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Cadres : la fin du syndicat béni-oui-oui

Décodages | publié le : 02.04.2015 | Nicolas Lagrange

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Cadres : la fin du syndicat béni-oui-oui

Crédit photo Nicolas Lagrange

Depuis l’élection de Carole Couvert à sa tête, la CFE-CGC hausse le ton et renâcle à signer les accords interpros. Une stratégie payante sur le plan électoral. Mais qui lui vaut des critiques sur son manque de lisibilité.

Versatilité », « double langage », « absence de vision »… Depuis quelques mois, au sein du patronat, des syndicats ré formistes et jusqu’au gouvernement, l’exaspération enfle à l’encontre de la CFE-CGC. À tel point que le Medef s’interroge en interne sur « l’utilité de conserver une représentativité catégorielle », accordée par la loi de 2008 à la centrale de la rue du Rocher. Ce sentiment est exacerbé par le déroulement des discussions sur la modernisation du dialogue social, avortées en février. « À la fin de la négociation, la présidente de la CFE-CGC s’est montrée constructive dans les échanges, mais a publié en même temps des communiqués de presse très fermés prenant le contre-pied de ce qui avait été dit, raconte un représentant du Medef. Ce double discours porte atteinte à la crédibilité de cette organisation. »

D’autres partagent en partie cette défiance, au sein de la CFDT et de la CFTC. « Toutes les organisations ont besoin d’avoir une colonne vertébrale, assure Joseph Thouvenel, vice-président de cette dernière. Être catégoriel ne suffit pas pour définir une ligne doctrinale ; une ligne qui n’est pas explicite aujourd’hui. » Justification de Carole Couvert, présidente de la CFE-CGC depuis deux ans : « Nos interlocuteurs pensaient que nous serions toujours au rendez-vous de la signature. Il y a une vraie inflexion de notre stratégie, nous ne sommes plus les “béni-oui-oui” de service. Il faut nous écouter et prendre en considération nos demandes, sortir d’une vision binaire des syndicats, réformistes ou contestataires. Notre voie alternative est celle d’un syndicalisme réformiste militant qui recherche le compromis, mais qui sait aussi dire non. »

Cette posture plus offensive s’est traduite, en mars 2014, par le refus de la centrale de parapher l’accord sur l’assurance chômage (par ailleurs approuvé par FO) et, le même mois, par son revirement sur le pacte de responsabilité. « Nous privilégions toujours la recherche du consensus, explique Régis dos Santos, président de la Fédération de la banque, mais les organisations patronales sont de plus en plus fermées, tant au niveau interprofessionnel que dans de nombreuses branches. Or les efforts doivent être partagés et équilibrés. »

Dans la négociation sur le dialogue social, le Medef se serait ainsi montré intransigeant, avec un projet trop déséquilibré (un reproche quasi unanime côté syndical). Il n’aurait eu, de surcroît, aucune volonté d’intégrer les propositions de la CFE-CGC. « Faux, rétorque-t-on Avenue Bosquet. Quand nous sentons qu’une organisation est prête à bouger, nous portons une plus grande attention à ses propositions. Plusieurs mesures de l’accord sur la sécurisation de l’emploi portent l’étiquette CFE-CGC, telles que les salariés dans les conseils d’administration ou la mobilité externe sécurisée. Même chose pour l’accord sur la formation professionnelle. C’est la CFE-CGC qui se radicalise », assure ce responsable du Medef. Un dirigeant peu enclin, dans ces conditions, à satisfaire la confédération de l’encadrement dans l’actuelle négociation Agirc-Arrco, très épineuse. Voilà deux ans, le syndicat n’avait d’ailleurs pas paraphé le texte. Ce qui lui avait valu, par ricochet, de perdre la présidence de la caisse de retraite complémentaire des cadres.

Tonalité politique.

« Stop au matraquage fiscal des classes moyennes », « Marre de se faire plumer »… Vis-à-vis du gouvernement aussi, le syndicat catégoriel, qui revendique 160 000 adhérents, a musclé son propos. « Cette tonalité politique, autour des classes moyennes, surfe habilement sur le mécontentement croissant des cadres, analyse Pierre Ferracci, président du Groupe Alpha. Elle permet aussi de reprendre la main face aux importants efforts déployés par la CFDT Cadres et la CGT Cadres et de fédérer en interne. » Un positionnement plus ferme, pas inédit à la CFE-CGC, qu’approuve Philippe Jaeger, président de la Fédération de la chimie, qui figurait dans le camp des opposants à l’actuelle direction en 2013. « L’accumulation de mesures défavorables aux classes moyennes exigeait de durcir le ton : hausse du forfait social sur l’épargne salariale, fiscalisation de la part patronale sur les complémentaires santé, diminution du quotient familial… Nous l’avons fait avec succès puisque notre visibilité est meilleure. »

Une stratégie portée par la présidente confédérale et alimentée par quelques coups d’éclat médiatiques, comme le « procès du syndicalisme ». Mais qui ne fait pas tout à fait consensus. « Sommes-nous plus audibles au niveau national, plus lisibles, davantage écoutés de nos interlocuteurs ? Quels acquis avons-nous engrangés ? » s’interroge un ancien responsable. Un autre ancien élu tacle plus sévèrement : « La ligne suivie se résume à du marketing. Les postures ne sont pas décidées en fonction d’une doctrine claire, mais servent à se démarquer pour peser à tout prix. » La stratégie semble en tout cas payante électoralement. À l’exception notable des fonctions publiques, la CFE-CGC progresse sensiblement dans des secteurs très divers, à EDF, à la RATP, chez Orange, BNP Paribas ou encore PSA. Même si ces résultats sont d’abord le fait de sections d’entreprise plus actives depuis la loi de 2008 sur la représentativité. « Nous développons un syndicalisme d’adhésion plus que d’appareil, qui tend vers un corporatisme d’entreprise, prioritaire par rapport aux mots d’ordre nationaux », observe ainsi Sébastien Crozier, leader de la CFE-CGC chez Orange.

Le raidissement de la confédération sert aussi les intérêts de Carole Couvert. En collant aux revendications de la base, en étant très légitimiste à l’égard des instances, celle-ci cherche à tourner la page du congrès délétère d’avril 2013. Et de son début de mandature très compliqué, marqué par le fiasco sur le changement de nom, le départ de secrétaires nationaux, les licenciements de salariés permanents… Sans compter l’affrontement judiciaire avec Danièle Karniewicz, l’ex-présidente de la Cnav. Accusée de double remboursement de frais, celle-ci a été relaxée au pénal, mais la présidente de la CFE-CGC a porté l’affaire devant le TGI. Une insistance jugée malvenue par beaucoup en interne.

« Ce qui est dommage, c’est qu’en écartant la métallurgie de l’exécutif la confédération s’est privée de son expertise. Un peu comme Laurence Parisot avec l’UIMM », assure Bernard Vivier, directeur de l’Institut supérieur du travail, par ailleurs ancien vice-président de la CFTC. La Fédération de la métallurgie, la plus puissante, ne compte ainsi ni secrétaire national ni délégué national, même si ses experts sont associés aux groupes de travail. Off the record, plusieurs interlocuteurs, en interne comme en externe, déplorent le manque d’expérience des nouveaux négociateurs.

Clivages sur la « clientèle ».

Si le climat est aujourd’hui nettement plus serein, des questions demeurent sur le rôle, la ligne et la valeur ajoutée de la maison de la rue du Rocher. « Le mitage du réseau territorial, la focalisation sur la section d’entreprise et la puissance des fédérations compliquent la donne pour la confédération », analyse Jérôme Pélisse, coauteur de Sociologie d’un syndicalisme catégoriel. La CFE-CGC ou la fin d’une exception ? (éd. Armand Colin, 2013). Ainsi, la Fédération de la banque, soutien de la première heure de Carole Couvert, a refusé une hausse des cotisations au motif que la confédération ne proposait pas davantage de services qu’avant aux structures professionnelles.

Autre chantier, celui sur la « clientèle » de la centrale. « Il existe de vieux clivages au sein de la confédération, notamment entre les cadres encadrants et les cadres experts, ainsi qu’entre les cadres et les non-cadres », précise Jérôme Pélisse. Lors des 70 ans de la CFE-CGC, en décembre dernier, 32 % des participants estimaient ainsi devoir s’adresser à l’encadrement, 37 % aux cadres, ingénieurs, techniciens, agents de maîtrise et fonctionnaires, et 26 % aux classes moyennes. « La notion de classes moyennes est très large. Nous devons nous interroger sur les évolutions sociologiques de l’encadrement et de notre fond de pensée si nous voulons pérenniser la réalité de notre spécificité catégorielle », insiste Gabriel Artero, président de la Fédération de la métallurgie. À l’époque où Carole Couvert faisait duo avec Bernard Van Craeynest, celle-ci s’était beaucoup dépensée pour rapprocher CFE-CGC et Unsa. Si le projet a, depuis, été abandonné, la nécessité d’une réflexion stratégique reste entière. Mais il est fort peu probable qu’elle ait lieu avant le congrès d’avril 2016, dont la priorité pourrait être de panser les plaies…

CHIFFRES

160 000

C’est le nombre d’adhérents revendiqués depuis des années par la CFE-CGC.

9,43 %

C’est le score réalisé par la centrale en mars 2013, lors de la première mesure de la représentativité syndicale.

Sources : CFE-CGC, Direction générale du travail.

CAROLE COUVERT Présidente de la CFE-CGC
“Nous ne portons les valises de personne”

La CFE-CGC sait-elle vraiment où elle va ?

Celui qui ne sait pas où l’on va est soit aveugle, soit sourd. L’encadrement était oublié depuis quelques années. Nous multiplions les initiatives pour qu’il soit à nouveau entendu. Mon objectif était de faire passer notre organisation de l’ombre à la lumière. Nos positions étaient plutôt grises avant, désormais elles sont blanches ou noires, argumentées, prises en temps réel au regard de l’actualité, avec un vrai débat dans les instances et des votes clairs. Sur le terrain, nous enchaînons les succès électoraux et les militants éprouvent un fort sentiment de fierté et d’appartenance.

Certains au Medef vous reprochent un manque de fiabilité, d’autres disent que vous « roulez pour la droite »…

Quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage. Une frange du Medef est dans la surenchère. Le patronat est de plus en plus divisé, à l’approche de la mesure de sa représentativité. Quant aux accusations de « rouler pour la droite », elles sont risibles. Nous ne portons les valises de personne. Pas de chance pour le gouvernement, c’est lui qui est aux commandes et qui s’en prend aux classes moyennes, mais le matraquage fiscal a commencé en 2011 et nous l’avions déjà dénoncé à l’époque.

Comment évolue le climat interne depuis le congrès de Saint-Malo en avril 2013 ?

Les tensions sont en bonne voie d’apaisement. Nous sommes en train de dépasser les clivages sectoriels. Je me suis notamment exprimée en décembre devant le bureau fédéral de la métallurgie, à son invitation, et je participerai à son congrès en juin. Nous sommes dans une logique de rassemblement large, en vue du congrès confédéral d’avril 2016.

Quand le changement de nom sera-t-il de nouveau sur la table ?

Le chantier est en suspens. Il pourrait être évoqué lors du prochain congrès, mais ce n’est pas certain, car cela suppose un changement des statuts, approuvé aux deux tiers. Je reste convaincue que c’est nécessaire.

Propos recueillis par Nicolas Lagrange

CAROLE COUVERTPrésidente de la CFE-CGC

Auteur

  • Nicolas Lagrange