arnault, P-DG de LVMH et propriétaire de Sephora, accusant « ce syndicat extérieur à l’entreprise » d’agir « pour des questions purement financières ». Mais de trésor de guerre, il n’y aurait point. L’intersyndicale n’a pas gagné gros sur les astreintes prononcées par les tribunaux. Toutes les enseignes se sont aussitôt conformées à la décision de justice. Hormis la supérette sous enseigne Franprix À la bonne source, qui a refusé de baisser le rideau. Et a été condamnée, début 2014, à verser 96 000 euros.

L’expérience de ces irréductibles, qui bataillent au nom de la santé des salariés et du respect du Code du travail, vaut sésame à l’heure du lobbying contre le projet Macron. Au-delà des 60 000 cartes envoyées au président Hollande pour lui rappeler sa promesse de campagne de « préserver le principe du repos dominical », le Clic-P a rencontré rapporteurs et parlementaires de tous bords. En premier lieu, Karine Berger, la secrétaire nationale du PS chargée de l’économie, et, bien sûr, les députés frondeurs socialistes opposés à l’extension des horaires d’ouverture, qui ont obligé le gouvernement à engager sa responsabilité pour faire adopter le texte en première lecture à l’Assemblée nationale.

« On peut encore gagner l’enlisement », espère Laurent Degousée, qui table sur un repositionnement de la majorité, après la débâcle des élections départementales. La ligne qui sera adoptée au congrès du PS début juin donnera le la, si l’affaire n’a pas été bouclée avant en CMP. Victorieux, le texte du premier secrétaire Jean-Christophe Cambadélis, qui a rallié Martine Aubry et tous les ministres socialistes, indique… que ses signataires sont « opposés » à l’extension du travail dominical. Exit, donc, les nouvelles dérogations ? Telle la possible ouverture des commerces jusqu’à 12 dimanches par an ? Ou celles prévues pour les enseignes des gares à affluence exceptionnelle ou des « zones touristiques internationales » ? À suivre…

En attendant, le Clic-P prend son mal en patience. Il peut, car le texte honni le rend difficilement contournable à Paris. Comme l’a martelé Emmanuel Macron, « il n’y aura pas d’ouverture dominicale sans accord des organisations sociales ». Son projet prévoit que tous les salariés travaillant le dimanche soient volontaires. Et bénéficient de contreparties décidées dans le cadre d’un « accord territorial, de branche, d’entreprise ou d’établissement ». Une disposition dont se méfie Vincent Lecourt, l’ingénieux avocat de Pontoise (Val-d’Oise) qui représente l’intersyndicale dans les prétoires. « Le projet permet toutes sortes d’accords sans qu’on sache vraiment qui va négocier. Il prévoit même le mandatement de salariés ! À croire qu’on organise le contournement des syndicats là où ils refusent de signer », soupire celui qu’on surnomme « le cinquième syndicaliste » du Clic-P.

La puissante Union du grand commerce de centre-ville (UCV), qui défend les intérêts des grands magasins, a sorti les listes de représentativité syndicale dans la douzaine de branches du commerce. Et fait ses calculs. « La probabilité de signer des accords dans des conditions acceptables est faible. La CGT, alliée à FO, a la capacité de tout bloquer », déplore Claude Boulle, son président exécutif. Qui ne se montre guère intéressé par les modifications sénatoriales au projet de loi qui autorisent les entreprises en zones dérogatoires à recourir au référendum pour ouvrir le dimanche. « Le référendum est une fausse bonne solution. C’est une source de complexité et d’échec probable, qui va exposer les entreprises à de violentes campagnes internes », justifie le dirigeant de l’UCV. Lui joue une autre carte, soumise aux parlementaires sous forme d’amen dement : subordonner l’emploi dominical des salariés, en l’absence d’accord, à une simple autorisation administrative. à charge pour les services de l’État de vérifier qu’il y a bien eu des négociations et des contreparties.

Luttes intestines

La bataille se joue aussi au sein des centrales syndicales, avec lesquelles les fortes têtes très politisées du Clic-P, toutes des transfuges, ont été en conflit. Entre l’Union syndicale CGT du commerce de Paris, emmenée par le très radical Karl Ghazi, et sa fédération, qu’il qualifie de « caricature d’une bureaucratie tournant à vide » dans son dernier rapport d’activité, les relations exécrables ne se sont apaisées qu’à l’automne, à la suite du renouvellement des dirigeants fédéraux. L’occasion de récupérer l’aide annuelle de la fédération, tombée de 300 000 euros en 2010… à zéro en 2012 ? « Il n’y avait pas de désaccord sur les orientations mais sur le recours judiciaire systématique, dans la mesure où il n’a pas été décidé par les salariés », assure un membre de l’ancienne équipe fédérale. « La voie judiciaire n’est pas l’essence de notre action, juste une opportunité pour stopper les dérives », rétorque l’intéressé.

Autre conflit, celui qui oppose la CFDT, favorable au travail dominical moyennant contreparties, et son remuant Syndicat du commerce interdépartemental (Scid). Hasard du calendrier ou pas, la confédération de Belleville l’a mis sous administration provisoire début février, invoquant une gestion financière chaotique. « C’est une sanction politique », se défend son leader, Alexandre Torgomian, qui conteste la décision en justice. Cet ex-directeur adjoint d’un magasin Dia n’a jamais tu ses désaccords avec sa centrale, allant jusqu’à critiquer dans la presse les effets négatifs de la loi de sécurisation de l’emploi, dont la CFDT est un artisan majeur. Idem avec sa fédération, dont il a contesté le bilan, et qui a riposté en mettant fin à son détachement. En octobre, elle a profité d’une première mise sous tutelle pour sortir la CFDT du Clic-P. Et retiré au Scid le mandat de ses représentants dans plusieurs enseignes, dont le Printemps Haussmann.

Grand écart

Autre curieux hasard, chez Sephora, la CFDT, qui s’était opposée à une première tentative d’accord sur le travail de nuit, n’a pas réitéré, en novembre, son opposition. Elle a ainsi rendu valide l’accord signé par… la CFTC, qui comptait parmi les organisations à l’origine du recours contre le travail après 21 heures ! Un grand écart qui n’aura plus lieu : la centrale chrétienne a exclu en juin 2013 son syndicat du commerce parisien, qui a rejoint l’Unsa. « Il ne respectait pas nos règles internes de fonctionnement. Son représentant nommait des délégués hors de son périmètre », soutient Joseph Thouvenel.

Vice-président confédéral, celui-ci se dit aussi mal à l’aise avec le tout juridique, notamment lorsque l’emploi est en jeu. « Les syndicats sont là pour défendre les salariés, non pour agir en idéologues. Nous privilégions les actions judiciaires avant l’ouverture illicite des enseignes, pas après », argue-t-il. L’action intentée par une centaine de salariés de Sephora contre le Clic-P a jeté une ombre sur son action. Et alimenté les critiques l’accusant d’être déconnectée du terrain. « Ces salariés ont été manipulés », assure Laurent Degousée (SUD). Les dernières élections chez Sephora semblent lui donner raison. La défense du travail dominical n’a pas servi la CFTC, qui a vu son audience chuter de 41,21 % des suffrages en 2009 à 24,61 % en 2014.

En 2013, la Fédération FO du commerce a aussi fait défection. « Pourquoi rester dans un collectif ne regroupant que des dissidents à leur centrale ? FO est la seule organisation où toutes les structures, du syndicat à la confédération, sont en phase sur le principe du respect du travail domi nical et sur le mode d’action », tonne Christophe Le Comte, de la FEC FO, pourtant toujours asso ciée à toutes les actions judiciaires du Clic-P ! Malgré ces multiples péripéties, l’intersyndicale tient bon. Grâce à la bonne entente de ses membres, des quadras se connaissant depuis des années et s’épaulant dans l’adversité. Preuve qu’elle ne baisse pas la tête, elle a déjà saisi l’OIT au sujet du travail dominical…

Auteur

  • Anne Fairise