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Les centres d'appels explosent

Dossier | publié le : 01.11.2000 | S. F.

Fonction stratégique pour bon nombre d'entreprises, mais affaire de spécialistes pour d'autres, la relation clients tend à s'externaliser. Mais qu'elle soit gérée en interne ou confiée à l'extérieur, il reste beaucoup à faire pour que cette jeune profession soit pleinement reconnue.

Il est 19 heures. Un client SFR contacte un chargé de clientèle de cet opérateur de téléphonie mobile pour connaître les nouveaux tarifs d'abonnement. Mais toutes les lignes du centre d'appels interne de SFR sont saturées. Grâce à un système informatique de répartition automatique des contacts téléphoniques, l'appel est alors dérouté vers un autre centre, extérieur celui-ci. L'abonné n'y a vu que du feu. Pour SFR, ce basculement téléphonique est primordial : l'opérateur privé du groupe Cegetel a mis en place ce double système pour faire face à l'explosion des appels de ses abonnés – 200 000 à 250 000 par jour. Au centre interne échoit la gestion des appels à forte valeur ajoutée, tels que les contacts commerciaux susceptibles de générer de nouveaux abonnés. Au sous-traitant est confiée la gestion des débordements de flux d'appels ainsi que les opérations à profitabilité quasi nulle, comme les courriers NPAI (« n'habite plus à l'adresse indiquée »). « Dans le métier de la relation clients, il se crée de nouveaux services tous les jours. Notre politique est d'externaliser l'activité dès qu'elle est bien maîtrisée en interne pour nous concentrer sur celles qui sont émergentes », indique Thierry Gattegno, directeur général adjoint de SFR et directeur général de Cegetel Service (4 000 téléopérateurs).

Les centres d'appels sont promis à un bel avenir. Ils drainent déjà 150 000 emplois et progressent de 20 à 30 % par an. Dix fois moins onéreuse que le face-à-face traditionnel, la relation clients par contact téléphonique concerne désormais l'assistance technique, le service après-vente, la réservation, la prospection, la vente, les renseignements, les enquêtes, sans compter la gestion des numéros de crise… Nés avec la VPC, les centres d'appels se sont développés dans les télécoms, les transports, les banques et gagnent tous les secteurs. Mais le premier réflexe de l'entreprise qui souhaite créer son service de relation clients est de s'interroger sur son éventuelle externalisation.

Il est vrai que cette nouvelle activité perturbe fortement la gestion du personnel : les horaires variables et le temps partiel, qui répondent à la fluctuation des appels, ne sont guère compatibles avec la plupart des conventions. Aussi les entreprises préfèrent-elles ne pas employer directement de téléopérateurs. À ce hiatus s'ajoutent les difficultés de recrutement : le métier souffre d'une image déplorable, les salaires du marché sont souvent nettement inférieurs aux minima prévus dans certains secteurs, comme les banques, et les perspectives d'évolution de carrière sont bien maigres. Une enquête de Plus Intérim menée auprès de 200 téléacteurs en avril dernier révèle d'ailleurs que 85 % d'entre eux n'imaginent pas rester plus de dix-huit mois dans ce métier. Résultat, au sein d'une entreprise comme Peugeot, le choix de l'externalisation a vite été fait. « Lorsque nous avons décidé de mettre en place une plate-forme européenne de service de relation avec la clientèle, nous avons vite compris qu'il serait difficile d'opérer des choix techniques judicieux et de gérer les ressources humaines spécifiques à ce métier », souligne Nicole Sechet, responsable du centre de contact clients.

Quelques minutes de pause

Le constructeur français s'est donc adressé à Atos, leader dans le secteur des call centers. Un centre dédié au constructeur automobile a été ouvert à Lyon en avril dernier. Il compte déjà 65 conseillers de clientèle et emploiera d'ici à la fin de l'année 400 personnes. La délégation d'activité est totale, Atos s'engageant sur le résultat. Néanmoins, une équipe de cinq salariés, détachés par le groupe sur la plate-forme, veille au grain : double écoute des conseillers de clientèle, mise à jour de scripts informatiques (bandes de textes déroulantes sur l'écran du télé opérateur présentant le scénario du dialogue téléphonique), alerte auprès de la direction du centre sur les prévisions de flux d'appels… Sans aller jusqu'à l'ingérence, délictueuse selon la loi, la marque au lion affirme clairement sa présence pour s'assurer de la qualité de la relation avec sa clientèle.

Les salariés du centre d'appels d'Atos sont plutôt bien lotis. Ils disposent d'une convention collective, d'un 13emois, d'un salaire de départ de 7 500 francs brut progressant avec l'ancienneté. De plus, ils peuvent bénéficier de réelles perspectives de carrière. Depuis son entrée chez Atos, il y a quatre ans, Catherine Broussoux, 30 ans, aujourd'hui formatrice, a été successivement conseillère, superviseuse et responsable de développement dans l'avant-vente. Mais comme elle le reconnaît elle-même, tous les centres d'appels ne sont pas logés à cette enseigne : « J'étais auparavant employée chez un autre prestataire où les conditions de travail étaient beaucoup plus difficiles. » Les faux plafonds insonorisés et les lumières bleutées d'Atos ne font pas oublier le lot commun. Comme le rappelle Manuel Bretonne, délégué syndical CGT PTT et téléconseiller dans un centre d'appels d'Amiens : « Les pauses sont théoriquement de dix minutes toutes les deux heures. En réalité, comme la journée est coupée en deux tranches de quatre heures, nous ne disposons que de dix minutes de pause pour quatre heures, soit vingt minutes sur huit heures. Lorsque votre téléphone n'arrête pas de sonner, ces quelques minutes pour souffler sont largement insuffisantes. Résultat : de nombreux collègues souffrent de stress, d'épuisement, et quittent cette activité après seulement quelques mois. »

Des centres intégrés dans 85 % des cas

Dans les centres d'appels externes, le turnover dépasse 40 %. Il peut même atteindre 60 % dans la région parisienne. Certains responsables encouragent implicitement cette rotation. Missionnés sur des contrats courts, ils ne peuvent offrir de CDI à leurs employés et optent pour les CDD ou l'intérim. D'autres, en revanche, assurés d'avoir un volant d'activité stable grâce à des contrats pluriannuels, tentent de lutter contre l'érosion de leur main-d'œuvre. C'est le cas d'Éric Dadian, directeur d'Intra Call Center et président de l'AFRC (Association française des centres de relation clients) : « Notre turnover est inférieur à 10 %. Salle insonorisée, écran de 19 pouces, crèche, salle de sport, nous faisons tout pour que les téléconseillers aient envie de rester. »

Le nombre de centres d'appels prestataires de services progresse de 15 % chaque année. Néanmoins, les centres internes restent largement majoritaires – 85 % des cas en France. Beaucoup d'entreprises hésitent encore à confier la relation clients à l'extérieur. Une banque comme le Crédit du Nord est contrainte de prendre beaucoup de précautions lors des contacts téléphoniques avec sa clientèle : code d'identification exigé du client, respect de la déontologie professionnelle par les téléopérateurs. « Nous proposons à nos employés de quitter temporairement leur guichet pour le téléphone. Ils font en réalité le même métier, sauf qu'ils doivent être préalablement formés aux techniques du contact téléphonique », explique Françoise Leroy, directrice de la banque à distance du Crédit du Nord.

Reste à trouver des candidats motivés : chez Peugeot, c'est en partie par crainte de recevoir des candidatures internes « molles » sur ces fonctions que le choix s'est orienté vers l'externalisation. Si le turnover des téléopérateurs internes reste très en deçà de celui de certains homologues des centres externalisés, il demeure un nombre important d'insuffisances dans leurs conditions de travail. « Le manque de reconnaissance salariale et de perspectives de progression de carrière existe aussi en interne, relève Frédéric Gautier, directeur du développement chez Plus Intérim. Les téléopérateurs souffrent de ne pas être reconnus. J'ai vu des directeurs d'entreprise passer entre leurs bureaux sans même leur dire bonjour. Les pauses-déjeuner sont parfois imposées à des heures décalées alors que les restaurants sont déjà fermés. Dans d'autres centres, on n'a même pas pensé à installer un panneau d'affichage d'information sur les actions conduites par le comité d'entreprise. » Il reste encore beaucoup à faire pour que ce métier ne soit plus, même dans l'entreprise, considéré comme un emploi de seconde zone.

Auteur

  • S. F.