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Décodages

Stefan Vanoverbeke réaménage la maison Ikea

Décodages | publié le : 04.05.2015 | Manuel Jardinaud

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Stefan Vanoverbeke réaménage la maison Ikea

Crédit photo Manuel Jardinaud

L’affaire d’espionnage des salariés révélée en 2012 a durement ébranlé le climat social chez le leader de l’ameublement. Pour rebâtir la confiance, son P-DG mise sur l’expansion de l’entreprise, l’évolution des métiers et des mesures sociales cohérentes.

Quatre lettres majuscules et deux couleurs. IKEA sur fond jaune et bleu. Son logo est mondialement connu, tout comme ses magasins rectangulaires qui poussent en périphérie des grandes villes françaises depuis trente-trois ans. Quatre lettres et deux couleurs venues de Suède qui ont révolutionné le marché de l’ameublement et qui, aujourd’hui, doivent se réinventer. Dans l’Hexagone, c’est l’objectif du P-DG d’Ikea France, Stefan Vanoverbeke, pur produit maison installé au siège de Plaisir (Yvelines) en janvier 2010, peu avant un rude mouvement de grève. Maniant le tutoiement, comme tous les managers le font dans les 30 magasins, ce Belge flamand parfaitement francophone a une mission : relancer les ventes et moderniser l’enseigne alors que ses concurrents (But, Conforama) grignotent peu à peu des parts de marché. Avec un chiffre d’affaires de 2,38 milliards d’euros en 2014 et 17,9 % du marché du meuble, Ikea reste leader en France. Mais stagne depuis deux ans, ce qui interroge sur son modèle unique, à base de hangars bleus posés à la sortie des bretelles d’autoroute.

Modulation de la superficie des magasins, approche multicanal avec développement de l’e-commerce, mise en place du drive comme dans la grande distribution, réflexion sur une implantation dans certains centres-villes… Les pistes sont nombreuses. Et certaines déjà arrêtées, comme l’ouverture d’ici à 2020 de 10 enseignes supplémentaires. Après Clermont-Ferrand en 2014, Bayonne et Mulhouse vont suivre en 2015. Sur trois ans, l’enseigne compte investir 600 millions d’euros, créer 1 300 emplois et également moderniser des sites existants comme Paris Nord et Plaisir. Cette dynamique qu’insuffle le P-DG, et dans laquelle il souhaite aspirer l’ensemble des 9700 salariés, se heurte toutefois à un insidieux malaise : les répliques de l’affaire d’espionnage du personnel qui a secoué Ikea voilà trois ans. Un scandale qui a généré de la défiance en interne et percuté de plein fouet l’image positive de l’entreprise citoyenne venue du Nord. L’enjeu social est donc majeur.

1 Optimiser les conditions de travail

Travailler chez Ikea est-il pénible ? Sans conteste. Un magasin comme celui de Plaisir compte 350 salariés, dont 60 à la logistique et près de 200 dans la vente et l’information aux clients. Certains postes sont clairement usants : surveiller debout la caisse en libre-service, parcourir des kilomètres pour réapprovisionner les rayons, renseigner des heures durant les clients en quête d’une cuisine et, bien sûr, transporter cartons et meubles en kit jusqu’au comptoir de retrait. Résultat, la question des conditions de travail est aujourd’hui prégnante dans un contexte de vieillissement des salariés : l’ancienneté moyenne est de plus de dix ans, un pic pour le secteur.

Depuis 2012 et le lancement d’un programme mondial, Ikea prend le sujet au sérieux. Des sièges hauts et ergonomiques sont peu à peu installés en caisse. Des « nappes dynamiques » permettent aux manutentionnaires de certains entrepôts de manier plus facilement les colis sur les rails. Des engins électriques de levage vont équiper à terme l’ensemble des services logistiques. « Nous avons sécurisé des lignes de financement pour cela », affirme Bertrand Fialip, le directeur du développement social et des rétributions. Preuve de l’engagement de l’enseigne, le recrutement récent d’un « M. Santé-Sécurité », ergonome de profession, qui a mis en place des formations sur la santé au travail pour les managers et les membres du CHSCT. « Nous sommes dans une logique de petits pas pour obtenir un résultat pérenne et pragmatique », assure Bertrand Fialip. Une logique de prévention – nouvelle pour Ikea – qu’il souhaite voir transcrire dans un accord actuellement en cours de négociation.

Mais les discussions achoppent sur ce texte que Salvatore Rinoldo, délégué central CFDT (35 % des voix), qualifie de « coquille vide ». Plus fondamentalement, les syndicats dénoncent une intensification du travail que de simples mesures d’ergonomie ne sauraient corriger et apaiser. Roger Pouilly, pour la CGT (17 % des voix), estime que la baisse des effectifs est la principale cause des problèmes de santé : « À Montpellier, on est passé en six ans de 350 à 250 salariés pour un chiffre d’affaires qui n’a baissé que de 10 %! » D’où ce profond désaccord de diagnostic entre direction et organisations syndicales. Très gênant, à l’heure où le management met en place la polyvalence des métiers dans les magasins.

2 Cap sur la formation et la mobilité

Ikea est à un tournant de son histoire. Être en phase avec les nouvelles attentes des clients devient urgent pour regagner des parts de marché. L’enseigne veut donc en finir avec des postes historiquement statiques – en caisse, au service après-vente, au restaurant, à l’épicerie… – et diversifier les situations de contact avec le consommateur. D’où la nécessité d’une plus grande polyvalence et d’une évolution des métiers. Une nouvelle fonction vient ainsi de voir le jour, celle de « relation client ». Les salariés en bout de chaîne (caisse, livraison, service après-vente) doivent désormais savoir occuper chaque poste, au gré de l’affluence et des besoins du magasin. Hors cuisine, les salariés de la restauration devront, par exemple, bientôt travailler indifféremment au restaurant ou à la boutique. Quant aux responsables de rayon, ils sont priés de devenir de vrais patrons d’un centre de profit, alliant conseil aux clients et accompagnement des collaborateurs. Une minirévolution culturelle !

La direction a commencé à former les 1 200 managers à la conduite du changement. Et des cursus spécifiques pour chaque poste sont mis sur pied. « En plaçant le client au centre des préoccupations, on crée aussi de l’intérêt pour le collaborateur », explique Bertrand Fialip. Un observatoire des métiers existe depuis 2012 qui permet d’ausculter l’évolution des tâches et d’anticiper les formations requises. Mais les organisations syndicales se plaignent de ne pas y être suffisamment associées. Elles dénoncent, aussi, l’absence d’un accord de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC).

Les partenaires sociaux s’accordent néanmoins à reconnaître que la mobilité fonctionne bien chez Ikea. Qu’elle soit professionnelle – un simple collaborateur qui devient responsable de département – ou géographique. Un phénomène amplifié par les ouvertures prochaines de magasins. « La mobilité professionnelle fait partie de l’ADN d’Ikea », assure Sabine Fasanelli, la directrice des ressources humaines. « Et 95 % des salariés sont favorables à un changement de métier », se félicite Bertrand Fialip pour justifier cette politique. Une « réserve » est déjà constituée pour former les futurs directeurs adjoints de magasin, de même que la détection de « talents » est enclenchée. En outre, sur la fonction de merchandising d’espace intérieur, un partenariat a été lancé en 2014 avec l’école MJM Design pour accueillir 26 apprentis dans neuf magasins. Une première. Preuve qu’Ikea ne veut pas rater son expansion.

3 Flexibiliser salaires et temps de travail

Dans une entreprise qui compte près de 93 % de non-cadres et un tiers de salariés à temps partiel, la rémunération est forcément un enjeu majeur. Sur ce sujet sensible, la direction affiche un volontarisme sans faille. Elle a réussi à arracher à l’unanimité des syndicats représentatifs un accord lors de la négociation annuelle obligatoire de juillet 2014. « Le premier en dix ans », précise le cégétiste Roger Pouilly. Résultat : 1,6 % d’augmentation de la masse salariale et une prime exceptionnelle de 400 euros net. Un accord sur le temps partiel est venu compléter certaines dispositions réglementaires. Telles la majoration des heures complémentaires de 25 % dès la première heure (au lieu de 10 % dans la branche) et la possibilité de moduler son temps de travail à la hausse ou à la baisse en fonction de la situation personnelle et des besoins de l’entreprise.

Résultat, le temps de travail hebdomadaire peut fluctuer à hauteur d’un tiers par rapport à celui indiqué sur le contrat de travail et varier sur l’année entière. Une flexibilité bienvenue pour l’enseigne, qui récompense les volontaires en leur accordant une prime mensuelle de 2,5 % de leur salaire de base. Selon Bertrand Fialip, qui se félicite de ce succès, « 90 % des salariés à temps partiel ont aujourd’hui opté pour la modulation ». En plus du treizième mois, Ikea a injecté deux autres éléments de rémunération. D’abord, le « One Ikea Bonus », un programme mondial de prime calculée sur le niveau de salaire de chaque collaborateur et la performance du magasin. Un supplément de salaire variable qui remplace l’intéressement depuis tout juste un an.

Autre nouveauté, le dispositif « Tack » (« merci » en suédois). Théoriquement mis en œuvre depuis 2014 dans le groupe, il n’a pas encore produit ses effets dans l’Hexagone, pour cause de retard dans les versements. Au premier semestre, les troupes tricolores toucheront enfin leur dû, soit 1 804 euros brut pour un temps plein, à condition d’avoir au moins trois ans d’ancienneté, ce qui est le cas de deux tiers des effectifs français. La somme est scindée en deux parties : une moitié est versée en salaire, l’autre bloquée sur un plan d’épargne jusqu’à la retraite. « Une manière de récompenser la fidélité des collaborateurs au-delà de leur présence dans l’entreprise », explique Sabine Fasanelli, la DRH.

Sur ces deux nouveaux dispositifs, les syndicats font bloc. Ils jugent le non-renouvellement de l’accord d’intéressement et la mise en place d’un système de prime décidé unilatéralement comme une régression sociale pour les collaborateurs. « Rien n’assure la pérennité de One Ikea Bonus, déplore Dominique Nikonoff, délégué central FO (16 % des voix). Contrairement à l’intéressement lié à un accord d’entreprise. »

4 Rebâtir la confiance

Un scandale lié à la surveillance et au fichage des salariés de certains magasins… Révélée en 2012, l’affaire Ikea, objet d’une enquête judiciaire toujours en cours, a fait grand bruit. Et terni l’image de l’enseigne durablement. « Cela a été un grand choc pour les collaborateurs, très attachés à l’entreprise », admet Sabine Fasanelli, la DRH, qui n’était pas en poste au moment des faits. Dans la foulée des révélations, la direction générale et les managers sont allés au contact des salariés pour écouter et rassurer. Et certains responsables ont été licenciés ou déplacés. « Nous avons revu tous les process de recrutement, de protection des données, et mis en place une équipe chargée de la conformité », ajoute la DRH. Un code de conduite a aussi été rédigé à la suite d’ateliers d’échanges avec des managers. Il sert de base pratique pour évaluer les situations problématiques en termes d’éthique.

Dernièrement, une ligne téléphonique mondiale a aussi vu le jour pour recueillir tout récit de salariés témoins de mauvaises pratiques. « Non anonyme », précise Bertrand Fialip, le directeur du développement social. En substance, pour Sabine Fasanelli, « il s’agit de remettre la culture Ikea au cœur de notre stratégie ». Même ligne de conduite dans le cadre du dialogue social. Le DRH monde est intervenu en CCE, tout comme le P-DG France. Les organisations de salariés ont été informées régulièrement. « Nous avons aussi traité cette crise dans sa dimension sociale avec les syndicats. Mais il ne faut pas rester prisonniers de cet épisode. Aujourd’hui nous en sommes sortis », assure Bertrand Fialip.

Une dernière assertion contestée par les syndicalistes. Eux insistent sur une crise de confiance qui perdure, et qui continuera tant que l’enquête judiciaire ne sera pas close. « Le fossé se creuse entre la direction et les salariés, qui sont les vraies victimes de cette affaire. Quant à nous, nous restons méfiants vis-à-vis de la direction », prévient Dominique Nikonoff, de FO, qui qualifie le code de conduite de « farce ». « Ikea est devenu une entreprise comme les autres », regrette Sylviane Nguyen, de la CFE-CGC (12,4 % des voix). « Ikea a perdu son âme », enchérit le cédétiste Salvatore Rinoldo. Preuve que, pour Stefan Vanoverbeke et ses équipes RH, restaurer la confiance n’est pas encore achevé.

EN CHIFFRES

1 589

C’est, en euros, le salaire mensuel brut moyen des employés (hors primes, intéressement, etc.).

11 %

des salariés sont en CDD.

30 %

des salariés travaillent à temps partiel.

Source : Ikea.

Auteur

  • Manuel Jardinaud