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Idées

Les DRH sont-ils prêts à garder leurs salariés jusqu’à 67 ans ?

Idées | Débat | publié le : 04.05.2015 |

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Les DRH sont-ils prêts à garder leurs salariés jusqu’à 67 ans ?

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Les négociations pour sauver les régimes de retraite complémentaire Agirc et Arrco doivent aboutir en juin. L’une des propositions patronales consiste à appliquer un abattement sur les pensions de ceux qui partiraient à la retraite avant 67 ans. La mesure fait polémique.

Philippe Caré Directeur stratégie RH et rémunération de Siaci Saint Honoré

Aujourd’hui 60 % des salariés liquident leur retraite alors qu’ils sont inscrits à Pôle emploi. Les organisations rencontrent en effet des difficultés à garder leurs collaborateurs jusqu’au taux plein. Les raisons en sont multiples : fatigue, volonté de partir « plus tôt » ou contraintes de GPEC… Face à cela, l’enjeu pour le DRH est de trouver les solutions adaptées aux profils de ses collaborateurs : cadres sup qui courent après le taux plein, opérateurs non éligibles au dispositif carrière longue. Il doit également tenir compte de contraintes nouvelles. Des entreprises qui avaient recours à des préretraites d’entreprise ou à des PSE « orientés senior » déclarent ne plus disposer des moyens financiers pour le faire. Ou ne veulent pas écorner leur image. Faire « un gros chèque » à un salarié à quelques mois de la retraite paraît de plus en plus incongru.

Il y a de quoi innover. La parution du décret du 16 décembre 2014 sur la retraite progressive met en lumière l’existence de dispositifs – peu ou mal utilisés – de transition « douce » entre emploi et retraite. En faisant l’inventaire des nombreux outils existants et en regardant de plus près ses enjeux de pyramide des âges, l’entreprise peut préparer les scénarios adaptés sans forcément recourir à l’assurance chômage. Elle pourra en effet employer des dispositifs légaux qu’elle complétera par des mesures incitatives adaptées à sa population : rachat de trimestres, abondement du compte-épargne temps, majoration de l’indemnité de départ à la retraite… Mettre en œuvre ces mécanismes est moins coûteux pour la collectivité et, de surcroît, n’entraîne pas de perte de revenus pour les salariés.

La retraite progressive constitue une solution intéressante car elle complète l’éventail des outils de la transition emploi-retraite. Depuis la parution de la circulaire Agirc-Arrco du 18 février dernier, tout salarié est autorisé à travailler à temps partiel tout en complétant son revenu par une liquidation partielle de l’ensemble de ses retraites obligatoires sur la partie du temps non travaillé, et ce dès 60 ans et 150 trimestres. Cela permet à un collaborateur de passer à la retraite progressivement, sans perte majeure de revenus. Et à l’entreprise d’adapter sa masse salariale sans forcément licencier. Autre avantage : le salarié continue de cotiser sur son temps travaillé. Tout le monde y gagne !

Antoine Belot DRH de Philips Lighting France

Entreprises et salariés subissent de la même manière l’allongement de la durée des carrières. Et tout allongement paraît long, très long, quand on attend la retraite comme on regarde la pendule au mur dans une file d’attente.

Je grossis le trait bien sûr. Entre un culte de la performance et de la productivité qui s’est fortement développé dans le milieu professionnel ces dernières décennies et les injonctions répétées de la possibilité d’une vie de plaisir sans effort auxquelles tout un chacun est soumis quotidiennement, la question de l’allongement des carrières professionnelles est le sujet par excellence qui ne donne envie à personne.

Je rencontre régulièrement depuis des années des salariés désireux d’anticiper la date de leur départ à la retraite. Le sujet n’est pas de partir avant 67, mais avant 60 ans, qui demeure ancré dans les consciences comme la référence culturelle de départ « normal ». Rester en activité passé cet âge est presque une punition. Dans ce contexte, le risque, lorsqu’on discute dans l’entreprise de cette question, est que chacune des parties prenantes aborde le sujet comme une contrainte devant ouvrir droit à des compensations. Compensation de la contrainte supplémentaire que représente pour l’entreprise le fait de devoir garder plus longtemps des salariés qu’on ne sait plus gérer. Et compensation de la contrainte que représente pour les salariés le fait de devoir rester plus longtemps.

De nombreuses pistes intéressantes sont investiguées et discutées sur des aménagements matériels des fins de carrière. Mais pour voir plus loin, reste un champ encore trop confidentiel, mais beaucoup plus fondamental à mes yeux, celui du plaisir au travail. Cette thématique doit investir le champ de l’entreprise et c’est un sujet que doivent s’approprier les DRH, d’autant plus dans le contexte globalement difficile que nous connaissons aujourd’hui. Au lieu de chercher à compenser quoi que ce soit, concentrons-nous sur l’envie. Donnons envie aux salariés de travailler jusqu’à 67 ans avant de chercher à les « maintenir » dans leur emploi. Il n’y a plus de doute sur le fait que le plaisir est un facteur de performance individuelle et collective durable. On ne perd ni l’envie ni la capacité de faire des choses à la soixantaine approchante ou passée.

Annie Jolivet Économiste au Centre d’études de l’emploi.

Cette question peut sembler prospective. Le seuil de 67 ans correspond certes à ce qui sera l’âge automatique du taux plein pour les personnes nées à partir de 1955 (1956 dans la fonction publique). C’est la loi de 2010 sur les retraites qui a engagé le relèvement progressif de ce seuil. Les salariés qui n’ont pas la durée d’assurance requise devront donc travailler à terme jusqu’à 67 ans pour obtenir le taux plein. Cette perspective peut sembler lointaine : à raison de quatre mois par an, les 67 ans ne s’appliqueront qu’en 2022 (2023 dans la fonction publique). Pourtant, les entreprises privées peuvent d’ores et déjà employer des salariés de cet âge : depuis 2010, l’employeur ne peut mettre à la retraite un salarié qui ne le souhaite pas avant ses 70 ans, sous peine de voir cette mise à la retraite requalifiée en licenciement. Les DRH doivent donc déjà garder des salariés plus tardivement, et le devront plus fréquemment dans les années qui viennent.

On est aujourd’hui loin d’une vague de poursuite d’activité jusqu’à 67, voire 70 ans. Ainsi, 2,3 % des personnes âgées de 65 à 69 ans étaient en emploi en 2012, emploi salarié ou non salarié. Cette proportion pourrait augmenter si seule une fraction des pensions de retraite complémentaire était versée au moment de la liquidation (ce qui est envisagé dans le cadre de la négociation interprofessionnelle en cours). Les salariés qui ont le choix pourraient en effet être amenés à retarder leur liquidation ou à cumuler pension et emploi.

Si ces évolutions sont bien anticipées, alors l’enjeu essentiel sera celui des conditions de travail : permettront-elles à des salariés de rester dans l’emploi jusqu’à ces âges ? Cela implique de réfléchir à des conditions de travail soutenables tout au long de la vie pour prévenir, quel que soit l’âge, les atteintes à la santé, les inaptitudes, pour permettre des évolutions dans le travail. Cela suppose aussi de favoriser des organisations du travail qui laissent des marges de manœuvre aux salariés avançant en âge. Ces sujets sont donc loin de concerner uniquement les DRH. Ils appellent à décloisonner les approches (comme élaborer des parcours à partir d’aménagements individuels de postes…) et à construire collectivement un regard éduqué sur les relations entre âge, travail et santé.

CE QU’IL FAUT RETENIR

Les comptes des régimes de retraite complémentaire sont déséquilibrés. Les partenaires sociaux négocient les mesures à prendre pour assurer leur avenir. Un accord doit intervenir en juin. L’une des idées du Medef est de minorer les pensions des salariés qui décideraient de partir avant 67 ans. Selon les scénarios présentés, ces abattements (entre 20 et 40 % de la retraite complémentaire) seraient temporaires et dégressifs.

Les entreprises ont bien du mal à maintenir en emploi leurs salariés âgés malgré les politiques d’emploi comme le contrat de génération. Le taux d’emploi des seniors âgés de 60 à 64 ans est de 21,7 % en 2012, selon les derniers chiffres de l’Insee. Le décrochage se situe bien à 60 ans. Le taux d’emploi des salariés de la tranche d’âge précédente (55 à 59 ans) est de 67,1 %.

EN CHIFFRES

1,985

milliard d’euros. C’est le déficit, en 2014, de l’Agirc. Celui de l’Arrco s’élève, lui, à 1,153 milliard d’euros.

44,5 %

des personnes âgées de 55 à 64 ans étaient en emploi en 2012 en France. Contre 48,9 %, en moyenne, au niveau de l’Union européenne.