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Décodages

François Content VRP de l’alternance à Apprentis d’Auteuil

Décodages | publié le : 07.03.2015 | Rozenn Le Saint

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François Content VRP de l’alternance à Apprentis d’Auteuil

Crédit photo Rozenn Le Saint

Lever des fonds, vendre des contrats d’alternance, mais aussi soutenir socialement les apprentis… Pour réussir la mission de la fondation plus que centenaire, son directeur général allie démarche entrepreneuriale et vision globale de l’insertion.

Derrière une rangée de maisons de briques rouges, au pied d’un terril, le centre de formation professionnelle Sainte-Barbe de Loos-en-Gohelle, tout en bois avec un toit végétal, a des allures d’Ovni. Il forme 200 jeunes de 15 à 25 ans aux métiers de l’écoconstruction, dans un bassin d’emploi sinistré du Pas-de-Calais où le taux de chômage des jeunes atteint 30 %. Six points de plus que la moyenne nationale. Ouvert en décembre 2013, le lieu fait la fierté d’Apprentis d’Auteuil. Une fondation qui, comme son nom l’indique, promeut l’apprentissage. Et ce depuis 1866, ce qui en fait un expert historique de la préparation des jeunes à l’emploi, qu’il s’agisse de formation continue ou d’alternance. Jusqu’en 2002, elle s’appelait Orphelins Apprentis d’Auteuil. Elle a préféré changer de nom après deux affaires judiciaires sordides. La fondation n’a pas changé d’objet pour autant. Elle a accompagné 23 000 jeunes en 2014. Trois fois plus qu’il y a dix ans. Un bond qui s’explique notamment par l’ouverture de formations plus courtes pour des besoins ponctuels. La structure, qui emploie 5 000 salariés, poursuit quatre missions : la protection de l’enfance, la lutte contre l’échec scolaire, l’accompagnement à la parentalité et l’insertion professionnelle. Elle est d’obédience catholique, mais les « animations pastorales » restent optionnelles.

Malgré l’histoire chaotique des jeunes qu’elle suit, au profil de « décrocheurs », l’organisme jouit d’un taux de réussite aux examens de 81,5 %. Soit sensiblement le même que celui de l’Édu cation nationale. Un pourcentage flatteur, dont se félicite François Content. Depuis 1997, le directeur général d’Apprentis d’Auteuil s’attelle à développer une alternative au « mammouth » pour les adolescents en difficulté. Ce diplômé de HEC juge le système éducatif français « élitiste et rigide ». Lui s’évertue à revaloriser les métiers de l’artisanat et à apporter un soutien social à ses protégés pour assurer leur réussite sur le marché du travail. Une formule qui séduit les entreprises, prêtes à investir dans ses formations.

1 Simplifier la tâche des employeurs

Comme François Content, qui s’est frotté au monde de la banque avant d’intégrer la fondation, les formateurs et directeurs d’établissement annoncent fièrement « venir de l’entreprise ». « Le militantisme se doit d’être professionnel », se plaît à dire le DG. « Ils sont conscients des contraintes des patrons, c’est important », abonde Jean-Bernard Prim, le DRH. À commencer par le manque de temps et le tas de paperasse qui pèsent sur les TPE. Celles-là même qui pourraient accueillir les apprentis d’Auteuil en alternance, mais qui ne disposent pas de service RH pour s’occuper de la partie administrative. Dans chaque établissement, un chargé de relations avec les entreprises gère donc ces tracas et part à la rencontre des artisans de la région pour leur vendre des contrats d’alternance. Chaque semaine, l’Unité de formation par apprentissage (UFA) de Loos-en-Gohelle ouvre ainsi ses portes à l’occasion des « mercredis de l’apprentissage ». Ce qui peut faire la différence.

Kevin Pottier, 18 ans, en deuxième année de CAP plaquiste, a invité son futur patron, à la tête d’une PME de rénovation de bâtiments historiques, dans les locaux. « Il ne connaissait rien à l’appren tissage. Je l’ai amené à l’UFA, qui a réalisé l’ensemble du dossier pour qu’il n’ait pas à s’occuper des papiers », témoigne l’artisan en herbe, en attendant que son mur sèche, dans l’immense atelier où tous les corps de métier se croisent. Avec l’ouverture récente du CAP constructeur en béton armé, Souhila Abdeddaïm, la chargée de relations avec les entreprises, prospecte auprès des mastodontes du secteur, seuls demandeurs de cette qualification. « Cela fait un peu plus d’un an que nous sommes implantés dans le bassin minier, ils ne nous connaissent pas », indique-t-elle. Un mal pour un bien, selon Timothée Maurice, direc teur du foyer de jeunes travailleurs situé à deux pâtés de maisons du centre de formation : « Les entreprises proches des centres d’accueil de la fondation ont souvent une mauvaise image, infondée, de nos jeunes. »

La fondation permet aussi à des entreprises motrices de s’unir localement pour créer des dispositifs d’aide à l’insertion de jeunes décrocheurs de 16 à 25 ans. Cinq entreprises vendéennes, Sodebo, Brio’gel, Padiou, l’Immobilière sociale de Montaigu et Ernest Soulard, ont ainsi lancé, en 2012, le programme Réussir Vendée. Objectif : faire découvrir aux jeunes le monde de l’entreprise par le biais de stages et de préparations aux entretiens de recrutement. La fondation leur a offert une structure pour amener dans leur sillon une trentaine d’entreprises volontaires : en tout, 60 jeunes ont bénéficié d’un accompagnement personnalisé et 70 % d’entre eux sont aujourd’hui en formation ou en emploi. Grâce à la dimension nationale d’Apprentis d’Auteuil, le dispositif a ensuite été décliné à Angers (Maine-et-Loire) à la fin de l’année 2014.

2 Inciter les entreprises À financer la formation

Après avoir passé douze ans au Crédit commercial de France, François Content sait où aller chercher des financements. Les ressources de la fondation proviennent à 40 % des donations, des legs, du mécénat et de la taxe d’apprentissage. En 2013, une campagne de publicité a été lancée pour promouvoir les legs, qui ont progressé de 7 % en un an, passant de 77 à 82,5 millions d’euros. Et même en ces temps de conjoncture morose, les dons ont augmenté, passant de 29 à 34,4 millions d’euros, près de 20 %, entre 2012 et 2013. « Notre réputation nous permet d’être en contact avec les multinationales soucieuses de leur responsabilité sociale et sociétale », assure André Altmeyer, directeur général adjoint.

Au sein de son siège social, implanté dans le très chic XVIe arrondissement, une vingtaine de salariés ont été formés à réaliser des études de marché, de la prospective, du marketing. Mais aussi à répondre aux appels à projets pour se positionner sur les métiers d’avenir. Soixante entreprises soutiennent l’action d’Apprentis d’Auteuil. À l’image de L’Oréal qui, via sa fondation, a financé le lancement d’un CAP coiffure à Thiais (Val-de-Marne), en 2013, puis à Blanquefort (Gironde), en 2014. « Apprentis d’Auteuil est spécialisé dans l’éducatif depuis près de cent cinquante ans. Il a su nous indiquer exactement lequel des problèmes rencontrés par leurs jeunes collerait avec notre image, nos missions et comment nous pourrions y remédier », souligne Sara Ravella, directrice générale de la Fondation L’Oréal.

En l’occurrence, Apprentis d’Auteuil formait essentiellement aux métiers traditionnellement dits masculins, notamment dans le bâtiment. Résultat, à peine un tiers de ses troupes est cons titué de filles. L’idée était donc de proposer un CAP qui, a priori, intéresserait davantage la gent féminine. « La fondation savait ces jeunes filles trop fragiles pour suivre une formation en alternance dans un véritable salon de coiffure. Alors nous avons aménagé un lieu parfaitement équipé directement dans le centre de formation continue », illustre Sara Ravella. L’Oréal apporte 140 000 euros de fonds chaque année pour ce programme. Apprentis d’Auteuil lui a également ouvert les yeux sur les besoins des mères célibataires et des jeunes chômeuses de longue durée, que la Fondation L’Oréal envisage d’accompagner via des cours du soir en CAP coiffure.

Avec un ancien banquier à sa tête, la fondation cherche à rentabiliser davantage chacun de ses investissements. Mais aussi à coller aux besoins du marché. Elle réfléchit à exploiter le salon pour des formations de plus courte durée, liées à l’onglerie, notamment. « La première année, nous avons financé le salon et les cours. Apprentis d’Auteuil s’assure de la pérennité du projet. Nous avons donné le gros coup de pouce de départ puis l’Éducation nationale a intégré le cursus et pris en charge le salaire des professeurs », précise Sara Ravella.

3 Accompagner socialement les jeunes

Chez Apprentis d’Auteuil, on ne découvre pas que les difficultés annexes au manque de qualification peuvent obstruer la route vers le monde du travail. En presque cent cinquante ans d’existence, la structure a connu son lot de jeunes aux parcours accidentés ! En alternance, le problème est encore plus aigu : avec ce rythme soutenu, la moindre tuile devient rapidement celle de trop. Il y a trois ans, la fondation a créé des pos tes d’éducateurs entièrement dévolus à lever les freins sociaux liés aux problèmes de logement, de transport ou d’addiction. Un trait d’union entre l’entreprise d’accueil, l’apprenti et, éventuellement, sa famille. « Pour que le patron sache que son unique mission consiste à former le jeune car, derrière, nous nous occupons du reste », indique Laurent Delange, directeur de l’UFA de Loos-en-Gohelle. « Auparavant, il n’y avait pas de poste attitré pour cette tâche. Les jeunes se tournaient vers les formateurs ou l’assistante sociale, mais ceux-ci n’avaient pas forcément tous les éléments en tête pour offrir une réponse adap tée », explique Yves Cattez, qui se charge de cet accompagnement au sein de l’établissement pas-de-calaisien. Il reçoit les 130 jeunes au moins une fois par trimestre, en toute confidentialité. Et incite également les employeurs à l’appeler à la rescousse s’ils constatent une baisse de moral, des retards ou des absences à répétition, des violences ou des tensions. Histoire de « creuser » ensuite avec le jeune pour comprendre la cause de ses difficultés et trouver des solutions. Qu’il s’agisse de financer un brevet de sécurité routière ou un permis de conduire, d’octroyer une aide pour acheter un scooter ou une carte de transport, de dégoter une place au foyer de jeunes travailleurs adjacent, d’échanger avec la famille quand le salaire de l’apprenti devient la première source de revenu du ménage…

Ce rôle de médiation joue dans les deux sens. « Si l’employeur ne respecte pas les horaires des jeunes ou les deux jours de congé d’affilée, ce qui n’est pas évident dans la restauration, cela passe mieux quand le chargé d’accompa gnement, dans une posture neutre, le lui fait remarquer plutôt que l’inspecteur du travail », assure Michaël Nachon, responsable de déve loppement pour la région Alsace. Et ça marche. Le taux de rupture de contrats d’apprentissage en CAP est seulement de 15 % au sein de l’UFA de Schiltigheim (Bas-Rhin) en hôtellerie-restauration contre 40 % au niveau national.

4 Concilier savoir-faire et savoir-être

Après dix-sept ans de métier, Caroline Frère est encore étonnée par l’attitude de certains jeunes du foyer de jeunes travailleurs Jean-Paul-II de Liévin. « Il y a peu, un apprenti est rentré énervé au possible parce que son patron ne lui avait pas payé toutes ses heures. En fait, il s’était absenté pour aller à la banque pendant sa journée de travail sans le prévenir ! » relate l’éducatrice. Sa fonction ? Les accompagner dans leurs démarches administratives, leur apprendre à lire une fiche de paie et à gérer un budget quand ils rentrent de leur journée de travail ou de formation. « Les règles tacites du savoir-être échappent à la plupart des apprentis d’Auteuil. Notre rôle est de les leur inculquer pour lever les freins à leur intégration dans l’entreprise. Ce n’est pas parce qu’on a un CAP que l’on sait travailler », estime Laurent Delange, directeur de l’UFA voisin et ancien menuisier.

Pour ceux qui ont tendance à nager à contre-courant des règles sociales du monde du travail, la fondation a créé sept entreprises d’insertion pour une période de transition de vingt-quatre mois maximum. Histoire de ne pas les lâcher trop tôt dans le grand bain une fois le diplôme en poche. « Apprentis d’Auteuil aide les jeunes à se construire, à avoir le sentiment, pour une fois, de ne pas être les derniers. Il les fait grandir en les écoutant », assure Xavier Grenet, ancien DRH de Saint-Gobain, aujourd’hui consultant et membre du comité RH de la fondation. Ce sas leur permet de consolider leur apprentissage du métier et les codes sociaux. « Dans un esprit de bienveillance et de patience. Mais cet accompagnement personnalisé n’est pas dépourvu d’exigences. Nous n’excusons pas le jeune mais nous comprenons ses difficultés et nous apportons le complément », précise André Altmeyer, le directeur général adjoint. C’est là-dessus, aussi, que repose la réputation de la structure. À savoir apporter un savoir-faire éducatif en plus de la formation technique. De quoi rassurer les patrons qui accueillent les jeunes en stage ou en alternance.

EN CHIFFRES

La fondation accompagne de plus en plus de jeunes

REPÈRES

1866

L’abbé Roussel crée l’œuvre de la première communion à Auteuil.

1871

Ouverture d’ateliers pour former les orphelins apprentis d’Auteuil.

1954

Ouverture d’une dizaine d’écoles techniques ; la fondation est reconnue par l’Éducation nationale.

2000

Accueil des mineurs isolés étrangers.

2012

Rencontres pour la jeunesse en difficulté et création de l’Observatoire des jeunes et des familles.

EN CHIFFRES

Des ressources en croissance continue (legs, subventions, dons… inclus, en millions d’euros)

Auteur

  • Rozenn Le Saint