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La valse-hésitation des étudiants rennais

À la une | publié le : 02.04.2015 | Rozenn Le Saint

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La valse-hésitation des étudiants rennais

Crédit photo Rozenn Le Saint

À l’université Rennes II, beaucoup de jeunes travaillent pour financer leurs études. Des premiers pas dans le monde professionnel bien utiles pour affiner leurs projets.

Un étudiant jongle en face de la bibliothèque universitaire de Rennes II, d’autres discutent philo dans l’herbe. Ce jeudi 5 mars, l’appel à manifester de l’Unef contre la politique d’austérité n’a pas séduit grand monde, même dans l’université fer de lance des principales luttes étudiantes, jadis berceau du mouvement anti-CPE. En 2006, ses étudiants en sciences humaines s’étaient élevés contre la précarisation de l’emploi des jeunes. La génération suivante a grandi sans se bercer d’illusions, avec en bruit de fond la hausse du chômage et les bac + 5 au Smic. « Alors tant qu’à être précaire, autant l’être en vivant de sa passion », sourit Marie Ufferte, 22 ans, qui se décrit comme étudiante en licence 3 Arts du spectacle.

Et pourtant, celle-ci passe plus de temps à travailler comme ouvreuse au Théâtre national de Bretagne qu’à prendre des notes à l’amphithéâtre de la fac. Un job de vingt à quarante-cinq heures par mois qui lui permet de financer en partie son année scolaire, mais aussi de s’assurer de sa vocation. « J’aimerais travailler dans les relations publiques auprès d’un théâtre. J’ai rencontré des responsables qui ont commencé ouvreurs, sont passés par la billetterie avant de monter sans avoir forcément un bac + 10. Ça m’a rassurée de voir que la direction n’est pas fermée à faire évoluer les passionnés, même ceux de ma génération », témoigne-t-elle en prenant le soleil devant la cafétéria. Le système de la fac n’assouvit pas sa soif de concret, elle ne s’y fait pas. Marie regrette de ne pas avoir opté pour une « voie de garage », comme disaient ses profs de lycée. Telle qu’un CAP couture qui lui aurait permis de devenir costumière.

« ASSEZ DE BOSSER SOUS PRESSION ».

Pour Bruno Boulet, grand blond qui dévale en chantant les escaliers du restau U, c’est l’inverse. Après avoir passé un CAP d’ébénisterie et travaillé six ans « dans le privé », il a repris les études pour « gagner plus en travaillant moins ». « J’en ai eu assez de bosser sous pression en multipliant les heures sans être bien payé », justifie-t-il. Alors à lui les bancs de muscu et de l’université : il n’en doute pas, il décrochera son Capes d’éducation physique et sportive cette année. Mais vise aussi l’ENS : les douze heures hebdo qu’il passe à ranger des vêtements chez H & M ne lui ont pas permis de tenter le concours mais il croit en ses chances sur dossier. Ses années de vie active lui ont appris « l’importance d’avoir du résultat ».

Au forum des jobs d’été organisé par le Centre régional d’information jeunesse (Crij), les étudiants grouillent au moins autant que « rue de la soif » le jeudi soir. Ce mercredi 4 mars, 3 700 jeunes ont défilé tout l’après-midi, leur maigre CV sous le bras. « Les petits boulots leur permettent de savoir ce qu’ils veulent faire ou au moins ce qu’ils ne veulent pas faire plus tard », approuve Anne Charpentier, informatrice au Crij.

Devant un tableau de petites annonces, Rafaël Brun, 21 ans, énumère : « Classer du courrier pendant un an à La Poste, OK. Ramasser des légumes deux mois, d’accord. Mettre des conserves en rayons au Carrefour Market cette année, ça passe… Mais pas pour toute la vie. J’aimais l’économie, je me suis dit que le management pouvait m’intéresser, j’envisageais d’intégrer une école de commerce. C’était avant de travailler dans un call center. Là, j’ai compris que je ne voulais pas y rester plus de deux mois, tomber moi-même en dépression ou manager les salariés en les poussant à faire toujours plus de chiffre sans se préoccuper de leurs souhaits », témoigne-t-il. Quand il parle du « grand méchant » qu’il ne veut pas devenir, il mime des guillemets, comme pour montrer qu’il est bien conscient de son regard un brin idéaliste sur le monde du travail. Mais au moins, il parle un minimum en connaissance de cause. Il a fini par claquer la porte de l’IUT de gestion pour intégrer une licence d’Information-communication à Rennes II.

FUIR LES GRANDS GROUPES.

Mêmes échos du côté de Joséphine Poirier, de quelques semestres son aînée à l’université, en master 1 Info-com. Après deux emplois de pionne, elle passe aux 35 heures chez Habitat en tant qu’hôtesse de caisse « pour [s]’assumer toute seule ». Et prend rapidement des responsabilités : elle s’occupe de gérer les flux de marchandises et de contacter les fournisseurs. « Cette expérience m’a appris que le temps est long quand on n’exerce pas le métier qui nous plaît vraiment. Elle m’a aussi solidifiée. À présent, je me sens capable de me présenter devant un employeur en y allant au culot. Je peux lui dire que oui, factuellement, j’ai seulement un bac + 3 mais que je suis capable d’apprendre sur le tas », assure-t-elle. La jeune fille se promet de fuir comme la peste les grands groupes, dans lesquels « on est à peine un numéro, on n’est rien ». Dans la mesure du possible, elle privilégiera des structures associatives.

« Leur job les dégourdit clairement, confirme Bénédicte Morzadec, responsable RH des McDonald’s rennais qui embauchent des étudiants à 80 %. Le contact avec la clientèle leur permet de gagner en assurance. Ça leur sera utile dans leurs études ou leur vie professionnelle future. »

Les professeurs, eux, ne perçoivent pas le fait que leurs ouailles travaillent comme un atout. « Les étudiants ont une vision très découplée, compartimentée. D’un côté, il y a leur vie à la fac et, de l’autre, leur gagne-pain. Ils ne font pas le lien entre ce qu’ils voient en cours et leur job, comme s’ils souhaitaient séparer totalement les deux sphères », regrette Jennifer Urasadettan, chercheuse en gestion des ressources humaines à Rennes II. Cette dernière aimerait profiter de leur expérience professionnelle pour rendre plus parlantes les théories qu’elle enseigne dans son master Entrepreneuriat et emploi dans les petites et moyennes organisations. Même au moment de rechercher un stage, elle remarque que « les élèves qui occupent un travail alimentaire n’ont pas forcément le réflexe d’activer leur réseau en sollicitant leur patron ». Une question de capital social, selon elle.

Auteur

  • Rozenn Le Saint