La « conférence sociale thématique » annoncée par Manuel Valls doit se tenir début avril. Elle fera le bilan de la loi de sécurisation de l’emploi. Au menu, notamment, le flop des accords de maintien de l’emploi. Un échec qui nécessite de faire sauter les verrous pour assouplir le dispositif.
Les accords de maintien de l’emploi ne servent à rien. Comme souvent, les intentions sont bonnes mais leur déclinaison mène à des aberrations. Que dit la loi du 14 juin 2013 ? En cas de difficultés conjoncturelles, une entreprise, si elle s’accorde avec des organisations syndicales qui ont recueilli plus de 50 % des suffrages exprimés aux dernières élections professionnelles, peut, pour une durée maximale de deux ans, aménager le temps de travail et la rémunération de ses salariés en contrepartie de l’engagement de ne pas procéder à des licenciements économiques dans la même période. Jusque-là, rien à dire. C’est après que cela se complique.
En effet, pour que les dispositions de l’accord puissent leur être appliquées, les salariés doivent se prononcer individuellement. En cas de refus, ils font l’objet de… licenciements économiques. Cela veut dire que l’employeur, plutôt que de faire des licenciements « après », est amené à les faire tout de suite. Comme dans cette PME alsacienne qui, pour éviter un PSE de 100 postes, s’est vue contrainte de procéder à 160 licenciements économiques. Résultat, le dirigeant n’a strictement aucune idée, lorsqu’il lance l’opération, de la configuration humaine et fonctionnelle qualitative et quantitative dont il héritera dans les semaines qui suivent. Des salariés, éventuellement indispensables au fonctionnement, peuvent choisir, plutôt que de travailler plus et de gagner moins, de se faire licencier. Avec un contrat de sécurisation professionnelle ou un congé de reclassement, plus une période d’indemnisation du chômage, au cours desquels leur rémunération nette sera parfois supérieure à celle prévue par les mesures de l’accord. Cerise sur le gâteau, ces salariés peuvent faire jouer leur priorité de réembauche à l’échéance si les difficultés conjoncturelles de l’entreprise se sont réglées. Comment s’étonner que très peu d’entreprises se soient lancées dans cette aventure ?
Des pistes d’amélioration existent. Comme de sécuriser le chef d’entreprise sur les conditions de la mise en place du plan ou d’éradiquer les « effets d’aubaine » pour le salarié. Pour faciliter l’adhésion de ce dernier, l’entreprise pourrait mettre en place une prime à l’issue de la période couverte par l’accord et en cas de retour de l’entreprise à meilleure fortune. Enfin, pourquoi limiter ce type d’accord à des situations très difficiles et comme seul et ultime recours ?
L’annonce par le gouvernement d’un prochain bilan de la loi de sécurisation de l’emploi est une bonne nouvelle. Si certaines mesures semblent en effet avoir trouvé leur place dans les relations sociales de l’entreprise, il n’en est pas de même pour d’autres, parmi lesquelles les accords de maintien de l’emploi.
Pourquoi ce dispositif a-t-il rencontré si peu d’engouement ? Pour quatre raisons principales : la notion de « graves difficultés économiques conjoncturelles » reste compliquée à appréhender et le redressement de l’entreprise relève de facteurs multiples qu’il convient de prendre explicitement en considération ; les conséquences de la signature d’un tel accord et les conditions de sortie au bout des deux ans s’avèrent difficiles à cerner, surtout quand des incertitudes pèsent sur l’avenir ; le délai de deux ans est considéré par certains employeurs comme trop court, d’autant plus s’il faut plusieurs mois pour négocier l’accord ; conclure et suivre la mise en œuvre de ce type de dispositif nécessite un niveau de relations sociales qui n’existe pas toujours.
Or le débat entre partenaires sociaux sur la situation de l’entreprise et les moyens de la redresser, quand le contexte est complexe, est essentiel. Pour créer de la confiance entre les acteurs, il faut être en mesure de discuter des solutions, de soutenir un débat sur des alternatives. Et quand une entreprise est acculée, il n’est pas évident de signer des compromis de cette nature : soit la situation économique est trop grave et les partenaires sociaux négocient directement un plan de sauvegarde de l’emploi, soit le processus de l’accord de maintien de l’emploi est jugé trop long et laborieux.
Il faudra sans doute une stabilisation économique pour que des accords de ce type voient le jour. Et aussi, surtout, mener une réflexion plus approfondie que cela n’est le cas aujourd’hui pour renforcer, au sein des entreprises, la qualité du dialogue social. En effectuant une mise à plat de l’ensemble des difficultés et des leviers de redressement, afin de juger de l’opportunité de tels accords. Et, si c’est la voie choisie, pour définir les conditions d’un suivi rigoureux du redressement. Voire, pourquoi pas, envisager un aménagement du délai de l’accord. Les conditions sont sans aucun doute trop complexes pour que le dispositif trouve preneur !
Les accords de maintien de l’emploi ont été conçus par les partenaires sociaux puis par le législateur comme un outil permettant aux entreprises de surmonter des difficultés économiques passagères : moyennant un effort des collaborateurs en termes de salaire essentiellement, et ce pendant deux ans maximum, l’employeur s’engage à ne procéder à aucune rupture de contrat de travail pour motif économique. Ce dispositif n’a rencontré qu’un succès très limité. Plusieurs raisons à cela. Tout d’abord, la mise en œuvre de tels accords suppose l’existence de difficultés temporaires. Or on peut penser que les entreprises sont rarement confrontées à des difficultés uniquement conjoncturelles, de sorte qu’elles n’ont pas jugé utile de s’engager dans une négociation qui ne peut qu’être compliquée vu les efforts demandés aux salariés.
Cette question d’(in)opportunité de la négociation a été renforcée par le nombre important de restrictions à la liberté contractuelle introduit par la loi : limites à respecter quant à l’ampleur des baisses de salaire, impossibilité de toucher à certaines modalités d’organisation du travail, ou encore obligation pour les dirigeants de fournir des efforts proportionnés à ceux des salariés.
Enfin, outre qu’il suppose un constat partagé des difficultés économiques, l’accord doit prévoir les conséquences d’une amélioration de la situation financière de l’entreprise sous l’arbitrage éventuel du président du TGI, qui peut en suspendre les effets s’il estime que l’accord est mal appliqué ou s’il constate qu’il ne se justifie plus. L’employeur n’est pas non plus à l’abri d’une contestation judiciaire des licenciements prononcés à l’égard des salariés refusant l’accord. Autant de sources d’insécurité dissuasives.
Du côté des syndicats, l’intérêt d’une telle négociation n’est pas non plus évident : outre la difficulté de trouver une majorité d’au moins 50 %, il faut accepter de renoncer au bénéfice de la négociation d’un PSE, puisque les salariés refusant la mise en œuvre de l’accord se voient licenciés pour motif économique, mais selon la procédure individuelle, donc sans PSE. On imagine l’impopularité qu’est susceptible de générer la signature d’un texte qui non seulement réduit les salaires, mais encore prive les salariés du bénéfice d’un PSE en cas de refus. On le voit, de quelque côté que l’on se situe, l’intérêt de négocier ce type d’accord est quasi nul.
Ils étaient présentés par Michel Sapin, alors ministre du Travail, comme l’arme antichômage de la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013. Les accords de maintien de l’emploi (AME) devaient permettre à des entreprises faisant face à de graves difficultés économiques conjoncturelles d’aménager temporairement le temps de travail, ou encore de réduire les salaires sans recourir à des licenciements.
Trop compliqué à mettre en œuvre, le dispositif de flexisécurité à la française n’a pas convaincu : les entreprises lui ont préféré les accords de compétitivité. Le gouvernement réfléchit à rendre ces AME plus « offensifs ». Derrière cet objectif annoncé d’assouplissement, les syndicats de salariés craignent une remise en cause plus globale des 35 heures.
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C’est le nombre d’accords de maintien de l’emploi qui ont été recensés par le ministère du Travail. Tous ont concerné des PME ou des ETI : Stor Solutions, Walor, Marchal Technologies, Mahle Behr et Aerotech. On comprend pourquoi les agents du ministère du Travail dans les Direccte les ont surnommés les ovnis.