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Vie des entreprises

Les clauses du contrat sous haute surveillance judiciaire

Vie des entreprises | CHRONIQUE JURIDIQUE | publié le : 01.11.2000 | Paul-Henri Antonmattei

La contractualisation de la relation de travail devient un art délicat. La Cour de cassation l'enserre en effet dans des limites tenant à la fois aux règles sur la modification du contrat de travail et à l'article L. 120-2 du Code du travail.

En droit du travail, la « technique contractuelle » est de retour. Enfin ! Le « renouveau du contrat de travail » (selon l'expression du conseiller-doyen Philippe Waquet) conduit désormais chacun des contractants à réfléchir à une stratégie de contractualisation. Fini, le temps de la simple lettre d'engagement ! Cette recherche commune de la contractualisation des éléments de la relation de travail a des motivations diverses. Le salarié va essayer de consolider sa « forteresse contractuelle », singulièrement en matière de rémunération, la Cour de cassation ayant fort justement rappelé que, lorsque des éléments de la rémunération proviennent du statut collectif, le changement de ces derniers s'impose aux salariés sans que ceux-ci puissent se prévaloir d'une modification de leur contrat de travail (Cass. soc., 27 juin 2000, Juris. Actua. n° 683 du 20 juillet 2000). L'employeur va, à l'inverse, éviter une contractualisation des avantages nés du statut collectif tout en gérant par le contrat la distinction jurisprudentielle entre modification du contrat et changement des conditions de travail. Ce regain de contractualisation impose une certaine vigilance, car dans un domaine où la liberté contractuelle est depuis longtemps bridée, la chambre sociale de la Cour de cassation vient de rappeler certaines limites.

1° L'influence des règles relatives à la modification du contrat de travail

C'est à propos des clauses du contrat mettant en place une rémunération variable que se sont récemment exprimées les réserves jurisprudentielles. « Le droit à une rémunération variable résultait du contrat de travail ; à défaut d'un accord entre l'employeur et le salarié sur le montant de cette rémunération, il incombait au juge de la déterminer en fonction des critères visés au contrat et des accords conclus les années précédentes » (Cass. soc., 26 octobre 1999, Droit social 2000, p. 214).

Également : « Le mode de rémunération contractuel d'un salarié constitue un élément du contrat de travail qui ne peut être modifié sans son accord, peu important que l'employeur prétende que le nouveau mode serait plus avantageux ; une clause ne peut valablement permettre à l'employeur de modifier unilatéralement la rémunération contractuelle du salarié » (Cass. soc., 30 mai 2000, Juris. Actua. n° 683 du 20 juillet 2000).

Tentons une explication. La Cour de cassation applique sa jurisprudence sur la modification de la rémunération aux clauses du contrat portant sur cet élément. On sait que la rémunération contractuelle ainsi que le mode de rémunération contractuel ne peuvent être modifiés sans l'accord du salarié. Cette règle contamine désormais la clause de rémunération variable. Une telle solution a de quoi effrayer les entreprises qui pratiquent ces clauses singulièrement pour leurs forces de vente. Est-ce la mort de ce type de clauses ? Le doute est permis. La Cour de cassation paralyse sans conteste la clause qui autorise l'employeur à modifier de façon discrétionnaire les bases de la rémunération. On peut toutefois penser que le jeu de l'article 1174 du Code civil qui prohibe la condition potestative était suffisant. En revanche, mérite d'être discutée l'efficacité des clauses qui fondent la détermination de la partie variable de la rémunération sur des éléments étrangers à la volonté de l'employeur.

Dans l'arrêt précité du 30 mai 2000, la Cour de cassation relève que « la cour d'appel a exactement décidé que les contrats de travail, s'ils réservaient à l'employeur la faculté d'adapter la partie variable de la rémunération selon l'évolution du marché et des produits de la marque, ne l'autorisaient pas à modifier de façon discrétionnaire les bases de cette rémunération ». Est-ce à dire que si l'employeur avait simplement adapté la partie variable de la rémunération en appliquant les éléments prévus par le contrat, cette pratique n'aurait pas été condamnée ? On peut le penser, en dépit de la formulation générale selon laquelle « une clause du contrat ne peut valablement permettre à l'employeur de modifier unilatéralement la rémunération contractuelle du salarié ». Il nous semble opportun de distinguer ce qui relève de la modification et ce qui relève de l'adaptation. En dehors des règles prohibant certaines indexations, on ne voit pas ce qui justifierait la mise à l'écart des clauses permettant une détermination d'une partie de la rémunération fondée sur des éléments objectifs soumis à variation (chiffre d'affaires, pourcentage de ventes…). Mais il faut alors clairement les contractualiser. Reste à savoir où se situe la frontière entre le discrétionnaire qui relève de la modification et l'adaptation qui résulte de l'application d'éléments objectifs. Peut-on contractualiser des éléments objectifs dont la détermination relève d'une appréciation de l'employeur ? Reprenons l'exemple de l'évolution du marché. C'est par nature un critère objectif. Il y a toutefois deux façons de l'intégrer : soit en contractualisant un pourcentage d'évolution, et c'est alors une adaptation automatique du contrat ; soit en laissant à l'employeur le soin de déterminer la quantum de l'évolution. Cette seconde méthode nous paraît admissible dès lors qu'elle n'est pas fondée sur une démarche discrétionnaire de l'employeur. Il faut toutefois admettre qu'à la lumière des arrêts précités, son efficacité n'est pas assurée.

Cette influence des règles relatives à la modification du contrat de travail n'est pas limitée aux clauses de rémunération. Les clauses d'objectifs sont aussi concernées. Voilà un contrat de travail qui prévoit un chiffre d'affaires de 1,5 million de francs à réaliser pour l'année 1987 par un représentant exclusif. Pour les années postérieures, le contrat stipule que l'objectif « sera réétudié chaque année en tenant compte du plan de développement du journal qui a été établi pour les quatre années suivantes, 1987, 1988, 1989, 1990, et qui est accepté par les membres du service de publicité et par M… ». Licencié en 1990 pour non-réalisation des objectifs, le salarié conteste avec succès le bien-fondé de la rupture. La Cour de cassation estime en effet « qu'en statuant ainsi, alors qu'elle a constaté que, d'une part, la fixation des objectifs devait résulter d'un accord des parties et que, d'autre part, les objectifs avaient été fixés unilatéralement par l'employeur, ce dont il résultait que l'absence de leur réalisation, reprochée au salarié, ne constituait pas un motif de licenciement, la cour d'appel a violé le texte susvisé (art. L. 122-14-4) » (Cass. soc., 18 avril 2000, Juris. hebdo. n° 673 du 9 mai 2000). La cause paraît entendue : l'employeur ne peut, par le jeu d'une clause, modifier unilatéralement en cours d'exécution du contrat les objectifs à atteindre. Mais ne faut-il pas à nouveau introduire des nuances ? La clause stipulant une variation des objectifs fondée sur des éléments déterminés ne nécessitant pas l'intervention de l'employeur (exemple : évolution de l'objectif liée à une évolution du chiffre d'affaires) ne devrait pas subir la censure, car il n'y a alors qu'une adaptation automatique du contrat.

Clause de rémunération variable, clause d'objectifs… À qui le tour ? Le raisonnement privilégié par la Cour de cassation est aisément transposable aux clauses concernant les éléments contractuels par nature du contrat de travail. C'est déjà le cas pour une clause du contrat qui prévoit la transformation d'un contrat de travail à temps plein en contrat à temps partiel : « la transformation d'un horaire de travail à temps complet en horaire de travail à temps partiel constitue une modification du contrat de travail qui ne peut être réalisée sans l'accord du salarié, peu important que cette modification ait été ou non prévue dans le contrat de travail » (Cass. soc., 29 juin 1999, Juris. Actua. n° 644 du 7 octobre 1999). On peut alors imaginer la même réserve pour la clause qui offrirait la possibilité à l'employeur de modifier la qualification du salarié en cours d'exécution du contrat.

2° L'influence de l'article L. 120-2 du Code du travail

« Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché », affirme l'article L. 120-2 du Code du travail. Voilà un texte riche de conséquences qui a mis du temps à « décoller » en jurisprudence. Nul doute que certaines clauses du contrat de travail doivent être lues ou relues à la lumière de ce texte. La preuve : sous le visa de cet article, la Cour de cassation vient d'affirmer que « la clause par laquelle un salarié s'engage à consacrer l'exclusivité de son activité à un employeur porte atteinte à la liberté du travail ; elle n'est valable que si elle est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise et si elle est justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché » (Cass. soc., 11 juillet 2000, Juris. hebdo. n° 684 du 24 juillet 2000). On aura reconnu, à quelques nuances près, les conditions de validité d'une clause de non-concurrence. Un arrêt du 12 janvier 1999 (Juris. hebdo. n° 615 du 25 janvier 1999) a privilégié la même analyse pour une clause de mobilité imposant au salarié un déménagement. La mécanique de l'article L. 120-2 combinée à la jurisprudence sur les clauses de non-concurrence est désormais clairement exprimée dans la décision du 11 juillet 2000 qui démontre ainsi qu'il n'est pas vraiment nécessaire de solliciter de manière abusive la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, comme dans l'arrêt du 19 janvier 2000. Il y a dès lors fort à parier que cette jurisprudence s'étendra à d'autres clauses du contrat de travail. On pense évidemment à la clause de mobilité, encore qu'il peut y avoir discussion sur la liberté individuelle atteinte par une telle clause. En attendant de nouvelles évolutions jurisprudentielles, il est prudent de tenir compte de l'article L. 120-2 du Code du travail lors de l'insertion d'une telle clause.

On savait que rédiger un contrat était, par nature, un art difficile. Comme pour d'autres techniques, la difficulté s'accroît en droit du travail !

Auteur

  • Paul-Henri Antonmattei