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Gilbert Houngbo : Directeur général adjoint de l’Organisation internationale du travail (OIT)

À la une | publié le : 02.06.2015 | Manuel Jardinaud

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Gilbert Houngbo : Directeur général adjoint de l’Organisation internationale du travail (OIT)

Crédit photo Manuel Jardinaud

“N’accuser que les grandes entreprises ne règle pas le problème, mais le déplace”

Comment percevez-vous le poids de la société civile en matière de droits sociaux ?

À travers les organisations non gouvernementales, les syndicats ou simplement des communautés, la société civile est de plus en plus alerte, de mieux en mieux équipée et organisée pour effectuer un rôle d’inspection du respect des normes sociétales, notamment dans le domaine du travail.

Et ce au niveau mondial. Peu à peu, nous nous acheminons vers une redéfinition du rapport de force.

Sur quels sujets voyez-vous cette évolution ?

On perçoit parfaitement le rôle incontournable de la société civile sur la question des travailleurs migrants et sur celle de la santé et de la sécurité chez les sous-traitants du secteur textile. Quand les normes et les conventions ne sont pas appliquées par les pays ou les entreprises, ces vigies exercent une critique encore plus acerbe et pertinente.

L’OIT a-t-elle intégré cette place de plus en plus prégnante de la société civile sur les sujets sociaux ?

Notre organisation demeure très rigoureuse sur son mode de fonctionnement fondé sur le tripartisme, qui associe gouvernements, employeurs et syndicats de salariés. Il est donc parfois très délicat de travailler avec la société civile avec laquelle nous avons des frictions. Mais nous ne pouvons ignorer ce poids croissant et devons le prendre en compte.

Comment cette prise en compte s’illustre-t-elle sur le terrain ?

Au Bangladesh, le deuxième pays le plus important pour l’OIT en termes d’intervention et de coopération technique, nous ne travaillons pas seulement avec les acteurs habituels – autorités, syndicats et entreprises – mais aussi avec les ONG. Nous avons installé un comité de suivi qui intègre plusieurs associations. C’est également le cas au sein de l’instance qui gère le fonds de compensation mis en place après le drame. Nous sommes vraiment passés à une vitesse supérieure en apprenant à travailler avec ces nouveaux acteurs.

Êtes-vous influencé par la communication des ONG, qui vous pousse à intervenir rapidement ?

Il est évident que les catastrophes et les drames servent de sonnette d’alarme. Les ONG sont alors tout à fait dans leur rôle.

Au Bangladesh, le fait nouveau, c’est que les acteurs de la société civile ont réussi à maintenir la pression. C’est le meilleur moyen de rendre hommage aux victimes et de s’assurer que des mesures sont effectivement prises.

Et cela nous a aidés dans notre travail.

Au Bangladesh, la critique a surtout visé les donneurs d’ordres et les grandes entreprises…

Sur ce sujet, il y a trois acteurs essentiels : les acheteurs internationaux, les employeurs locaux et les autorités. Chacun a un rôle à jouer sur la question de la santé et de la sécurité des travailleurs. Après l’écroulement du Rana Plaza, il y a eu un risque de boycott des grandes marques lancé par des ONG. Nous nous sommes opposés fermement à ces appels car il fallait préserver ceux qui en auraient payé le prix les premiers, c’est-à-dire les 4 millions d’employés, dont plus de 80 % de femmes. Mais le travail de fond avec les donneurs d’ordres et les employeurs sur place a fait évoluer les choses dans le bon sens. En deux ans, 400 syndicats se sont implantés dans les entreprises. Nous ne crions pas victoire, mais cela représente une grande avancée.

Vous êtes assez critique sur la vision de certaines ONG concernant la responsabilité des multinationales…

Dans le secteur du textile comme dans les autres, le premier problème relève des États. Il porte sur la mise en place d’une législation appropriée, sur la construction de normes et de leur respect. N’accuser que les grandes entreprises ne règle pas le problème, et même le déplace. Il ne faut pas se tromper de cible.

Auteur

  • Manuel Jardinaud