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Vie des entreprises

Les salariés regagnent les bancs des universités d'entreprise

Vie des entreprises | ZOOM | publié le : 01.11.2000 | Emmanuelle Pirat

Fidéliser ses salariés, recréer une identité de groupe après une fusion, souder des équipes disséminées dans le monde, autant de bonnes raisons qui expliquent le regain des universités d'entreprise. Mais la nouvelle génération de ces écoles internes privilégie désormais l'on line aux séminaires en château.

Êtes-vous plutôt du genre accro à l'e-learning, inconditionnel du campus ou adepte du séminaire dans un château-niché-dans-la-verdure ? Virtuelles ou en dur, campagnardes ou citadines, les universités d'entreprise ont de nouveau la cote. Le groupe Suez-Lyonnaise des eaux et la Cegos ont ouvert la leur au premier semestre, quelques semaines après le lancement de Vivendi Management. Prochaine inauguration en date, celle de l'université de Kalisto, PME bordelaise spécialisée dans la création de jeux vidéo.

Créer un « melting-pot interne »

« Le mouvement de création des universités d'entreprise, né en France au début des années 80, s'est essoufflé avec la crise. Les entreprises ont alors dû serrer les boulons et réduire leurs budgets formation, observe le consultant Hubert Landier, auteur d'un ouvrage ad hoc (les Universités d'entreprise, éditions Liaisons sociales). Aujourd'hui, nous assistons à l'émergence d'une deuxième génération. » Le regain d'intérêt pour la formation n'est pas seulement une affaire de gros sous. « Les compétences humaines deviennent une ressource stratégique pour les entreprises », souligne Jacques Coquerel, président du directoire de la Cegos. « Elles prennent conscience de la valeur de cette ressource, d'autant plus qu'elle devient rare. Du coup, elles cherchent à fidéliser leurs salariés, à leur trouver des incitatifs pour qu'ils restent. L'investissement en formation en fait partie. C'est une logique de donnant-donnant intéressante. »

Et plutôt que d'envoyer leurs salariés à l'extérieur, les entreprises préfèrent favoriser au maximum les rencontres et les échanges en interne. « Mieux vaut que les salariés se constituent un réseau au sein de l'entreprise. C'est moins risqué que de leur proposer des formations à l'extérieur », reconnaît le directeur d'une université d'entreprise. Surtout en période de tension sur le marché du travail…

Leader des organismes privés de formation, la Cegos s'est elle-même dotée de sa propre structure. « Nous avons conçu notre dispositif comme un lieu de clarification et d'identification des étapes de progression dans l'entreprise », explique Sandra Bellier, directrice du département recherche et développement. « Plutôt que des modules épars, nous avons formalisé les formations en fonction de parcours, avec des modules d'intégration, des ateliers de méthodologie et des modules d'expertise. »

Ce besoin de fidélisation n'explique pas à lui seul le boom des universités d'entreprise. « La formation traditionnelle était au service de l'individu, de sa professionnalisation. Avec l'université, on cherche à faire de la formation au service d'un projet plus vaste, du développement stratégique de l'organisation », explique Hubert Guillon, consultant au CRC (groupe HEC). La décision de bâtir une université d'entreprise est ainsi souvent prise dans la foulée d'une fusion-acquisition. BNP-Paribas réfléchit actuellement à la mise en place d'une structure de formation commune. Chez Suez-Lyonnaise des eaux, la décision d'ouvrir une université a été prise dès la constitution du groupe, en 1997.

Même dessein de créer une culture de groupe pour Vivendi Management, qui utilise une gamme d'outils allant de l'e-learning aux programmes de plusieurs semaines et sur trois continents pour les « top dirigeants » : « Vivendi Management vise à donner une cohérence dans un groupe où, à part le P-DG et l'épargne d'entreprise, les éléments fédérateurs sont peu nombreux », résume Hervé Borensztejn, son directeur. Son rôle est donc très différent des autres structures de formation interne qui existent dans les filiales. Créer un sentiment d'appartenance, « un melting-pot interne », selon les termes de Thierry Funck-Brentano, directeur des relations humaines et de l'école de management du groupe Lagardère, est devenu l'objectif principal d'une université d'entreprise.

Pas de formations sur catalogue

« La fondation de l'université Thomson, en 1987, répondait au besoin de recréer une culture et une identité partagées », renchérit Jean-Louis Egli, directeur de la formation du groupe et directeur général de cette université. « Nous venions de vivre une période d'intense réorganisation et, en moins de dix ans, nous avions connu des mouvements de personnes d'une ampleur considérable : 100 000 au total, soit 50 000 départs et 50 000 arrivées. C'était un nouveau groupe ! En outre, nous passions d'une entreprise de dimension hexagonale à un groupe de dimension internationale. Il nous fallait absolument renforcer la capacité des gens à travailler ensemble. » Aujourd'hui, recentrée sur la professionnalisation, l'accompagnement et la gestion des carrières, l'université Thomson accueille chaque année quelque 6 000 personnes, tous niveaux hiérarchiques confondus, et représente 35 % de l'effort de formation total du groupe.

L'internationalisation des entreprises et l'éclatement géographique des équipes a également accru le besoin de rassembler les troupes. « Il est important de créer les conditions pour que nos consultants se rencontrent et se connaissent. Et développent le sentiment d'appartenance à un groupe international », indique Jacques Collin, président de l'université Cap Gemini. Cinq mille consultants et managers du groupe passent ainsi chaque année au château de Béhoust, dans les Yvelines, où sont dispensées des formations dites d'intégration culturelle (newcomers, ou discovery), avec des enseignements plus pointus sur le knowledge management ou les nouvelles offres de services du groupe.

Mais si beaucoup d'entreprises souhaitent former leurs salariés en interne, c'est aussi parce que les formations sur catalogue ne leur conviennent plus. Elles préfèrent construire des cursus sur mesure, en allant chercher à l'extérieur les meilleurs experts, universitaires, enseignants de grandes écoles ou consultants. L'école du management Lagardère s'est associée à l'Insead, au CPA de HEC et au collège de Polytechnique pour construire ses trois grands programmes destinés aux managers et dirigeants. Vivendi Management s'est constitué un réseau de profs et de consultants « capables de délivrer le meilleur contenu ». « Nous voulions éviter les formations académiques et rester sans cesse en adéquation avec nos besoins », précise Hervé Borensztejn. L'élaboration des axes de formation se fait d'ailleurs au sein d'un comité de programmes, constitué de représentants des DRH et des opérationnels (par métiers et par zones géographiques).

De plus en plus de sur-mesure

Même rejet du prêt-à-porter chez Bob Aubrey, le DRH de Kalisto : « Les formations préprogrammées ne nous convenaient pas. Pour nos métiers très spécifiques, où se mêlent informatique et arts graphiques, et dont les compétences se renouvellent extrêmement vite, seule une formation sur mesure est adéquate. » L'université Kalisto va donc construire ses propres modules techniques en partenariat avec des écoles d'ingénieurs et des centres de recherche. Et elle envisage d'ouvrir ensuite ces formations à ses partenaires et de les vendre, devenant un centre de profits, à l'instar des universités d'entreprise américaines. Faute de formation vraiment adaptée sur le marché, STU, l'université de STMicroelectronics (dont le budget représente 20 % du budget global de formation de l'entreprise), a créé son propre mastère en microélectronique. Ce cursus d'un an, ouvert à des étudiants extérieurs, répond également aux difficultés de l'entreprise de recruter dans ce domaine. Mais STU dispense aussi des formations plus classiques, au management, aux outils et aux méthodes, ou de développement personnel.

De plus en plus les universités d'entreprise apparaissent comme des centres de ressources internes, où s'élaborent et se capitalisent les expériences. Un peu à la manière de l'Institut du management de Schneider (ISM) : « Mon projet est d'en faire une plate-forme générale, un centre de ressources où l'ensemble des expertises du groupe soit à la disposition des salariés, transmis directement ou grâce à des outils d'enseignement à distance sur lesquels nous sommes en train de réfléchir », indique Günter Hoffelner, son nouveau directeur. Au programme, cinq types de formations, destinées aux cadres dirigeants, aux managers confirmés, aux jeunes « top potentiels » ou plus largement à l'ensemble des collaborateurs avec le passeport Schneider, conçu pour donner une vision globale du groupe.

L'avenir est à l'e-learning

Le distant learning est au cœur de la réflexion de toutes les universités. Privilégiant les structures souples et le sur-mesure, ces universités de la deuxième génération utilisent largement les possibilités offertes par les nouvelles technologies. Selon une étude de la Cegos, la part de l'e-learning dans le budget formation des entreprises devrait atteindre 15 % en 2002. Si la plupart des entreprises françaises en sont encore au stade de l'étude ou de l'expérimentation, quelques-unes, dont Vivendi ou STMicroelectronics, proposent d'ores et déjà quelques formations en ligne ou via leur intranet. Vivendi Management offre ainsi des cours de langues en ligne ou des cours généraux, sur l'e-commerce par exemple. Pas de formation technique pour l'instant. L'on line sert d'appui pour la diffusion de connaissances et d'informations : comptes rendus de conférences ou de séminaires, fiches de lecture en ligne avec un lien permettant de commander directement les ouvrages ou encore une rubrique d'actualité du management, renvoyant à des sites spécialisés.

Internet ne condamne pas pour autant les universités « en dur ». Mais la tendance actuelle serait plutôt à combiner la formation dite « présentielle » avec l'enseignement à distance. « Un cadre ne peut pas totalement se former seul, à distance. Il faut nécessairement un coaching », estime Jacques Coquerel, de la Cegos, qui teste actuellement au sein de son université les logiciels de simulation Masa, permettant d'étudier les impacts de décisions managériales sur l'environnement.

À l'université de STMicroelectronics, où l'on tient à « garder un contact avec les stagiaires, même dans le cadre de formations à 100 % distant learning », chaque cours en ligne est accompagné d'un forum consacré aux échanges et aux témoignages. « Nous avons aussi aménagé des plages horaires dédiées aux questions-réponses, animées par des formateurs », explique Véronique Barlatier, responsable de la promotion et des cours de finances à STU. Si le tout-virtuel n'apparaît pas comme la panacée aux responsables des universités, le semi-virtuel pose d'autres problèmes. « Cela suppose de repenser la totalité des contenus », souligne Jacques Coquerel. La troisième génération d'universités d'entreprise est déjà en route.

L'Amérique montre la voie

« D'ici à vingt-cinq ans, on comptera davantage d'universités d'entreprise que d'universités classiques en Amérique du Nord. » Ce pronostic de Jeanne Meister, présidente de la Corporate University Xchange, résume parfaitement l'ampleur du phénomène outre-Atlantique. On compte 1 600 universités d'entreprise américaines, contre 400 au début des années 90. Des grands noms du high-tech comme Oracle ou PeopleSoft aux majors de la vieille économie, à l'instar de General Motors, qui a créé la première université en 1920, beaucoup possèdent leur propre structure de formation. Avec la particularité d'« accueillir toute la chaîne de la valeur », souligne Hubert Guillon, consultant au CRC (groupe HEC), c'est-à-dire, outre leurs salariés, les clients et les fournisseurs.

« Autre spécificité : elles tendent à devenir des centres de profits. Ce qui constitue un levier puissant pour la valorisation de leurs marques. » L'université d'ABB, créée en 1998, génère déjà 10 % du résultat net de l'entreprise.

À la différence des universités d'entreprise françaises, les américaines font une utilisation intensive des nouvelles technologies.

L'université Ford dispense ainsi ses enseignements par satellite, afin de toucher simultanément quelque 1 000 sites où jusqu'à 60 personnes peuvent assister aux formations. Chez IBM, les 106 000 bénéficiaires enregistrés peuvent suivre par intranet 19 000 cours en ligne.

Le responsable, Steven Rae, vice-président d'IBM Global Services, estime que l'apprentissage par le biais des nouvelles technologies se développe au rythme de 65 % par an aux États-Unis. Au cours des deux dernières années, 500 universités virtuelles ont été créées.

Il faut reconnaître que les sociétés américaines ne font pas dans la demi-mesure : le budget moyen type d'une université d'entreprise s'élève à 10 millions de dollars. Soit, en moyenne, 2 % de leur masse salariale.

Auteur

  • Emmanuelle Pirat