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Ils sont chômeurs et ils le clament

Décodages | publié le : 04.05.2015 | Catherine Abou El Khair

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Ils sont chômeurs et ils le clament

Crédit photo Catherine Abou El Khair

Pour s’occuper et ne pas sombrer, ils couchent leurs états d’âme et leurs galères sur le papier ou sur le Web. Avec humour. Un vrai boulot !

Chaque mois, on parle d’eux, mais en chiffres. Les chômeurs, bien sûr, « ces voix innombrables et sans visages », comme les décrit Nora Philippe. « Pendant des mois, j’ai vu passer des courriers de demandeurs d’emploi qui contestaient un avis de radiation. Ils me touchaient profondément », explique la réalisatrice du documentaire Pôle emploi, ne quittez pas. De ces lettres, elle a fait un recueil, Cher Pôle emploi. Lettres de chômeurs en détresse, qui paraîtra le 27 mai aux éditions Textuel. Si la plupart restent dans l’ombre, quelques rares actifs en quête d’un job choisissent de prendre publiquement la parole. Ils partagent alors leur quotidien sur des blogs ou espèrent que leurs témoignages arrivent, un jour, en librairie.

Pourquoi écrire sur leur chômage ? Pour ne perdre ni le nord ni le moral. Un mal qui guette beaucoup d’entre eux : 35 % des demandeurs d’emploi souffrent d’un sentiment de solitude et autant se sentent déprimés, selon une récente enquête du réseau de charité Saint-Vincent-de-Paul. Soit davantage que les retraités. Mais leurs livres et leurs sites Web ne tombent pas dans la complainte. Au contraire. Une nouvelle génération de blogueurs, maîtrisant les codes du numérique, racontent leur vie avec humour et autodérision. États d’âme, galères, entourloupes des recruteurs… tout y passe. Ils décrivent aussi l’image que leur renvoie la société. Des jugements dépassés. Pour eux, le chômage est tellement banal qu’il n’y a aucune raison d’en avoir honte. Les jeunes sortent ainsi de l’anonymat plus facilement que leurs aînés. Leurs productions deviennent un moyen de montrer leur personnalité et leur créativité. Une activité qui se révèle chronophage et exige imagination et talent d’écriture. Un vrai boulot, non rémunéré, qui peut aussi leur permettre de rebondir.

Quentin et Frédéric, chômeurs débordés

Ils sont jeunes, bons vivants et ont l’esprit d’initiative. Pour preuve, leur blog, dont le slogan détonne. Ils l’ont intitulé : « Pas le temps, je suis chômeur ». Quentin et Frédéric, alias Kent et Fred, tous deux 24 ans, ne se sont pas vu proposer un CDI à l’issue de leurs contrats d’apprentissage. Après trois mois de chômage, ces deux Lillois diplômés en sciences de gestion sont donc passés à l’action pour se protéger des affres de l’inactivité. « On cherchait un moyen de nous exprimer, de partager notre quotidien », explique Quentin. Leurs compétences de community management et leur goût pour le graphisme et l’image ont donné naissance à leur blog, créé fin 2014.

Toutes les idées sont bonnes pour alimenter leur site de chroniques au troisième degré, surtout celles qui passent par la tête des chômeurs : partir à l’étranger, s’engager dans le bénévolat, trouver un travail sur les réseaux sociaux… Ils n’hésitent pas à se mettre en scène sur des vidéos. « Le chômage, aujourd’hui, c’est une formalité », explique Quentin. Cette activité les occupe désormais plusieurs jours par semaine. Ils annoncent même vouloir recruter… des chômeurs blogueurs ! Les deux amis se sont pris au jeu et en oublient presque de chercher du travail.

Et pour cause, ce passe-temps cultive leurs atouts. « Tous les recruteurs n’apprécient pas, mais certains trouvent ça formidable », explique Quentin, qui a engagé sa reconversion pour devenir chef de projet vidéo. Pour Frédéric, le blog est l’occasion d’entretenir ses compétences. Et a valeur de carte de visite : « On est au chômage, mais on n’est pas inactifs. » De quoi changer des envois de CV…

http://pasletempsjesuischomeur.com

https://www.facebook.com/pasletempsjesuischomeur

Le pied de nez d’Alain Silver

Écrire, c’était un rêve de jeunesse pour Alain Silver. Ironie du sort, il a fallu à ce cadre qu’il soit débarqué de sa SSII pour ranimer ce vieux projet. Il raconte dans ce livre les conditions de son départ via une rupture conventionnelle puis son entrée chez « Paul emploi ». Publié sous un pseudonyme – non, ce n’est pas lui qui pose en couverture –, l’ouvrage décrit ensuite comment la vie bascule à cause du chômage. « Au fond, mon cas personnel n’intéressait personne. Par mon histoire, j’ai surtout voulu décrire l’infantilisation à l’œuvre dans le service public de l’emploi », explique-t-il. Ou plutôt chez Atout Cadres, le prestataire chargé de son accompagnement. « Ils veulent nous persuader qu’un atelier CV accroîtra nos chances de retrouver du travail. Mais franchement… », note ce père de famille de 1,95 mètre au tempérament affirmé. Fruit de plusieurs mois d’écriture à l’aurore, « en dehors des horaires ouvrés », le récit attire l’attention d’un éditeur qui flaire un texte peu informatif mais « dans l’air du temps », puisqu’il parle du chômage des seniors. Servi par un style alerte, le témoignage alterne bons mots et phrases chocs teintées d’une ironie décapante. Mais point de revendication militante. S’il raille le travail de Pôle emploi, l’auteur ne s’estime pas légitime pour donner des leçons de politique économique.

Depuis cette publication, Alain Silver a retrouvé du travail, dans une fonction support sans lien avec son poste précédent de cadre commercial. Dans ses recherches, il a tu son expérience littéraire, qui lui a permis de « garder le contrôle ».

54 ans, chômeur et toujours vivant…, Alain Silver. Éditions Tatamis. 180 pages, 13 euros.

Alexandre, blogueur malgré lui

« Pour retrouver du travail dans le webmarketing, la directrice d’un cabinet de recrutement m’a conseillé d’écrire sur ce domaine. » Alexandre, âgé aujourd’hui de 30 ans, s’est donc lancé. Mais « un peu contraint et forcé », après quelques années de chômage. Sauf que l’aventure a pris un autre tour pour ce jeune diplômé. « J’aurais pu parler de mon métier, mais beaucoup traitaient du sujet. Alors j’ai décidé d’évoquer ma situation de chômeur. J’avais des histoires à raconter : des entretiens de recrutement, des rendez-vous chez Pôle emploi. Je me suis lâché ! » De cette expérience est née une cinquantaine de chroniques ironiques et parfois osées visibles sur le blog « Vive le chômage ! ». Un espace d’expression personnelle qui traite, en creux, du cercle vicieux du chômage de longue durée. Un choix risqué. « Lors de mes entretiens, je marchais sur des œufs.

Certains recruteurs m’ont dit qu’il n’y avait pas de place pour l’humour », dit-il. Finalement, ce Nantais a retrouvé un CDI par son réseau personnel, sans mentionner son blog. Arrêtée depuis, l’expérience a révélé son goût pour l’écriture ainsi qu’une autre vertu insoupçonnée. « Mon entourage ne me parlait plus de mon chômage mais de mon blog. » En définitive, Internet lui a évité bien des moments de solitude.

Les traits d’esprit d’Albane Devouge

Ses dessins de presse font sourire ses followers sur le réseau social Twitter. Ils sont déjà plus de 9 200 à suivre le personnage d’Agathe, une jeune blonde malicieuse qui ne trouve pas de travail. Une « chômeuse des temps modernes ». Sa génitrice, Albane Devouge, a choisi l’humour plutôt que la récrimination pour évoquer le chômage. « Les blogs où l’on ne fait que râler, sombrer et déprimer, cela ne marche pas », justifie l’intéressée, âgée de 37 ans.

Après plusieurs années de recherche d’emploi à la suite d’un licenciement, la trentenaire a décidé de s’engager dans ce travail créatif. Un gros bol d’oxygène. Agathe est le produit de mois de galère, de missions d’intérim qui se raréfient, de recruteurs soupçonneux. Bref, des galères que cette ancienne chargée de communication a connues. « Mes recherches d’emploi étaient devenues vaines », raconte cette Parisienne aux traits délicats. Qui juge essentiel de changer l’image des demandeurs d’emploi : « On n’a pas la peste ! Il faut nous redonner une image sympathique. » Indispensable, selon elle, pour changer le regard sur le chômage dans l’espace public.

Un défi pour Albane, qui projette de porter à l’écran son personnage dans un format court pour la télévision. Le blog sert de base. « En présentant le projet, beaucoup l’ont trouvé sympa. Sauf le thème. On me disait : le chômage, ça craint, c’est anxiogène », raconte-t-elle. Avec une amie, elle aussi en galère, elle a persévéré. Et réussi à financer un pilote grâce à une levée de fonds sur un site de crowdfunding. En attendant que le projet se concrétise, Albane gagne sa vie en enchaînant des petits boulots, tels de l’aide scolaire à domicile ou de la photographie. Sous le statut d’autoentrepreneur.

Soisic, la DRH qui ne se cache pas

Soisic Navalo a fait partie de ces cadres supérieurs « en transition professionnelle ». Sauf que, contrairement aux autres, cette DRH de profession a osé mettre des mots sur son statut. Oui, elle a été au chômage ! Et a tenu à le faire savoir, dans un journal. « Aujourd’hui, cela fait partie de toute histoire professionnelle. Les recruteurs sont de moins en moins suspicieux devant des candidats sans emploi. Mais la méfiance est loin d’avoir disparu », note l’intéressée. Après seize ans de loyaux services dans une multinationale de l’agroalimentaire, elle a profité, à 46 ans, d’un plan de départs volontaires pour quitter son poste, dont l’évolution ne lui correspondait plus. « C’était le moment de prendre un risque. Cette situation, je l’ai provoquée », explique-t-elle.

Son livre raconte la suite : l’angoisse du chômage qui dure, l’agenda qui se vide, le réseautage à marche forcée, le cercle social réduit à peau de chagrin, la culpabilité qui s’invite dans les moments d’oisiveté… Un mal pour un bien, car après sept mois de recherche, Soisic Navalo décroche un poste équivalent dans le secteur informatique. Et plus rémunérateur de surcroît. Une morale rassurante qui dédramatise un sujet encore sensible pour les cadres sup.

Journal d’une quadra DRH au chômage, Soisic Navalo. Éditions Demos.

130 pages, 17 euros.

Auteur

  • Catherine Abou El Khair