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Vie des entreprises

François Grappotte soigne la culture PME chez Legrand

Vie des entreprises | METHODE | publié le : 01.11.2000 | Valérie Devillechabrolle

Intéressement, stock-options pour tous, 35 heures avant la loi, formations qualifiantes : le leader de l'appareillage électrique basse tension ne néglige rien pour motiver ses troupes. Credo de son P-DG : produire mieux et à moindre coût, sans « martyriser personne ». Pas question de brader les valeurs humanistes du groupe.

Il est bien rare que le groupe Legrand alimente la rubrique people des gazettes économiques. Et pourtant, fin septembre, le numéro un mondial de l'appareillage électrique basse tension a fait jaser la bonne ville de Limoges, où l'entreprise est installée depuis un siècle. Patrick Puy, directeur général depuis cinq ans, venait d'être choisi par les actionnaires de Brandt-Moulinex pour piloter le nouvel ensemble. Un départ inopiné assorti d'un no comment par François Grappotte, 64 ans, qui perdait là un dauphin potentiel jusqu'à la nomination au poste de vice-président d'Olivier Bazil, auparavant directeur général adjoint. Mais Legrand déteste le tapage. La discrétion de cette ancienne fabrique de porcelaine de table reconvertie dans les interrupteurs se loge jusque dans son siège social : trois bâtiments industriels en triangle et deux parallélépipèdes en annexe. Même Innoval, le nouveau centre de formation high-tech inauguré en 1998, ne laisse découvrir ses jeux d'eaux et de lumière qu'une fois qu'on a pénétré à l'intérieur.

Une sobriété qui cache pourtant une belle success story. Avec 20 milliards de francs de chiffre d'affaires attendus pour 2000 et une progression du cours de l'action supérieure de 60 % à l'évolution du CAC 40 sur les dix dernières années, les résultats de Legrand sont époustouflants. Côté ressources humaines, même la secrétaire CGT du comité de groupe, Lydie Délias, décerne une mention honorable : « Mis à part des salaires situés plutôt dans la moyenne basse, il n'y a pas de grosse lacune dans la politique sociale. » Difficile, toutefois, pour cette représentante du syndicat majoritaire sur l'unité du Limousin d'avoir une vision d'ensemble. Non seulement les deux tiers des 27 000 salariés travaillent hors de France, dans 53 pays, mais, même dans l'Hexagone, chaque unité – souvent issue du rachat d'une PME – conserve la maîtrise de sa politique sociale. « Il serait illusoire – voire source de gaspillage et de démotivation – de vouloir donner des impulsions systématiques en matière de gestion des relations sociales, pour les unités étrangères, à partir d'un point central en France. C'est pourquoi nous avons la sagesse de nous en remettre à nos instances locales », souligne François Grappotte. Alors, en avant pour la visite.

1 ENTRETENIR L'ESPRIT PME

Avec le rachat au printemps de l'américain Wiremold et de ses 4 000 salariés, Legrand vient encore de réaliser un très joli coup : non seulement il double sa taille aux États-Unis, un marché où il réalise 25 % de ses ventes, mais il se renforce aussi sur l'un des créneaux les plus porteurs de son métier : la transmission combinée voix-données-images. Pourtant, en dépit de sa taille et de cette croissance externe permanente, le groupe tient à conserver sa culture de PME. En Limousin, berceau originel du groupe où travaillent encore 3 900 personnes, cet esprit est d'autant plus fort que les actionnaires majoritaires de la société (ils détiennent 56 % des droits de vote) ont toujours un visage : ceux de la « famille » de Jean Verspieren, décédé en 1983, et d'Édouard Decoster, les deux industriels originaires du Nord qui ont fondé le Legrand « moderne » après 1949. Si, officiellement, la « famille », comme disent les Limousins, a confié en 1983 les rênes de l'entreprise à François Grappotte, elle continue d'être très présente : le directeur des exportations appartient à la deuxième génération tandis que le fils Decoster, ancien directeur industriel, continue à présider les séances plénières du CHSCT. Tout un symbole ! Car « c'est l'instance où se tranchent les dossiers en souffrance parce qu'ils représentent souvent de gros budgets », précise Philippe Massacret, secrétaire général du syndicat CGT de Legrand.

Ancien administrateur civil, ex-directeur général de la Banque Rothschild, François Grappotte s'est coulé avec une facilité surprenante dans ce moule qui n'est pas sans rappeler celui de Michelin, le grand voisin clermontois. Une comparaison que le P-DG de Legrand assume d'autant plus volontiers qu'il est lui-même membre du conseil de surveillance de Michelin. Reste une différence : chez Legrand, la « famille » ne s'est jamais mêlée de la vie de ses salariés. « Il n'y a pas d'école ou de cité Le grand à Limoges », précise Lydie Délias. En revanche, l'accent est mis sur l'adhésion des salariés à l'entreprise. Et la rémunération différée y contribue. Accord de participation, prime d'intéressement, distribution de stock-options, Legrand joue depuis vingt-cinq ans sur tous les tableaux. Avec une innovation en 1999 : l'ouverture à tous les salariés du dernier plan de distribution d'options, jusque-là réservées aux cadres et aux agents de maîtrise. « Nous ne nous voilons pas la face, la mariée n'est pas aussi belle qu'on nous le dit », bougonne Denis Delorme, délégué CFE-CGC, en soulignant que ce « geste » représente moins de 0,5 % du capital et « correspond au mieux à un supplément de revenus à terme ». François Frugier, DRH du groupe depuis dix ans, ne dément pas : « Il s'agit non pas de distribuer une rémunération jackpot à quelques-uns mais de faire bénéficier tout le monde de la création de valeur ajoutée dégagée dans l'entreprise, en fonction des qualifications et de l'ancienneté. »

Un dispositif d'apparence égalitaire qui ne satisfait pas André Charrassin, jeune DRH de l'unité de Normandie, formé pendant sept ans à la rude école Valeo. « Lorsque j'explique qu'il faut faire évoluer l'intéressement à partir de critères par équipe et non forcément financiers, ou encore qu'il faut distinguer davantage les bons des mauvais, mes propos heurtent parfois en interne. Résultat, en lieu et place de cette politique d'implication des salariés, source de productivité, certains salariés sont encore payés à l'aide de bonifications individuelles au rendement. »

2 RESTRUCTURER EN DOUCEUR

La confiance des salariés de Legrand envers leur entreprise peut se résumer par un simple pourcentage. Avec un turnover inférieur à 2 %, une embauche dans l'entreprise limougeaude ressemble fort, comme le remarque Michel Guillauteau, délégué CFDT, à « un aboutissement, voire à un sacerdoce ».C'est probablement aussi la récompense d'un management à visage humain. Si le groupe s'est toujours fixé pour but de « produire mieux, plus vite et à moindre coût », pour reprendre l'expression de François Grappotte, il l'a toujours atteint « sans martyriser personne ». « Il n'y a pas de raison de le faire quand l'objectif de productivité est atteint », note François Frugier. « En une décennie, nous sommes passés de 4 300 à 4 000 sur le Limousin sans nous en apercevoir », confirme Lydie Délias, la déléguée CGT. « Ici, on traite les gens poliment », rappelle-t-elle en citant le cas d'un ancien DRH qui se vantait de licencier par téléphone et qui n'a « pas fait long feu ». Les restructurations se gèrent sur la durée et en tenant compte des cas individuels. Dernier exemple en date : le regroupement d'ici à juillet 2001 à Verneuil-en-Halate (dans l'Oise) des deux entrepôts de produits finis jusqu'à présent situés à Limoges et à Marly-le-Roi, en région parisienne. Ce double transfert qui concerne plus de 200 personnes se sera étalé sur deux ans et demi. Un délai mis à profit pour reclasser les quelque 80 % de salariés de Limoges désireux de rester dans leur région… Autre exemple, celui de l'atelier de production de moules destinés à fabriquer les appareillages. « La restructuration se déroule de façon rampante depuis quinze ans sur la base de trois départs pour une embauche », raconte Philippe Massacret, de la CGT. Parallèlement, les décolleteurs, assembleurs et découpeurs ont été progressivement remplacés par des jeunes bac pro bien plus polyvalents. Cette gestion soft n'exclut pas une recherche permanente de gains de productivité. Y compris par des méthodes d'un autre âge. L'unité d'Antibes a ainsi remis au goût du jour le travail à domicile payé à la pièce, une activité de petites séries qui concerne, pour l'essentiel, une centaine de jeunes mères de famille volontaires (sur 675 salariés). « Non seulement ces salariées y trouvent leur compte, mais l'entreprise y gagne grâce aux économies d'encadrement et de surface ainsi réalisées », plaide François Frugier, qui est d'ailleurs en train d'étudier une extension de ce dispositif à un atelier du Limousin. Côté syndical, l'initiative est prise avec des pincettes : « Ce genre de retour en arrière est ambigu car il est très difficile à surveiller », observe Serge Sénamaut, délégué Force ouvrière.

3 GÉRER SUR LE LONG TERME

Depuis une petite dizaine d'années le groupe Legrand est passé maître dans la gestion anticipée des compétences. « Hier, nous envisagions les évolutions en raisonnant par catégories d'emplois figées, explique François Frugier. Aujourd'hui, nous raisonnons par compétences nécessaires, les emplois étant à géométrie variable. Au regard du profil attendu, nous gérons l'écart par la formation. » Conséquence, le pourcentage de la masse salariale consacré à la formation progresse (de 3,18 % en 1997 à 4,37 % en 1999) tandis que la pyramide de qualification des ouvriers se déforme au profit des qualifiés. Dernière grosse opération en cours, la transformation des opératrices embauchées il y a vingt ans en conductrices de système automatisé. « Nous avons réalisé ces formations qualifiantes en interne car, de toute façon, on ne les trouvait pas sur le marché », précise Marc Parouty, chargé du développement des ressources humaines pour le groupe.

Avec la mise au point d'un outil de simulation informatique, actuellement en phase d'expérimentation, Legrand est en train de passer à la vitesse supérieure. « Cet outil nous permet d'anticiper les effets quantitatifs et qualitatifs sur les effectifs des différents scénarios industriels à l'étude (transfert d'activité, automatisation…). Nous aurons ainsi une meilleure lisibilité pour affiner nos politiques de formation et de recrutement », se félicite le DRH du groupe. « Cet outil aidera en retour les opérationnels à choisir le scénario d'organisation le plus efficace », estime Marc Parouty, qui vient de coordonner pendant dix-huit mois la politique de formation destinée à accompagner la fabrication d'une nouvelle gamme de produits dans quatre pays (France, Portugal, Autriche et Hongrie). « Pour tenir compte des capacités d'appropriation du changement des personnels de chaque pays, nous avons réussi à faire évoluer l'organisation projetée », explique-t-il. Ainsi, l'automatisation envisagée n'a pas été menée à son terme au Portugal.

4 DOTER LE GROUPE D'UNE VÉRITABLE GRH

Les négociations sur les 35 heures ont été très révélatrices de la politique de gestion des ressources humaines en vigueur chez Legrand. À partir d'une orientation très générale donnée par le groupe (réduire la durée du travail à 35 heures en échange de 6 % d'embauches), chacune des 10 unités françaises a eu carte blanche pour mettre en place son propre dispositif. Pour François Frugier, cette stratégie illustre avant tout le souci de Legrand « de travailler au plus près du terrain et de valoriser, localement, le management ». Chargé des ressources humaines sur la Normandie, André Charrassin a une interprétation légèrement différente : « Pendant longtemps la gestion des ressources humaines n'était pas considérée comme un acteur du changement à part entière, mais comme un simple relais administratif. »

Le groupe commence toutefois à tirer un peu plus parti de sa taille. Cela a commencé en 1996 par la mise en place d'une véritable gestion des cadres. « Nous sommes en train de mettre en commun nos ressources d'encadrement afin de pouvoir répondre au pied levé aux besoins, comme l'an passé, lorsqu'il s'est agi de trouver un responsable pour prendre la direction de la nouvelle filiale coréenne », explique Xavier Couturier, chargé de ce chantier. De façon plus systématique, les différents DRH d'unité sont invités, comme l'explique François Frugier, à « remettre à plat tous les processus de gestion des ressources humaines en les dépouillant de tout ce qui n'apporte pas de valeur ajoutée ». Enthousiaste à l'idée de « bâtir cette gestion de demain », André Charrassin s'attelle, par exemple, à une refonte des entretiens annuels d'évaluation. « Nous envisageons de les transformer en deux séries d'entretiens, indique le DRH de Legrand Normandie : le premier, annuel, portera sur la performance de chacun par rapport aux objectifs ; le second sera consacré au développement des compétences et n'interviendra que tous les deux ans. »

5 RESPECTER LES SYNDICATS, MAIS PAS PLUS

Chez Legrand, le dialogue social est réel, mais il n'apparaît pas, aux yeux de la direction, comme un levier prioritaire pour gérer le changement. Consultées dans le champ strict de leurs prérogatives, les syndicats ne sont là que « pour faire remonter les problèmes », souligne Philippe Massacret, de la CGT, qui emploie une formule lapidaire : « Comme cela, chacun sait où il habite ! » Ce qui n'empêche pas François Grappotte de tenir « à présider lui-même toutes les réunions du comité central d'entreprise, où il vient seul, et de répondre à toutes les questions sans détour », note Lydie Délias, secrétaire du comité de groupe. Il n'en reste pas moins que « si la porte du DRH nous est toujours ouverte, c'est souvent pour nous dire non », ajoute Philippe Massacret. La CGT a ainsi bataillé durant quatre ans devant les tribunaux pour obtenir, en 1981, des moyens de fonctionnement dignes de ce nom pour le CHSCT. Ce qui n'empêche pas le groupe d'être fier de sa politique de sécurité, récemment récompensée par le prix Albert-Thomas…

La signature, à l'automne 1998, d'un accord sur les 35 heures, paraphé par tous les syndicats, à l'unité de Legrand-Limousin témoigne davantage du pragmatisme du groupe que du souci d'impliquer les organisations syndicales. « Nous avions la conviction que l'on ne pourrait pas avancer sans un minimum de consensus sur un sujet qui touche autant aux intérêts de l'entreprise qu'à l'organisation personnelle des salariés », observe François Frugier. Résultat, les discussions ont duré près d'un an. Mais lorsque Denis Delorme, le délégué CFE-CGC, a demandé à renégocier un avenant sur le temps de travail des cadres dans le cadre de la loi Aubry II, il s'est heurté à une fin de non-recevoir. De la même façon, pour la mise en place du nouveau comité de groupe européen, en novembre, la direction s'en est tenue au strict respect de la réglementation : « Aucune facilité particulière ne nous a été accordée pour correspondre avec nos homologues européens », observe Philippe Massacret, qui a déjà eu du mal à organiser une coordination des délégués CGT en France.

En dépit de ce bémol et des inévitables tensions sur les salaires, les relations direction-syndicats restent courtoises. Tant il est vrai qu'au bout du compte et comparé aux vicissitudes des « Bibs » de Michelin il fait plutôt bon vivre au pays des Legrand…

Entretien avec François Grappotte
« Le gouvernement n'a pas mesuré le traumatisme qu'il a infligé aux entreprises avec les 35 heures »

C'est en 1973 que François Grappotte entame sa carrière d'industriel en devenant secrétaire général de la Compagnie électromécanique. Auparavant, cet énarque discret et rigoureux ne sera resté que sept ans au service de l'État, démissionnant en 1970 de la fonction pour aller se frotter à la finance au sein de la Banque Rothschild. Entré comme directeur général de Legrand en 1983, il en a pris la présidence cinq ans plus tard. Sous sa houlette, le groupe est devenu le leader mondial de sa spécialité, l'appareillage électrique d'installation basse tension, et les effectifs ont plus que doublé. Apprécié par ses pairs, François Grappotte, 64 ans, est administrateur de France Télécom et de BNP-Paribas et membre du conseil de surveillance de Michelin.

Entreprise mondiale, mais ancrée dans le Limousin, vous cherchez à perpétuer une culture maison. Pour quelle raison ?

Nous y tenons énormément. Pour des raisons qui ne sont pas seulement économiques. Pour nous en tenir à ces dernières, notre héritage culturel constitue un facteur de développement rendu encore plus appréciable par les évolutions récentes.

Il engendre auprès des salariés un état d'esprit positif qui les incite à donner spontanément le meilleur d'eux-mêmes. Il confère une base solide à notre développement dans la durée et nous renforce dans notre conviction de nous inscrire toujours dans une perspective à long terme. Ce qui ne signifie pas pour autant que nous sacrifiions les résultats à court terme. Enfin, c'est pour nous un atout important pour fonctionner en réseau. Notre organisation n'a jamais privilégié la ligne hiérarchique. La preuve ? Jusqu'à ce que nous engagions une démarche de certification qualité, nous ne ressentions pas le besoin d'avoir un organigramme. Chez nous, tout le monde trouve normal d'entretenir un contact direct avec celui qui fait, moi y compris.

De la même façon, nous privilégions la dynamique entrepreneuriale en faisant en sorte d'avoir à tous les niveaux non pas des exécutants, mais des entre preneurs.

Pour transférer 110 personnes de Limoges en région parisienne, vous avez mis deux ans et demi. Vos restructurations sont-elles toujours aussi douces ?

Notre souci aigu des valeurs humaines ne va pas jusqu'à admettre un tel délai pour transférer des personnels. En réalité, ce délai était rendu nécessaire par la construction de notre nouveau centre de distribution. Il ne faut pas non plus appliquer les pratiques françaises aux 54 pays où nous sommes présents. Non pas que la France soit protégée, mais notre souci de réalisme et d'équité nous conduit à adapter notre comportement au contexte de chacun de ces pays. Nous essayons alors d'y être perçus comme une entreprise de bon aloi, autrement dit de faire mieux que la moyenne. Mais nous avons déjà conduit hors de France des restructurations portant sur des effectifs nombreux et dans des délais très brefs.

L'amélioration permanente de notre performance est, à nos yeux, un impératif fondamental. Nous sommes dans un monde où, si on ne s'améliore pas, on régresse. Nous ne transigerons donc en aucun cas sur cet impératif en entretenant des solutions sous-performantes.

Cela ne nous empêche pas de prendre en compte les accompagnements sociaux. Nous avons, par exemple, presque toujours évité en France les ajustements douloureux, grâce à une gestion prévisionnelle de nos besoins en ressources humaines qui nous avait permis d'anticiper certaines évolutions. Quand, malgré tout, nous avons été contraints à des ajustements, nous les avons accompagnés de dispositifs de reclassement effectifs dans le groupe.

En conservant une organisation qui s'apparente à une fédération de PME, ne vous privez-vous pas de gains de productivité ?

Sous cette apparence disparate, il y a des éléments unificateurs forts : la centralisation complète de nos opérations financières, l'unification de nos systèmes d'information et de reporting, la commercialisation sous marque Legrand, mais aussi notre système d'approbation préalable des nouveaux produits. Dernier élément unificateur, cet esprit Legrand qui imprègne toutes les unités, par-delà la barrière des langues et des cultures. Même nos unités américaines, dans le groupe depuis peu, se mettent au diapason, sans que l'on ait besoin de recourir à des circulaires. Cela dit, dès que des synergies possibles apparaissent, grâce aux nouveaux moyens de communication notamment, nous n'hésitons pas à infléchir notre organisation. Dans l'immédiat, cela concerne surtout les achats et le développement de produits nouveaux.

Quelle place accordez-vous au dialogue social ?

Nous nous appliquons à informer et à consulter les organisations syndicales sur les principales évolutions susceptibles d'avoir des conséquences sociales. Les négociations sont menées pour chaque unité, dans un cadre défini à l'échelon central. Il n'y a pas d'uniformité.

Pourquoi avez-vous signé dès 1998 un accord sur les 35 heures ?

Cet exemple illustre notre pragmatisme constant. Nous étions, en réalité, très opposés aux 35 heures et nous les avons combattues jusqu'à ce que nous ayons été convaincus de la détermination du gouvernement à nous les imposer. Dès lors, nous avons choisi d'aller le plus vite possible pour aboutir à un accord préservant notre compétitivité. Mais je ne suis pas sûr que le gouvernement ait pleinement mesuré le traumatisme qu'il a infligé aux entreprises en leur imposant les 35 heures. Car, si nous n'avions pas trouvé avec les organisations syndicales les termes d'un accord équilibré, des projets d'automatisation ou de délocalisation qui étaient jusque-là à la limite de la rentabilité seraient redevenus souhaitables. Au bout du compte, le modèle social de Legrand n'aurait pas pu être maintenu. Plus grave encore me paraît être la volonté d'enfermer la mission des cadres dans des prestations horaires plafonnées. Elle est à total contre-courant des impératifs concurrentiels propres à une économie ouverte et moderne.

Craignez-vous une remise en cause de la modération salariale que vous avez négociée en contrepartie des 35 heures ?

Le risque existe. Mais, une fois encore, il faut savoir ce que l'on veut. Si nous étions conduits à dégrader notre compétitivité en remettant en cause des équilibres, négociés à l'époque à la satisfaction générale, des déplacements d'activité seraient alors inévitables. Quand bien même nous avons réalisé toutes nos acquisitions à l'étranger, non pas pour économiser sur le coût des facteurs de production, mais pour accéder à leurs marchés. Maintenir des emplois à des coûts nettement supérieurs à ce qui pourrait être obtenu à l'étranger est la manière la plus sûre de créer du chômage à terme en France.

Pourquoi avez-vous choisi de distribuer des stock- options à l'ensemble de vos salariés ?

Nos actionnaires ont estimé nécessaire de souligner l'appartenance du personnel à l'entreprise en attribuant, depuis l'an née dernière, des stock-options à la totalité des salariés du groupe France, en fonction de critères de qualification et d'ancienneté. Mais nous avons aussi éprouvé le besoin de reconnaître l'importance de la contribution d'un nombre plus restreint de personnes au travers de plans additionnels. Ceux-ci concernent une centaine de personnes sur un peu plus de 9 000.

Rencontrez-vous des difficultés de recrutement ?

Sans aller jusqu'à un manque caractérisé, nos recrutements se font de plus en plus difficiles. Il ne faut pas s'en étonner : en raréfiant d'une manière uniforme l'offre de travail à la veille d'une reprise, les 35 heures ont contribué à fabriquer cette difficulté.

Propos recueillis par Jean-Paul Coulange et Valérie Devillechabrolle

Auteur

  • Valérie Devillechabrolle