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Les mauvais comptes sociaux des chambres de commerce

Décodages | publié le : 07.03.2015 | Anne Fairise

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Les mauvais comptes sociaux des chambres de commerce

Crédit photo Anne Fairise

Soumises à des restrictions budgétaires, les chambres consulaires suppriment des postes par centaines. Dans la plus grande confusion, sans toujours tenir compte des accords nationaux.

Dans les chambres de commerce et d’industrie (CCI), le grand ménage a commencé. Logique, ces établissements publics aux finances restées étonnamment florissantes malgré la crise commencent à répercuter, par des suppressions de postes, la baisse sans précédent de ressources fiscales imposée par le gouvernement. Soit 37 % en moins d’ici à 2017 ! Parmi les 26 000 agents concernés, on aurait pu croire que les 5 000 Franciliens seraient les plus inquiets, vu leur nombre. Il n’en est pourtant rien. Car, à la CCI Paris Ile-de-France, l’accent est mis sur les départs volontaires. « Au risque d’une certaine désorganisation des services », concède Philippe Jacob, le directeur des ressources humaines. Mais la chambre régionale a déjà une visibilité sur ses besoins, pour avoir engagé depuis juillet un vaste « plan de transformation » afin de mieux adapter ses services aux entreprises. « Bercy impose la réduction drastique des emplois consulaires. Mais nous voulons transformer cette épreuve en dynamique positive. La mutation de la chambre ne se fera pas sans ses agents. Ceux qui restent seront activement accompagnés vers les métiers de demain », martèle Étienne Guyot, le directeur général.

Information des salariés dès la fin des négociations en novembre, tournée du DRH sur la quasi-totalité des sites, réunion des 350 managers pour passer les messages… La CCI Paris Ile-de-France n’a pas lésiné sur la com. « On ne manque pas d’informations, lâche un cadre au sortir d’une réunion organisée dans le grand amphi de l’école de commerce Novancia. La chambre nous fait comprendre qu’elle veut limiter les licenciements contraints. C’est open bar pour les départs volontaires ! » Mais la mayonnaise prend doucement. Mi-janvier, seuls 70 agents s’étaient laissé séduire et 140 réfléchissaient à un départ…

Une brèche dans le statut.

En Rhône-Alpes, en Lorraine ou dans la Nièvre, les agents n’ont pas bénéficié du même traitement. Les suppressions de postes ciblées, atteignant parfois jusqu’à 20 % des effectifs, y ont été annoncées dès novembre. Avant même que n’entre en application le « Plan emploi consulaire », négocié en commission paritaire nationale, pour adapter à la situation l’incontournable « Statut du personnel administratif des chambres ». Un pavé de 216 pages, qui dit le droit spécifique aux CCI, à mi-chemin entre le Code du travail et le droit public. Et assure à ses agents des conditions d’emploi ultraconfortables et une protection en béton armé. Toute suppression de poste doit s’accompagner, obligatoirement, d’un reclassement. Une sacrée épine lorsqu’il faut vite réorganiser. « Le statut n’est pas adapté à une situation de suppressions massives de postes », commente Philippe Jacob, le DRH de la CCI Paris Ile-de-France, également négociateur patronal, qui souligne « l’attitude très responsable des syndicats ». Il peut. En huit semaines de négociations marathons, à l’automne, la CFDT et l’Unsa ont accepté d’ouvrir une brèche… temporaire dans le statut.

Entre avril et septembre prochains, les CCI pourront recourir à une formule de licenciement simplifiée, et plus rapide. La procédure est passée de huit mois en moyenne (préavis inclus) à seulement… quatre. (Un séisme dans le monde feutré des chambres consulaires !) Vertement dénoncée par la CFE-CGC, qui déplore « un recul du droit des salariés ». Et par la CGT qui tempête contre le « détricotage du statut ». Car l’accord national a aussi introduit une nouvelle possibilité de licencier en cas de refus de mutation d’office. Reste qu’en contrepartie les syndicats signataires ont obtenu que les départs volontaires précèdent les licenciements.

Applicable sur tout le territoire à partir du 29 décembre, le plan vise à faciliter les préretraites et les ruptures conventionnelles. Dans un cadre commun. Sauf que les chambres n’ont pas toutes consacré de longues heures aux textes. Ni choisi de les respecter scrupuleusement. La précipitation de la CCI Rhône-Alpes à engager des licenciements avant d’avoir défini une stratégie régionale – un préalable pourtant indispensable aux réorganisations – a fait des émules. D’autres traînent les pieds pour informer sur les mesures de départs volontaires. Y compris quand il s’agit de proposer des préretraites aux agents à moins de trois ans de leur fin de carrière. « Certaines CCI les conditionnent à la mise en place d’un plan stratégique régional, alors qu’elles sont de droit », déplore Gilles Morisseau, de l’Unsa CCI.

Méthodes brutales.

Sans compter les chambres qui essaient d’y couper en faisant la chasse aux agents pouvant être mis à la retraite d’office. Avec, à la clé, des licenciements assortis d’une simple prime de fin de carrière… Dès janvier, les plus de 60 ans, à la CCI Paris Ile-de-France comme ailleurs, ont reçu un courrier exigeant un relevé de carrière. « Les retraites d’office ne sont possibles qu’à partir de 65 ans, d’après notre statut. On conseille à tous les seniors de rester sourds à ces pressions », tonne la CGT. Quant aux licenciements engagés, certains n’ont rien à envier aux méthodes parfois brutales du privé, selon Dominique Thévenin, délégué CFE-CGC en Rhône-Alpes. Dans le collimateur : les 37 suppressions de postes (5 % des effectifs) annoncées fin novembre à la CCI de Grenoble. « On a demandé à certains agents dans les écoles de candidater à leur propre poste, mais sous contrat de droit privé et non plus consulaire. Ils doivent choisir entre un maintien en place avec des conditions moins avantageuses ou le licenciement », tempête-t-il.

Des « dérives inquiétantes et inadmissibles » pour les syndicats signataires du Plan emploi consulaire ! Fin janvier, la CFDT et l’Unsa ont suspendu le second volet des négociations, ouvert cette fois pour accompagner les fins de carrière et l’évolution professionnelle des agents dont le poste est supprimé. Les syndicats n’ont accepté de revenir à la table qu’après avoir obtenu la garantie d’André Marcon, le président de CCI France, la structure faîtière du réseau, que les accords seraient respectés. Et qu’une « communication RH consulaire nationale » serait donnée aux chambres régionales, par l’envoi de fiches explicatives… Suffisant ? Rien n’est gagné, vu le peu d’influence de CCI France sur l’impétueux réseau des 145 chambres, aussi pléthorique qu’atomisé. L’harmonisation des pratiques RH est à l’image de la mutualisation, au niveau régional, des services administratifs. Promu par la réforme de 2010, le chantier s’ouvre… à peine ! Depuis deux ans, les agents des CCI locales et départementales sont gérés par les 27 CCI de région. Sur le papier, tout au moins, selon les sénateurs Claude Bérit-Débat (PS) et Jean-Claude Lenoir (UMP). Car, souvent, écrivent-ils dans un rapport rendu en juillet dernier, « la fonction RH de la CCI de région se borne à assurer la paie des salariés »…

Autant dire qu’il y a du pain sur la planche. Ce que ne conteste pas François Cravoisier, membre du comité directeur de CCI France, chargé de donner le cap RH. « Nous avons un travail de pédagogie à faire auprès des présidents de chambre, des directeurs généraux et des DRH pour développer une vision RH commune. On s’y emploie mais cela prend du temps. N’oublions pas d’où nous venons. Il y a deux ans à peine le réseau comptait plus de 150 employeurs directs. Depuis, nous avons déjà négocié une douzaine d’accords collectifs pour répondre aux besoins des agents », rappelle ce gérant d’un cabinet de management de transition. On revient de loin. « Il y a deux ans, la majorité des chambres était dans une gestion administrée, reposant sur le directeur général. Il n’y avait de DRH que dans les chambres des grandes villes », commente l’un d’entre eux.

Chose certaine, les CCI ayant commencé à licencier ou rechignant à favoriser les départs volontaires n’ont pas compris qu’elles passaient à côté de belles économies ! La nouvelle formule de licenciement « express », applicable à partir d’avril, sera un peu moins coûteuse que l’ancienne version. Logique, raccourcir de moitié la procédure, c’est payer moitié moins de salaires chargés. Une aubaine pour des chambres dont la masse salariale représente, en moyenne, 43 % de leur budget. Et parfois jusqu’à 70 % ! Mais, même reliftée, une suppression de poste pèse sur les comptes. « C’est dix-huit mois de salaire en moyenne », précise un DRH. Car les syndicats ont obtenu, en échange, un abondement de la prime de licenciement. Dans ce contexte, seuls les départs volontaires, ultrarapides à mettre en œuvre, constituent LA bouffée d’oxygène. Et ils permettent d’éviter l’obligation statutaire de reclassement en cas de suppression de poste, source potentielle de contentieux.

Peu de volontaires.

Encore faut-il trouver les candidats au départ parmi les agents, des cadres pour moitié, et des femmes pour les deux tiers, âgés de 46 ans en moyenne. Beaucoup ne sont pas prêts à abandonner des conditions d’emploi très confortables quand la crise fait des ravages dehors. Il suffit d’écouter les commentaires. « La rupture conventionnelle intéresse les agents avec peu d’ancienneté, ayant déjà travaillé ailleurs ou qui veulent changer de vie. Elles passent moins auprès de ceux qui ont fait carrière à la chambre », lâche un cadre. L’ancienneté moyenne importante n’aide pas. Et les bonnes conditions de départ n’y font rien. Indemnisée à hauteur d’un mois de salaire moyen par année (jusqu’à douze ans d’ancienneté), la rupture conventionnelle ferait pourtant bien des envieux dans le privé. Comme la préretraite maison, payée à hauteur de 80 % du net ! D’autant que le préavis n’est pas toujours fait. « Moi, je le passerai à la maison ! » s’enthousiasme un futur préretraité.

Dès janvier, le dispositif semblait avoir besoin d’être soutenu, à voir le coup de pouce consenti par la CCI Paris Ile-de-France. Celle-ci a décidé de ne pas exclure les partisans au départ des campagnes de primes (jusqu’à deux mois de salaire). Les négociateurs doivent se revoir, mi-mars, pour « décider d’une éventuelle prorogation du dispositif » après juin. Ils ont raison d’anticiper vu le fiasco : au 16 février, seuls 211 départs volontaires étaient actés. « Si le plan emploi consulaire ne fonctionne pas, il y aura beaucoup de dégâts financiers et humains », anticipe l’Unsa. Certes pas dans les proportions agitées l’an passé, quand le réseau menaçait de supprimer 7 000 des 26 000 emplois ! Si l’on extrait les emplois budgétés mais pas occupés, et les 3 000 départs à la retraite attendus d’ici à 2017, le nombre de licenciements annoncés s’est dégonflé de moitié… Décidément, les CCI ne savent pas compter.

REPÈRES

25 635 salariés.

83 % sont agents statutaires, parmi lesquels

48 % de cadres, 20 % de plus de 55 ans.

En moyenne, dans le budget des chambres, la masse salariale pèse

43 %

Source: CCI France, Bilan social 2013.

Trop de “trop-perçu”

1,45 milliard d’euros ! Voilà le montant du « trop-perçu » de taxes au réseau des chambres de commerce et d’industrie, entre 2002 et 2012, selon un prérapport de l’Igas et de l’IGF. Il a opportunément fuité dans la presse, au printemps, avant que le gouvernement ne décide de mettre à la diète le réseau consulaire. Au titre de la contribution des CCI à la réduction de 50 milliards d’euros des dépenses publiques, Bercy va prélever cette année 500 millions d’euros sur « ses réserves importantes », estimées à 1,25 milliard d’euros par les enquêteurs Igas-IGF. Une nouvelle ponction, puisqu’il a déjà pris 170 millions d’euros en 2014 sur ce fonds de roulement. Logiquement, le gouvernement a aussi décidé de baisser de 37 % d’ici à 2017 la taxe, prélevée sur les entreprises, qui finance ces établissements publics atypiques. Puisqu’ils s’expriment au nom de l’intérêt des entreprises, tout en relayant les politiques publiques (tel le Pacte de responsabilité) auprès d’elles. Ce régime minceur sans précédent, contesté par le réseau consulaire qui ne décolère pas face au « hold-up » sur l’argent des entreprises, lui impose de conduire enfin sa restructuration, par la régionalisation. Il y est incité depuis 2010 pour faire des économies de gestion et mieux articuler son action avec les politiques publiques. Mais cette réforme (qui peut aller jusqu’à la fusion des CCI locales au sein de la chambre de région, comme dans le Nord-Pas-de-Calais) est largement inaboutie. Il suffit de compter le nombre de chambres : 145.

Auteur

  • Anne Fairise