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Un droit à l’erreur encore très balbutiant

À la une | publié le : 04.05.2015 | Emmanuelle Souffi

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Un droit à l’erreur encore très balbutiant

Crédit photo Emmanuelle Souffi

Rares sont les entreprises dans lesquelles se tromper n’est pas une faute. Chez quelques pionnières, toutefois, le risque est permis et l’échec source de savoir. Une condition nécessaire aux initiatives audacieuses.

Si Christophe Colomb ne s’était pas trompé dans ses calculs, jamais il n’aurait découvert l’Amérique. Et si le chimiste Spencer Silver n’avait pas échoué dans la préparation d’une nouvelle colle forte, les Post-it n’inonderaient pas aujourd’hui nos bureaux ! L’innovation naît parfois des erreurs de ses géniteurs. Épingler la faute peut tuer toute velléité créative. Sans tolérance à l’erreur, pas d’action courageuse. Des évidences que même l’Éducation nationale, longtemps accusée de blâmer plus que d’encourager les élèves en difficulté, semble aujourd’hui admettre. L’erreur fait partie de l’apprentissage et l’accepter permet de lutter contre l’échec scolaire, rappelle-t-elle désormais à longueur de circulaires. Les entreprises, pas plus enclines à se montrer open, commencent à adopter un management plus libéré, moins culpabilisant. Dans les sociétés américaines ou d’Europe du Nord, le droit à l’erreur va quasiment de soi. 3M, la société qui fabrique et commercialise les Post-it, l’a édicté au travers d’une charte. À l’occasion de failures parties, le laboratoire américain Eli Lilly décerne même le prix des meilleures erreurs, celles qui ont permis d’avancer et d’ouvrir d’autres horizons.

En France, même si l’accord national interprofessionnel sur la qualité de vie au travail de 2013 a instauré le droit à l’erreur, rares sont les entreprises qui ont osé autoriser le salarié à se tromper sans lui coller un bonnet d’âne. « Nous évoluons dans une culture du risque, pas de l’opportunité, souligne Olivier Bouleau, coach et coauteur d’Oser. Le guide pratique (voir également page 23). Le Français est un penseur, il analyse avant de se lancer alors que le Québécois, par exemple, est un faiseur : il agit et après il voit si ça marche ou pas. Nous devons réapprendre à nous dire “c’est pas grave”. »

« FAIL, LEARN, SUCCEED ».

C’est ce que se répètent à longueur de journée les 260 salariés de BlaBlaCar. Le « fail, learn, succeed » s’affiche sur les murs de la start-up parisienne. Véritable maxime, il infuse dans l’esprit des équipes du pionnier du covoiturage en France. Tous les vendredis, au service technique, chacun présente son fail et son succeed de la semaine. Idem à la communication. Rebelote lors du BlaBlaTalk du mercredi qui réunit tout le personnel, y compris à l’étranger, par visioconférence. L’équipe qui se présente commence par… ses échecs ! « On recrute des gens entrepreneurs, proactifs ; ce serait terrible de leur dire “ici, on ne fait pas d’erreurs”! lance Laure Wagner, première embauchée et aujourd’hui culture captain. Il vaut bien mieux dire les choses, ne pas en avoir honte et partager le savoir. »

Le BlaBlaWiki – sorte de Wikipédia maison – répertorie par thèmes tous les loupés que chacun a pu commettre. Un outil malin pour éviter la récidive. Le BlaBlaLearn, développé par la petite société SpeechMe, contient, lui, des vidéos où les salariés jouent les professeurs experts. Là encore, l’erreur traduit un axe de progression et non pas un symptôme d’incompétence.

À la Maif, la vaste réorganisation décidée en 2012 s’est accompagnée d’une refonte des modes de management. Sur 3 800 salariés concernés par la remise à plat du réseau de clients, près de 650 ont changé de métier ou de région ; 200 gestionnaires de sinistres sont devenus commerciaux. Pour rassurer ceux qui prenaient le risque de bifurquer professionnellement, syndicats et direction ont cherché à dédramatiser l’erreur. Dans le cadre de l’accord d’accompagnement à la mobilité, il est prévu que, durant les deux premières années, les commerciaux débutants ne peuvent pas être licenciés pour insuffisance professionnelle en cas de non-atteinte des objectifs. De quoi libérer les énergies.

Puis, ils se sont entendus sur une vision commune de ce qu’est un loupé. Plutôt que de droit, la Maif préfère parler de « tolérance à l’erreur ». « Le principe du zéro erreur revient à nier le risque inhérent à toute initiative », rappelle l’accord sur les RPS signé en 2014 par cinq syndicats sur six. « Le travail du manager, c’est de lever les contraintes, les peurs de mal faire, et ce pour renforcer les liens de confiance, estime Olivier Ruthardt, le DRH. On a le devoir d’essayer ; le corollaire, c’est le droit de se tromper. »

Ça va toujours mieux en le disant. En reprenant en 2012 Buronomic, Pascal Legros a complètement changé la culture de cette PME de 160 personnes spécialisée dans le mobilier de bureau. Le paternalisme a fait place au mode responsable. Comme à la Maif, 44 salariés ont été promus ou ont changé de métier. Quand il fait son discours bimensuel, le P-DG commence toujours par là où il a péché et là où il a réussi. « Courage et sincérité vont de pair. Quand on ment, on perd la confiance, on stresse », pense cet ancien des private equities. À peine nommé, son directeur industriel a fait des mauvais choix. Retards de livraison et casse de fournitures, le prestataire logistique qu’il avait identifié n’était pas à la hauteur. Plutôt que de lui montrer la porte, le patron a préféré que toute l’équipe réfléchisse à de nouvelles solutions. « Ce qui importe, c’est de rebondir. C’est la culture du droit à faire mieux », résume Pascal Legros.

Quand Philippe Benquet a vu les délais non tenus s’accumuler, ce patron dans le BTP a cherché à comprendre. En fait, les documents mentionnant les dates de livraison des appartements étaient mal rédigés. Résultat, les différents corps de métier confondaient un jour avec un autre. « Si on avait caché l’erreur, on n’aurait pas progressé ensemble, souligne le président d’Acorus. Il est plus efficace de sortir du modèle “je commande, je contrôle” et d’être dans le pourquoi. »

Las, les employeurs ne l’entendent pas toujours de cette oreille. Notamment quand ils embauchent des apprentis à qui ils peuvent reprocher un chapelet de bourdes. Or un quart des contrats sont rompus à cause d’une erreur non expliquée et donc non corrigée. C’est pourquoi l’Association nationale des apprentis de France (Anaf), soutenue par le conseil régional d’Ile-de-France, a lancé voilà quelques mois une émission qui cartonne sur le Web : « On a tous droit à l’erreur ». Un jeune interviewe une célébrité sur la pire boulette commise au cours de sa carrière. Au travers de Filme ton job, des apprentis expliquent leurs ratés et les solutions qu’ils ont trouvées. Près de 2 000 vidéos ont déjà été diffusées. « Bien souvent, les jeunes commettent la même erreur et n’arrivent pas à évoluer. L’idée, c’est de capitaliser dessus pour voir comment être meilleur », explique Morgan Marietti, délégué général de l’Anaf.

LIGNE DE CONDUITE.

Mais attention, l’erreur n’est pas la faute. Elle n’est ni intentionnelle ni de mauvaise foi. « Elle peut être de jugement, d’appréciation, résultant d’un comportement, de l’usage de mots inadaptés », égrène Jean-Christophe Sciberras, DRH de Solvay. Allow mistakes, adress failures : depuis 2010, le chimiste fait de ce commandement une ligne de conduite. À l’époque, Rhodia – racheté en 2011 par Solvay – est en pleine tourmente. Dix business units voient le jour ainsi qu’un nouveau modèle comportemental. « L’erreur fait grandir, l’amnistier permet d’instaurer un climat plus détendu avec le manager, ce qui est indispensable dans un contexte de crise », estime le DRH de Solvay.

Avouer, reconnaître qu’on n’aurait pas dû : agir ainsi n’est pas naturel. Toujours cette peur de la sanction, cette défiance qui pousse à se retrancher derrière des postures. Acter un principe de droit à l’erreur oblige aussi les salariés à jouer la carte de la franchise. La Maif a ainsi formé son personnel à « oser dire » les choses. Avec des comédiens, ils ont enchaîné les exercices d’improvisation durant un à deux jours autour du parler-vrai. Verbaliser sans être vexant, se confier sans se rabaisser… Loin d’être évident. Pascal Legros, lui, a organisé 12 sessions de quarante-huit heures sur le management par le cœur. « Les gens ont besoin d’être rassurés, note le P-DG. Il faut aussi accepter de mettre son ego dans sa poche. » Car il n’y a pas de mea-culpa sans remise en cause de soi. Ou de son organisation. Et c’est parfois bien plus perturbant que l’erreur en elle-même…

Auteur

  • Emmanuelle Souffi