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Vie des entreprises

L'insuffisance professionnelle

Vie des entreprises | ACTUALITÉ JURISPRUDENTIELLE | publié le : 01.11.2000 | Jean-Emmanuel Ray

La Cour de cassation avait déjà jugé que l'insuffisance professionnelle ne constituait pas une faute grave permettant de rompre un CDD avant terme. Dans plusieurs arrêts récents, elle va plus loin et pose des limites très strictes à l'invocation d'un tel motif de rupture.

Le passage aux 35 heures à charge de travail constante et la fracture numérique nous montrent de plus en plus de salariés pleins de bonne volonté mais n'arrivant plus à faire face. Si leur rémunération peut s'en trouver affectée, il n'est pas rare que des entreprises y voient également un motif de licenciement : la très panoramique « insuffisance professionnelle », dont la Cour de cassation a récemment fixé les étroites limites.

1. L'insuffisance professionnelle n'est pas fautive

« L'insuffisance professionnelle ne présente pas un caractère fautif » (ni faute grave ni cause réelle et sérieuse) : l'arrêt du 9 mai 2000 se refuse à distinguer l'insuffisance professionnelle du salarié turbo ayant décidé d'en faire le minimum de celle du salarié diesel n'en pouvant mais. Or chacun sait que le premier est dans une situation d'insubordination aussi passive que fautive, alors que le second n'arrive pas à faire face, malgré sa bonne volonté et parfois des week-ends entiers de labeur à domicile. « La seule insuffisance de résultat ne peut, en soi, constituer un motif de licenciement » : rien de très nouveau dans l'arrêt du 19 avril 2000, car depuis toujours la chambre sociale refuse que l'employeur puisse préconstituer un motif de licenciement.

Mais, après celui du 1er mars 2000 (« Le motif énoncé – inadaptation au poste de travail – ne répond pas aux exigences de la loi »), deux arrêts du 23 mai 2000 rendent un son nouveau. Premier arrêt, bien classique après la disparition de la « perte de confiance » (en dernier lieu, Cass. soc., 3 octobre 2000) : « Le grief énoncé dans la lettre (« manque de motivation ») n'était pas matériellement vérifiable et présentait un caractère subjectif ; cette imprécision équivalait à une absence de motifs. »

« Insuffisance professionnelle préjudiciable aux intérêts de l'entreprise », indiquait cette fois la lettre de notification (second arrêt). Croyant bien faire, la cour d'appel de Paris avait sanctionné cette excessive généralité : il s'agissait pour elle d'une « notion pas suffisamment définie, l'absence de faits objectifs matériellement vérifiables » rendant le licenciement non fondé. Cassation : « La mention de l'insuffisance professionnelle constitue un motif de licenciement matériellement vérifiable, qui peut être précisé et justifié devant le juge du fond. »

Synthèse : 1. Ne pas se tromper de terrain : les fautes disciplinaires doivent faire l'objet d'une sanction de même nature, dans le respect des délais légaux strictement appliqués par la chambre sociale. L'invocation d'une seule « insuffisance professionnelle » – parfois à la demande du salarié préférant ne pas voir ses fautes figurer dans la lettre – conduira ici à une contradiction de motifs : défaut de cause réelle et sérieuse. 2. Le seul motif « insuffisance professionnelle » peut le cas échéant suffire pour motiver la lettre de licenciement. Mais l'entreprise doit pouvoir faire la preuve de faits objectifs permettant d'asseoir cette très générale affirmation. Et pas seulement « les résultats d'un test de connaissances techniques pratiqué par l'employeur, s'agissant d'un salarié qui avait exercé son activité de façon satisfaisante depuis cinq ans » (Cass. soc., 18 juillet 2000).

2. Insuffisant : à qui la faute ? L'arroseur arrosé

Être insuffisant, certes : mais par rapport à qui ? Par rapport à quoi ? « Il n'était pas établi que la baisse du chiffre d'affaires était imputable au salarié » (Cass. soc., 24 juin 1998). Depuis longtemps, la Cour rend à César ce qui appartient à César, bref renvoie l'entreprise à ses obligations : « L'employeur, qui faisait effectuer à la salariée des tâches ne relevant pas de sa qualification et étrangères à l'activité pour laquelle elle avait été embauchée, ne pouvait lui reprocher des erreurs commises dans son travail » (Cass. soc., 2 février 1999). « L'insuffisance de résultats était justifiée par l'absence d'un autre négociateur et par les charges supplémentaires qui avaient été attribuées à la salariée » (Cass. soc., 21 avril 2000).

De l'insuffisance non imputable au salarié, elle est récemment passée à la responsabilité de l'entreprise : « L'employeur était responsable (de l'insuffisance professionnelle), faute pour lui d'avoir assuré à ce salarié ayant une ancienneté de vingt-deux ans une formation permettant de l'adapter à l'évolution de son emploi » (Cass. soc., 9 mai 2000).

Mais à l'impossible nul n'est tenu. Le chef du service informatique qui refuse de suivre une formation pour s'adapter à un matériel radicalement nouveau pourra être – (malheureuse) expérience faite – licencié pour motif personnel (insuffisance professionnelle). Il pourra l'être également, mais en amont, pour motif économique, en raison des mutations technologiques qui ont affecté son poste (Cass. soc., 18 avril 2000).

Flash

• Lui, c'est lui…

« Le licenciement disciplinaire doit être fondé sur des éléments constituant un manquement aux obligations qui résultent du contrat de travail » (Cass. soc., 28 juin 2000). Si cette rituelle affirmation jurisprudentielle vise généralement la séparation entre vie personnelle et vie professionnelle, elle s'applique également à un salarié devenu mandataire social : les fautes éventuelles commises à ce titre justifient sans doute la révocation du mandat, mais pas le licenciement du salarié, puisqu'elles ont été commises au cours de la suspension de son contrat de travail.

Raisonnement de même nature s'agissant d'un cadre embauché par une société mère, puis mis à disposition d'une filiale : les réelles difficultés économiques de cette dernière justifient son licenciement… « mais il retrouve alors son emploi chez son employeur initial, ce dernier ne pouvant prononcer un licenciement que pour un motif nécessairement distinct de celui ayant provoqué le premier » (Cass. soc., 20 juin 2000).

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray