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Politique sociale

Les remèdes de nos voisins pour absorber moins de comprimés

Politique sociale | ZOOM | publié le : 01.11.2000 | Sabine Syfuss-Arnaud

Grosse consommatrice de pilules en tout genre, la France devrait s'inspirer de ses voisins moins goulus. Modération des prescriptions, promotion des génériques, conditionnement des boîtes au plus juste… les Pays-Bas, l'Allemagne, la Grande-Bretagne ou la Suisse ne manquent pas d'idées pour limiter leurs dépenses.

Haro sur les petites gélules ! Si les dépenses de santé continuent de déraper en France, les coupables sont tout désignés : ce sont les médicaments. Les remboursements ont bondi en effet de 6,3 % en 1999, pratiquement trois fois plus que prévu. Et la flambée s'est amplifiée cette année avec une hausse qui devrait se situer entre 6 et 7 %, alors que la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2000 tablait sur une augmentation de… 2 %. Un dépassement qui devrait représenter la bagatelle de 4,5 milliards de francs, d'après les calculs de Jean-Jacques Bertrand, le président du Syndicat national de l'industrie pharmaceutique.

Comme ses prédécesseurs, Martine Aubry est partie en guerre contre la surconsommation de pilules. Mais plutôt mollement, car son postulat est que « plus un pays est riche et sa croissance forte, plus il dépense en matière de santé ». Principale cible des foudres gouvernementales : l'industrie pharmaceutique. La ponction sur le chiffre d'affaires des laboratoires pour le financement de la santé a été maintenue. Et la menace de diminuer le remboursement des médicaments dont l'efficacité est sujette à caution est régulièrement brandie. En guise de carotte, l'État a tenté de monnayer une baisse des prix des anciennes molécules contre des tarifs plus attractifs pour les nouveaux produits. Les pharmaciens ont été autorisés, de leur côté, à délivrer des génériques, constitués de molécules de qualité équivalente à celle des médicaments de marque mais vendus en moyenne 30 % moins cher (voir encadré, page 46). Quant aux généralistes, ils ont été invités à modérer leurs prescriptions et à y inclure une bonne dose de génériques. Enfin, des campagnes de sensibilisation sur le « bien consommer » ont été lancées auprès des assurés sociaux. Mais il reste du chemin à parcourir. Si l'on en croit un sondage Ipsos publié par le Panorama du médecin en juin dernier, un patient sur cinq considère encore comme « essentiel ou important » que les ordonnances soient copieuses !

Freiner la consommation de médicaments n'est pas une mince affaire. A fortiori dans les pays développés, où la population vieillit et où la médecine fait de plus en plus de progrès. « Depuis cinquante ans, nous sommes entrés dans une ère où les médicaments sont devenus efficaces », rappelle Catherine Sermet, chercheuse au Credes (Centre de recherche, d'étude et de documentation en économie de la santé). En outre, les laboratoires investissent souvent plus de 1 milliard de francs et consacrent près d'une dizaine d'années à la mise au point d'une nouvelle molécule, dont ils attendent un bon retour sur investissement. Responsable de l'état-major stratégique de l'Organisation mondiale de la santé, Jean-Pierre Poullier indique qu'un marché comme l'Allemagne compte près de 45 000 médicaments différents, alors que l'OMS évalue à 250 le nombre de médicaments essentiels pour les pays en développement. L'an dernier, en France, les laboratoires ont, chaque semaine, déposé en moyenne plus de dix demandes d'autorisation pour des produits nouveaux auprès de l'administration.

Mêmes causes, mêmes effets : nos voisins européens cherchent aussi à endiguer les dépenses de médicaments. Qu'il s'agisse des Pays-Bas, de l'Allemagne, de la Grande-Bretagne ou de la Suisse, les remèdes sont souvent identiques. Ils impliquent largement les professions de la santé, qui participent à l'effort collectif de limitation des prescriptions et des dépenses grâce à une dose massive de génériques.

Pays-Bas

Une délivrance sur mesure

Dans son cabinet installé au premier étage d'une maison cossue, le docteur Piet Van Euwen compte beaucoup de Français parmi sa clientèle. « Je ne prescris presque jamais d'antibiotiques d'emblée. J'attends de voir comment la maladie évolue. Lorsque j'ai affaire à l'un de vos compatriotes, la plupart du temps il prend le train le week-end pour Paris et s'y fait faire une ordonnance avec antibiotiques », raconte ce généraliste installé dans les quartiers chics de La Haye. Il ne constitue pas une exception. Les Pays-Bas sont un des pays les moins consommateurs de médicaments. Six consultations sur dix seulement donnent lieu à une ordonnance. « C'est culturel, note Jean, un expatrié. L'une de mes secrétaires néerlandaises s'est récemment fait arracher une dent. Elle souffrait le martyre, mais refusait de prendre des calmants. » Bref, les Hollandais se raient plus stoïques face à la douleur. Mais ce n'est pas tout : le système de santé néerlandais tout entier lutte contre la gabegie.

Premier maillon de cette chaîne vertueuse, le médecin de famille, chez lequel les Néerlan dais couverts par l'assurance publique, soit la majorité d'entre eux, doivent s'inscrire. Tel le docteur Van Euwen, ils connaissent leurs patients, ne prescrivent examens et traitements qu'en cas de nécessité, et sont un point de passage obligé avant d'aller voir un spécialiste.

Autre acteur essentiel, le pharmacien est lui aussi beaucoup plus responsabilisé qu'en France. À l'instar de ses confrères allemands et britanniques – mais aussi australiens –, il est tout d'abord chargé de conditionner les boîtes de médicaments au plus juste, en fonction des besoins. « Dans les officines, il y a de grandes jarres à médicaments dans lesquelles on puise, note Jean-Pierre Poullier. On ne peut inculquer à un malade qu'un médicament est rare et cher s'il en reste un tiers dans la boîte à la fin du traitement. » Si les patients l'acceptent, le pharmacien néerlandais tient un dossier médical sur chacun d'eux, ce qui lui permet de préparer les médicaments en toute connaissance de cause, en tenant compte des besoins, des allergies et des contre-indications. « La délivrance du médicament s'apparente donc à un véritable service médical », constatent Annick Le Pape, Valérie Paris et Catherine Sermet, chercheuses au Credes et auteurs d'un récent rapport sur la politique du médicament en Allemagne et aux Pays-Bas. Enfin, comme son homologue français, le pharmacien néerlandais dispose d'un droit de substitution. Il peut donc remplacer un médicament de marque par un générique, moins cher. Financièrement, il y a intérêt, mais l'incitation ne prend pas la même forme qu'en France. Dans l'Hexagone, les pharmaciens ont une marge plus intéressante sur les génériques – qui sont cependant vendus moins cher que les médicaments de marque – tandis qu'aux Pays-Bas les officines perçoivent un tiers du montant de l'économie réalisée.

Allemagne

Un remboursement a minima

« Consommer des médicaments est devenu un luxe », observe Siegrid Linnenbrügger, une Allemande de l'Ouest de 57 ans, qui a connu le temps où tout était pratiquement gratuit. Quelle que soit l'assurance maladie choisie (en Allemagne, les caisses sont en concurrence), les patients y sont beaucoup de leur poche. Il faut dire que, dans ce pays où les médicaments sont parmi les plus chers d'Europe, les laboratoires déterminent librement leurs prix, contrairement à ce qui se passe en France où les tarifs sont fixés par l'administration.

Outre-Rhin, l'assuré doit d'abord acquitter une franchise, dont le montant n'a cessé d'augmenter au fil des années, et qui varie, selon la taille de la boîte de médicaments, de 27 à 37 francs. Seuls échappent à ce « copaiement » les étudiants et les salariés à faibles revenus. « Quand le médicament n'a pas besoin d'être prescrit sur ordonnance, il m'arrive de l'acheter directement, car il est parfois moins cher que la franchise », indique Siegrid. « C'est une incitation très claire à l'automédication », estime Jürgen Feick, chercheur au Max-Planck-Institut für Gesellschaftsforschung à Cologne.

Autre spécificité du système allemand depuis la réforme Blüm de 1989, les caisses ne remboursent les médicaments que sur la base d'un prix de référence, le Festbetrag. Les produits sont rassemblés par catégories équivalentes en classes thérapeutiques. Pour chaque classe, il existe un tarif, en général proche du prix du médicament le moins cher du groupe, qui reste cependant très élevé par rapport au prix pratiqué en France. Les patients peuvent ainsi obtenir le produit qu'ils veulent, mais savent qu'ils seront remboursés a minima. L'instauration du tarif de référence a eu deux effets positifs : les malades ont fait pression sur leur médecin pour qu'il leur prescrive la molécule la moins onéreuse et les laboratoires ont fini par aligner leurs tarifs sur le prix de référence. Ce système, également appliqué aux Pays-Bas, a été proposé par Gilles Johanet, directeur actuel de la Caisse nationale d'assurance maladie, dans son plan « stratégique » d'économies pour la Sécu. Mais, comme l'explique Catherine Sermet, du Credes, il a ses limites : « Ce qui est frappant en Allemagne comme aux Pays-Bas, c'est que très rapidement les industriels ont augmenté le prix des 20 % de médicaments non soumis au forfait et remboursés à 100 % par les caisses d'assurance maladie. »

Grande-Bretagne

Des généralistes parcimonieux

Le fameux National Health Service (NHS), synonyme de médecine gratuite pour tous les Britanniques, n'est pas aussi généreux qu'il y paraît. Daniel, retraité de fraîche date sur la côte sud de l'Angleterre, perçoit nettement la différence entre son ancien et son nouveau statut. « Depuis que je suis à la retraite, je n'ai plus à payer 5 livres (environ 50 francs) pour chaque médicament prescrit. Ça commençait à devenir cher. » Quand cette franchise a été appliquée, en 1952, la contribution du malade ne s'élevait qu'à… 5 pence par ordonnance. Si un Britannique sur deux en est exempté, en raison de son âge ou de son niveau de revenus, l'autre partie de la population met la main au porte-monnaie. D'autres réformes obéissant à une logique de marché ont été, depuis, introduites, notamment sous l'ère Thatcher.

Au début des années 90, les généralistes, ou general practionners, ces médecins de famille auxquels chaque assuré social doit rester fidèle via un système d'abonnement, ont été promus fundholders, c'est-à-dire gestionnaires d'un budget annuel qu'ils doivent respecter en matière de prescriptions. À eux de déterminer s'il faut griller ses cartouches dès le mois de mai avec les premières allergies ou bien garder des réserves pour les grippes de fin d'année. En cas d'économies, les sommes peuvent être réutilisées en fin d'année pour investir dans le cabinet médical. En 1999, le gouvernement Blair a quelque peu modifié le système, mettant en place les primary care groups. De nouvelles structures qui regroupent plusieurs dizaines de professionnels, généralistes, infirmières et travailleurs sociaux, gérées par des managers n'appartenant pas au corps médical.

Professeur d'économie de la santé à l'université de Paris-Dauphine, Claude Le Pen rappelle que, traditionnellement, « les médecins britanniques prescrivent peu et surtout des génériques ». Le Royaume-Uni reste d'ailleurs l'un des pays les moins dépensiers d'Europe. Selon Jürgen Feick, chercheur au Max-Planck-Institut, qui mène actuellement une étude comparée sur le marché du médicament en Grande-Bretagne, en France et en Allemagne, ces « deux derniers pays ont longtemps beaucoup dépensé en matière de médicaments ». « Ils essaient de stabiliser la situation, tandis qu'en Grande-Bretagne, au contraire, la dépense par personne est faible. Depuis l'arrivée du gouvernement Blair, la tendance est à dépenser davantage, mais en misant sur la qualité. » Ainsi, une agence gouvernementale indépendante pour l'évaluation des médicaments et des techniques médicales a vu le jour l'an dernier : le National Institute for Clinical Excellence ou Nice (en français : bon ou beau). Mais, pour les laboratoires, cet institut n'a pas été si bon que cela. Sa première décision a été de recommander le non-remboursement du Relenza, le médicament antigrippe phare de Glaxo Wellcome, ce qui a suscité un grand battage médiatique des labos contre Nice.

Suisse

État et assureurs veillent au grain

Pour les Suisses, l'assurance maladie, c'est comme l'assurance automobile. Ils s'assurent en fonction de leurs besoins, acceptant des systèmes plus ou moins contraignants leur garantissant des remboursements variables pour les médicaments. Le marché helvétique est aux mains d'une centaine de compagnies d'assurances, dont certaines proposent jusqu'à 1 000 contrats de base différents. L'État pose cependant des garde-fous. Depuis 1962, il négocie les prix des médicaments avec les labos, en tenant compte des marges et des tarifs pratiqués par les pays voisins. Par le passé, il n'a pas hésité à geler quatre années durant les prix de molécules couramment prescrites.

L'assuré peut se rendre chez le médecin de son choix. En fonction du contrat qu'il a souscrit, il sera remboursé de tout ou partie de ses dépenses. Les Suisses romands fréquentent davantage les médecins de famille, comme le docteur Jean-Pierre Pavillon, à Échallens, dans le canton de Vaud. Ses malades le consultent en premier et suivent scrupuleusement ses prescriptions. Ce généraliste ne pousse pas à la consommation et recourt aux génériques quand il le juge nécessaire : « On nous y encourage, sans nous y forcer », souligne-t-il. Quant à la Suisse alémanique, elle a adopté le modèle américain de la health maintenance organization (HMO) qui contraint le patient à consulter le médecin salarié de l'assureur s'il veut être remboursé. Chez Sana Care, par exemple, une cinquantaine de praticiens installés autour de Zurich et de Berne travaillent avec la liste des 100 médicaments les plus utilisés et sur lesquels la HMO dispose des plus grosses ristournes. « Nous n'obligeons pas les médecins à les utiliser », assure Urs Phillips, manager de Sana Care, qui précise toutefois que les praticiens disposent sur leur ordinateur de logiciels d'aide à la prescription. Et reçoivent régulièrement des relevés avec les dépenses qu'ils ont générées, comparées à celles de leurs confrères…

Le lent décollage des génériques

Entre 2 et 4 milliards de francs d'économies par an. C'est ce que promet la Sécu en cas de succès des génériques, ces copies de médicaments tout aussi efficaces que les originaux, mais moins chères, parce que le brevet de la molécule est tombé dans le domaine public. Mais le décollage des génériques dépendra beaucoup des pharmaciens. Ces derniers ont en effet conclu, en mai 1999, un accord avec l'État par lequel ils ont obtenu le droit de substitution, c'est-à-dire la possibilité de remplacer un médicament de marque prescrit sur une ordonnance par son jumeau générique. Un an plus tard, le système commence à fonctionner, en particulier dans le nord de la France. Selon « le Panorama du médecin », la Sécurité sociale aurait déjà réalisé 300 millions de francs d'économies grâce aux génériques. Mais ce n'est qu'un timide début. L'OCDE classe d'ailleurs la France parmi les derniers au chapitre des génériques. En tête arrivent les États-Unis, le Canada, le Danemark, la Finlande, l'Allemagne, les Pays-Bas, l'Australie et la Grande-Bretagne, où la part de marché des génériques oscille entre 40 et 50 %.

Avec 3,3 % (mais 6 % en volume selon la Direction générale de la concurrence et de la répression des fraudes), la France fait partie d'un groupe de pays, avec la Suisse, la Belgique et le Japon, où les génériques représentent moins de 10 % du marché.

Enfin, lanternes rouges, l'Italie, le Portugal, l'Espagne et l'Irlande ne consomment quasiment pas de copies de molécules.

Auteur

  • Sabine Syfuss-Arnaud