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Les quatre maux qui plombent l’Afpa

Décodages | publié le : 07.03.2015 | Manuel Jardinaud

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Les quatre maux qui plombent l’Afpa

Crédit photo Manuel Jardinaud

Entre tensions avec les régions, statut flou, rigidités culturelles et infrastructures vieillissantes, l’institution historique de la formation souffre de faiblesses qui obèrent son avenir. Pas sûr que les efforts déployés suffisent.

En légère progression, mais doit mieux faire. Et, surtout, rapidement. Tel pourrait être le commentaire d’un professeur à propos de l’Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (Afpa). Car pour l’acteur historique du secteur, l’avenir demeure incertain. Dernier avatar d’une crise sans fin : un cycle de réunions au ministère du Travail, rassemblant partenaires sociaux, régions et services de Bercy, entamé cet automne. Il doit se conclure avant fin mars sur « un projet pour pérenniser l’Afpa », indique le ministère. Un effort financier de l’État est à nouveau envisagé, compris entre 100 et 150 millions d’euros, susurre-t-on. Une sacrée somme, qui s’ajoute aux 220 millions déjà versés en deux fois, en 2013 et 2014. Avec son plan de refondation lancé à l’été 2012, son président, Yves Barou, tablait sur un excédent brut d’exploitation de 2 millions d’euros en 2014. Or les comptes vont afficher un déficit de 10 millions d’euros… Entre 2011 et 2013, le chiffre d’affaires, lui, a chuté de 12 %. « Notre résultat net sera négatif pour 2014 », confirme Christophe Donon, directeur de la stratégie. La situation économique de l’Afpa reste donc fragile, pour ne pas dire inquiétante. En cause, quatre gros points noirs, qui rendent sa remise à flot incertaine.

1 Des relations difficiles avec les régions

Premier impératif pour sortir de l’ornière : mieux travailler avec les régions. Christophe Donon, le stratège en chef, reconnaît un contexte difficile : « Sur le volet développement, nous sommes à la peine, notamment en raison de la baisse des financements depuis 2013. » Les régions sont directement visées, qui captent et redistribuent l’essentiel des budgets publics liés à la formation professionnelle, soit près de 2 milliards d’euros en 2012 (hors apprentissage). La réforme entrée en vigueur en janvier 2015 leur octroie en outre le financement de celle des détenus et des chômeurs handicapés, qui revenait auparavant à l’État. Une mauvaise nouvelle pour l’Afpa qui va désormais devoir contractualiser avec chaque région pour ces publics spécifiques.

Les relations avec ces territoires sont donc au cœur de la problématique. Les syndicats maison l’ont bien compris, qui tapent fort sur leur représentante, l’Association des régions de France (ARF), coupable à leurs yeux de les laisser tomber. Début février, l’intersyndicale (CGT, CFDT, FO, SUD, CFE-CGC et CFTC) mettait ainsi en cause la responsabilité des régions quant aux places inoccupées dans les stages. Et dénonçait l’absence de volonté d’ » investir dans l’acquisition de compétences professionnelles et de métier ».

Une position unanime qui fait bondir Pascale Gérard, à la tête de la commission formation de l’ARF : « Il peut y avoir des baisses, certes. Mais dans ma région, en Paca, nous versions 44 millions d’euros à l’Afpa en 2004, nous lui en payons 48 millions en 2014 ! » Elle ajoute : « J’ai même maintenu un temps des subventions, et cela de façon illégale. » Même son de cloche en Auvergne, citée en comité central d’entreprise en décembre dernier par le directeur général de l’Afpa, Hervé Estampes, comme territoire difficile : « Nous avons acheté 7,2 millions d’euros de formations à l’Afpa en 2012 et 7,8 millions en 2013 », se défend Arlette Arnaud-Landau, vice-présidente du conseil régional, chargée du dossier. En parallèle, la région a signé une convention sur l’hébergement et la restauration des stagiaires pour 1,1 million d’euros. Bref, les régions ne veulent pas jouer les boucs émissaires. Il n’empêche : l’Afpa, vu sa situation financière, souffre de tout retard dans les bons de commandes et de tout report de budget.

2 Une organisation et une culture peu agiles

Les maux de l’Afpa sont également intrinsèques. Et ses difficultés d’ordre culturel et organisationnel. Exemple : le recours aux appels d’offres. Un passage désormais obligé, mais très douloureux, pour une association historiquement financée par une enveloppe globale de l’État. Et qui peine à accepter de se retrouver en concurrence avec d’autres acteurs, souvent agressifs sur les prix. Le pilotage de l’organisme, aussi, se révèle affreusement complexe. « L’une de nos grandes faiblesses, c’est que nous avons encore 22 systèmes d’information, que l’on va heureusement bientôt réduire à 13. De plus, nous avons aussi 22 modes de communication et de justification différents », confie Christophe Donon.

Pour s’en sortir par le haut, manquent encore à l’Afpa agilité et souplesse. Une ancienne cadre dirigeante se souvient ainsi d’appels d’offres régionaux auxquels l’Afpa ne s’adaptait ni en coût, ni en temps de formation, ni en contenu. Elle dénonce aujourd’hui un immobilisme persistant hérité de son statut d’acteur public : « Les gens de l’Afpa savent ce qui est bon, pensent qu’ils sont les meilleurs, et donc ne veulent pas bouger », affirme-t-elle en qualifiant la structure d’« arrogante ». Pascale Gérard, de la région Paca, évoque, elle, « une culture endogène, en circuit fermé », qui empêche de décrypter l’évolution de l’environnement. Pour coller aux attentes des élus territoriaux – et s’adapter à la mise en place du compte personnel de formation –, l’Afpa a néanmoins évolué. Elle est passée d’une offre de 235 formations longues à un catalogue de 930 modules.

Une plate-forme de formation à distance va aussi être expérimentée à la mi-2015, avant un déploiement complet d’ici à la fin de l’année. Un projet qui s’inscrit dans un programme visant à mettre en place un vaste centre de ressources pédagogiques numériques. Un partenariat avec Orange offrira des solutions aux entreprises. « Ce ne sera pas une source d’économie formidable. Mais cela va permettre une hausse de la productivité des formateurs », confie Christophe Donon. Le directeur de la stratégie entend aussi développer le marché des entreprises, de loin le plus juteux en matière de formation professionnelle. Or celui-ci ne représente actuellement que 15 % du chiffre d’affaires. Un taux notoirement insuffisant, comme le reconnaît son dirigeant : « Il y a peut-être un effet crise, mais je concède que l’Afpa porte une forte responsabilité dans le fait de ne pas savoir conquérir ce marché. » L’association peine d’autant plus à faire sa révolution culturelle sur ce segment que les syndicats freinent des quatre fers. « Nous ne sommes pas favorables à l’investissement de ce marché car notre cœur de métier historique est la formation des chômeurs », tranche Jean-François Guérut, élu CFDT au CCE, l’œil dans le rétroviseur…

3 Un positionnement encore trop flou

Qu’est-ce que l’Afpa ? Un organisme de formation classique sur un marché concurrentiel ou un acteur du service public de l’emploi (SPE) ? Les deux à la fois. Ce positionnement crée des tensions et ne facilite pas son développement. « Il existe une espèce de schizophrénie, note Caroline Lopinot, qui fut directrice des marchés privés jusqu’à la fin 2010. L’Afpa est déchirée entre sa vocation régalienne et son besoin d’autonomie au service d’une commande de marché. » D’où la difficulté de donner du sens aux salariés et de définir une stratégie claire. Avec un président nommé en Conseil des ministres et une gouvernance paritaire incluant les régions, l’Afpa ne peut se présenter comme un formateur lambda. C’est ce que soutiennent mordicus les syndicats. « Il faut deux fondamentaux : identifier et pérenniser les perspectives au sein du SPE », estime Christian Fillot, numéro un cégétiste.

Symboliquement, le gouvernement est en passe de répondre à cette exigence en réfléchissant à intégrer l’Afpa au Conseil national de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelles ainsi qu’à ses déclinaisons régionales. Une perspective qui ne réjouit ni les régions ni les organismes de formation. Pour eux, l’association ne peut être juge, en participant à la définition de la politique de formation, et partie, en qualité de « cliente » des financeurs.

Autre ambiguïté : les relations avec Pôle emploi. Les organisations syndicales – soutenues par beaucoup de salariés, managers inclus – pensent qu’il devrait subsister une commande spécifique, venant de l’opérateur public, au titre du SPE. Or les règles européennes ne le permettent pas. Seule une piste visant à « faciliter et améliorer la présence de l’Afpa à Pôle emploi » a été évoquée au ministère du Travail. De fait, le retour à un subventionnement est toujours largement souhaité dans la maison. Jusqu’à son sommet ? La CFDT évoque en tout cas une demande de circulaire en ce sens faite par Yves Barou à sa tutelle fin 2014. Une formule que récuse le président de l’Afpa. Même si, avec les régions, notamment, il regrette la proportion d’environ 75 % laissée aux appels d’offres alors que d’autres modes de financement existent.

4 Des centres à rénover et à adapter

Les centres et les plateaux techniques, vieillissants, sont parfois en très mauvais état. Ils demeurent un point noir dans la stratégie de reconquête de l’Afpa. Un simple coup d’œil aux forums de discussion sur Internet suffit à convaincre de la vétusté de certains d’entre eux. Ainsi, ce stagiaire en plomberie affirme avoir dû, avec ses camarades, nettoyer l’ensemble du centre avant de commencer la session. Il dénonce également l’état calamiteux du matériel et le turnover des formateurs. Cet autre internaute déplore une documentation hors d’usage et non mise à jour… Enfin, cette ex-salariée évoque un gros contrat avec un assureur pour former des assistantes non renouvelé à la suite de plaintes des stagiaires concernant la saleté des toilettes. Christophe Donon reconnaît le problème : « L’environnement global des centres est médiocre, nous en convenons. » Pascale Gérard estime qu’il faut rapidement un soutien massif de l’État via le programme des investissements d’avenir.

Deux projets sont déjà financés par ce canal : un dispositif de formation sur le bâtiment économe en énergie à Stains (Seine-Saint-Denis) et une plate-forme mobile dédiée aux travaux publics. Plus globalement, l’Afpa a fait des efforts pour adapter ses formations aux besoins économiques des territoires dans certains secteurs. Mais cela suffira-t-il ? De sa capacité à investir rapidement dans la modernisation de ses centres dépendent ses possibilités de se développer. Ainsi, pour ce qui est des métiers liés au haut débit, les élus régionaux regrettent le retard pris par l’association, faute de plateaux techniques suffisamment équipés. Une faiblesse qui peut coûter cher à l’association.

CHIFFRES

600 à 800 postes supprimés dans la période 2013-2015, auxquels s’ajoutent 40 % des départs à la retraite non remplacés.

Sources : Afpa et CGT de l’Afpa.

Le serpent de mer de l’immobilier

À quelques exceptions près, l’Afpa n’est pas propriétaire de ses murs. « Depuis 2008, l’État n’entretient pas ce qui lui appartient, c’est-à-dire l’immobilier », accuse Christophe Donon, directeur de la stratégie. Une affirmation que nuance pourtant la Cour des comptes. Dans un rapport publié en décembre 2013, elle écrit que « l’État indique avoir versé près de 650 millions d’euros de subventions pour la rénovation des bâtiments entre 1999 et 2012 ». Décidée en 2008 dans le cadre de la loi sur la formation, la rétrocession du parc immobilier à l’Afpa, à titre gratuit, avait été censurée, en 2010, par le Conseil constitutionnel. À la suite d’une démarche de deux régions. Un plan B est à l’étude depuis 2012 : la signature de baux emphytéotiques administratifs qui donnerait à l’association un statut de quasi-propriétaire et lui permettrait de valoriser les murs, via une mise en gestion, par exemple pour l’hébergement. Or les discussions avec France Domaine n’avancent guère : seuls deux centres (Toulouse et Vénissieux) ont bénéficié de ce type d’accord, selon la direction de l’Afpa. Au total, le rapport de la Cour des comptes évalue à près de 1,2 milliard d’euros le coût de réhabilitation des 3 350 bâtiments occupés par l’association quand le plan de refondation retient le chiffre de 600 millions d’euros de travaux prioritaires. Au-delà du règlement du statut de ces murs, la question du budget à y allouer reste non résolue.

Auteur

  • Manuel Jardinaud