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Arc International respire à nouveau

Décodages | publié le : 02.04.2015 | Emmanuelle Souffi

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Arc International respire à nouveau

Crédit photo Emmanuelle Souffi

Le premier employeur du Nord-Pas-de-Calais passe sous pavillon américain. Non sans crainte. Car l’histoire de la cristallerie familiale est celle d’un bassin d’emploi qui vit au rythme des fours depuis près de deux cents ans.

À Arques, ville et usine ne font qu’un. Et ce n’est pas qu’une histoire de nom à l’orthographe différente. Il suffit de longer la route principale et de tomber sur le rond-point où trône une imposante œuvre de verre réalisée en mémoire de Jacques Durand, le « pépé » qui régna durant soixante-dix ans à la tête d’Arc International, pour le constater. Cette bourgade de 10 500 âmes, située près de Saint-Omer dans le Pas-de-Calais, respire au rythme des fours d’où sortent des centaines de milliers de verres, carafes et autres vases. Et ça dure depuis 1825, quand la Verrerie des sept écluses a commencé à souffler ses premiers ballons, tout près du canal qui borde la ville. Les maisons et les immeubles jadis érigés par le pater familias ceinturent les hectares industriels. La « Cristal », c’est le poumon de la ville. De tout le Nord-Pas-de-Calais.

Las, depuis dix ans, le poumon fatigue. Concurrencé par les pays à bas coûts, asphyxié par une dette abyssale (310 millions d’euros), pénalisé par l’embargo sur l’Iran, la parité euro-dollar et une stratégie hasardeuse dans la distribution, le fleuron ch’ti a bien failli s’éteindre. Mais le 9 février, les Américains ont débarqué, apuré le passif et mis 60 millions d’euros sur la table pour repositionner le groupe. La Cristal est rachetée par un fonds d’investissement, PHP, et dirigée par un New-Yorkais féru de littérature anglaise, Tim Gollin, qui va s’installer dans le coin avec femme et enfants. Les 5 690 salariés se pincent encore. « Je n’y crois pas, murmure ce salarié employé depuis vingt-sept ans. C’est reculer pour mieux sauter. » La famille Durand, qui possède son château juste à côté de l’usine, conserve certes 20 % des actions et réinjecte 2 millions d’euros. Timothée, un des petits-fils, sera le nouveau directeur Europe. Mais une page se tourne. Le paternalisme cède au capitalisme financier. C’était ça ou le redressement judiciaire. « Il y avait des offres qui ne gardaient que 1 700 personnes sur le site ! relativise Frédéric Specque, secrétaire du CE (CGT). On a limité la casse et PHP s’engage à ne pas démanteler le groupe ni licencier au cours des trois prochaines années. » Le rebond ou la mort. « Arc est sauvé, l’offre de PHP préserve les vrais actifs de l’entreprise, en France et à l’étranger », est persuadé Pierre de Saintignon, vice-président de la région Nord-Pas-de-Calais, qui s’est beaucoup investi dans le dossier.

Sauver Arc à tout prix.

Ces dernières années, le verrier a sérieusement trinqué. Ses déboires – en chiffre d’affaires a plongé de 1,1 milliard d’euros en 2011 à 978 millions en 2012, puis à 901 millions en 2013 – sont suivis de près par le cabinet d’Arnaud Montebourg puis d’Emmanuel Macron. En coulisses, Zacharia Alahyane, le conseiller aux restructurations, multiplie les rendez-vous avec investisseurs, élus et syndicats. Car il faut à tout prix sauver le soldat Arc. Après la chute de Mory Ducros, le gouvernement redoute une nouvelle tragédie si le premier employeur privé de la région vient à disparaître. Déjà que les effectifs ont été divisés par deux depuis 2000… Or Arc, c’est 1 % du PIB et 1,7 % de l’emploi local.

Quand la Cristallerie tousse, c’est tout le bassin qui est grippé. Les cafés qui tournaient de 4 h 30 à 20 heures en fonction des équipes ont peu à peu fermé. En face du comité d’entreprise, la boulangerie a baissé le rideau. « À 17 h 30, c’est opération ville morte ! » regrette un nostalgique des belles années de la Cristal. Alors, un dépôt de bilan… « Si Arc fermait, vous pourriez multiplier l’impact par trois. On fait vivre des familles 40 kilomètres à la ronde ! » clame Guy Foube, animateur du syndicat autonome affilié à l’Unsa. Rien qu’à Nordausques, une commune de 1 000 habitants située à une vingtaine de kilomètres, près de 20 familles travaillent à la Verrerie. Le maire également. Le site compterait 300 couples. Quand la direction réunissait tous les ans et demi les édiles des localités comptant au moins cinq salariés Arc, ils étaient plus de 200 ! Jamais histoire d’une marque n’a autant collé à celle d’un territoire. Il y a bien Michelin à Clermont-Ferrand… Mais l’Audomarois est une succession de petites communes séparées par des zones commerciales. La culture était paysanne et pas industrielle. « Jadis, les petits agriculteurs qui n’avaient plus la taille critique pour survivre venaient travailler à la Cristallerie et cultivaient leur lopin de terre les jours de repos », se souvient Michel Lefait, maire d’Arques de 1977 à 2001. Pas d’immigrés venus en renfort mais des Ch’tis alléchés par le niveau des salaires et l’emploi garanti. « Pendant trente ans, on embauchait une personne par jour, 400 par an ! » se souvient le député. On avait même construit un parking spécial pour les candidats !

Paternalisme.

Jusqu’en 1968, Jacques Durand refuse tout syndicat. Et quand il doit s’y résoudre, il crée le sien, le syndicat autonome, à l’influence redoutable. « C’était féodal, il fallait avoir sa carte chez les autonomes pour évoluer », se souvient un salarié. « Pépé » règne en maître sur son usine. Il y circule à vélo, tape sur l’épaule et veille sur tous les recrutements ! Quand on se marie, la liste est déposée au magasin d’usine. Pour la retraite, un service spécial s’occupe de tout. Et quand on galère à trouver une maison, M. Durand est toujours là pour débloquer la situation. Le paternalisme maintient la paix sociale. Il n’est pas pour rien dans l’absence de conflits dans les plans sociaux successifs qui ont abouti à près de 7 000 suppressions de postes entre 2000 et 2013, dont 1 645 départs en préretraite cofinancés par l’État. Le tout sans que cela fasse la une des journaux. « C’est un groupe qui a un excellent savoir-faire dans la gestion et le dialogue social », souligne l’ancien DRH José-Maria Aulotte. Quand on restructure, on ne mégote pas chez les Durand. Le coût des différents plans atteint 170 millions d’euros. « La famille a tiré sur ses fonds propres pour financer la baisse des effectifs », résume Pierre de Saintignon.

Des conventions de revitalisation ont permis d’attirer des PME. « Aujourd’hui, le différentiel est d’environ 900 emplois. On a compensé les pertes mais avec des postes moins bien payés et moins stables », constate Michel Lefait. Relation de cause à effet ? Bastion rose, la mairie a basculé à droite en 2014. La nouvelle maire – une nièce de Jacques Durand ! – mise sur le tourisme et compte installer sur la friche de l’usine historique détruite en 2013 un pôle verrier et un hôtel d’entreprises. « La mono-industrie, c’est du passé », prévient Caroline Saudemont, qui cherche avant tout à désendetter sa commune.

Alors, savoir que 200 Arc vont être licenciés d’ici peu – du jamais-vu dans l’histoire du verrier ! – rend encore plus cruciale l’urgence de doper l’attractivité du territoire. À la sortie de l’usine, la tension est palpable. Qui partira ? Qui restera ? Incités à s’en aller dans le cadre de départs anticipés de solidarité, les plus de 58 ans sont regardés de travers. « Ceux qui le peuvent financièrement doivent partir, tranche Guy Foube. C’est libérer une place pour les jeunes. » Dans tous les cas, les Arc savent que leur survie tient en deux mots : productivité et flexibilité. Dans l’Audomarois, on croise les doigts.

CHIFFRES CLÉS

5 690

C’est le nombre de salariés en France, auquel s’ajoutent 15 000 emplois induits.

901

millions d’euros. C’est le chiffre d’affaires (en 2013) et 350 millions d’euros, le montant de la dette.

1 %

du PIB régional est généré par l’entreprise Arc.

Sources : Arc International, région.

Auteur

  • Emmanuelle Souffi