logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Dossier

Pas d’outils dédiés à la diversité

Dossier | publié le : 02.02.2015 | F.P.

Image

Pas d’outils dédiés à la diversité

Crédit photo F.P.

Les systèmes spécifiques aptes à favoriser l’égalité des chances dans le recrutement sont rares et peu efficients. D’autant que le CV est concurrencé par d’autres supports.

Recruter sans discriminer, tel est l’un des grands défis des entreprises aujourd’hui. D’abord pour des raisons légales (la loi stipule en effet que « le refus d’embaucher ne doit pas reposer sur un motif discriminatoire ») mais aussi pour des motifs éthiques et de plus en plus pour des raisons d’image. Vis-à-vis de son environnement (collaborateurs, clients, partenaires…), l’entreprise du XXIe siècle a en effet tout intérêt à être à l’image de la société : plurielle et diversifiée. Dans ce contexte et alors que les processus de gestion du recrutement ont beaucoup évolué dans les grandes entreprises, disposent-elles d’outils numériques spécifiques pour les aider à réduire les risques de discrimination ? « Il n’y a pas d’outils technologiques dédiés. La prévention principale, c’est l’humain. Il faut prévenir les stéréotypes. Les entreprises qui ne veulent pas promouvoir la diversité auront toujours la possibilité de le faire. Si ce n’est pas en amont, ça le sera au moment des entretiens », assène Alain Gavand, consultant en ressources humaines.

Recherche de mots-clés

Cet expert sait de quoi il parle. Partenaire de l’association À compétence égale, qui lutte contre les discriminations au sein du monde professionnel, il a activement travaillé sur le CV anonyme qu’une loi de 2006 a rendu obligatoire dans les entreprises de plus de 50 salariés (voir encadré ci-contre) mais qui a été très peu appliquée. « Le sujet a été très médiatisé à l’époque. Mais, techniquement, c’est compliqué à mettre en place. On sait que la discrimination se fait au moment du tri ou de la lecture du CV, mais il faut déterminer à quelle étape va se faire l’anonymisation. Par ailleurs, si l’on veut féminiser les équipes, avoir davantage de personnes handicapées, donc mettre en place des actions positives, cela ne peut se faire avec des CV anonymes », souligne Alain Gavand.

Certes, reconnaît le consultant, la situation a bien évolué depuis 2006 avec le recours aux applicant tracking systems (ATS), des systèmes automatisés de gestion des candidatures qui permettent de rechercher les mots-clés dans les CV en fonction des profils demandés. « L’analyse sémantique aide à faire le tri des candidatures. Mais les ATS traitent tous les CV de la même façon, et ce que l’on gagne en objectivité, on peut le perdre avec la sélectivité. Avec ces outils, l’entreprise peut passer à côté de profils atypiques. » Sans compter que des candidats malins peuvent introduire quelques mots-clés adéquats pour se faire sélectionner même si leur profil ne correspond pas. À l’image des sites qui placent des mots-clés dans leur intitulé pour mieux se faire référencer par les moteurs de recherche.

Aujourd’hui, le marché regorge de logiciels de gestion de recrutement (Taleo, Silk Road…) qui trient, éliminent et sélectionnent, parmi des centaines, voire des milliers de CV, les profils recherchés. C’est lors du paramétrage de ces solutions qu’il est possible d’introduire des éléments susceptibles de réduire la discrimination. « La recherche est sélective. L’entreprise peut choisir de ne pas faire de recherche en fonction de l’âge et du sexe, souligne Alain Latry, fondateur de l’éditeur Technomedia, spécialisé dans la gestion des talents. Mais ce n’est pas l’outil qui garantit l’esprit de la loi. Il a seulement la capacité à la faire respecter. »

Discrimination positive

Dans ses mots-clés, l’entreprise peut bien sûr décider de sélectionner des candidats sur certains critères pouvant paraître discriminants (comme le département), mais c’est alors se couper d’un potentiel beaucoup plus riche. Or, note Alain Latry, « certains profils sont difficiles à trouver. Et les entreprises veulent avoir le plus grand nombre de candidats possible afin d’être certaines de trouver le bon ».

Le président de Technomedia a bien constaté que, depuis quelques années, les entreprises avaient à cœur de favoriser la diversité. Mais difficile de leur faire dire si elles font un paramétrage spécifique des logiciels : « C’est un point sur lequel elles ne souhaitent pas trop s’exprimer », remarque Alain Latry qui, à l’instar d’autres acteurs du marché, voit davantage ces outils comme un moyen de favoriser la mobilité interne, « notamment pour la promotion des femmes à des postes hiérarchiques ». Et, de fait, plutôt que pour réduire les risques de discrimination, les solutions numériques seront utilisées afin de favoriser la discrimination positive.

Par ailleurs, si le CV vidéo « reste anecdotique » aux yeux d’Alain Gavand, les entreprises comme les candidats ont de plus en plus recours aux réseaux sociaux. « Viadeo, LinkedIn… sont massivement utilisés, surtout par les cadres. La donne change. Le CV n’est plus le mode unique de recrutement. Entre un candidat et une entreprise, il s’est passé beaucoup de choses avant que celle-ci ne reçoive un CV. Et s’il y a une volonté de favoriser la diversité, c’est aussi à ce niveau qu’elle se présente. »

Enfin, à côté des nombreux outils du marché, les entreprises, notamment les PME, peuvent recourir à des solutions plus standardisées comme le portail MyJobCompany qui permet aux candidats d’anonymiser leur candidature (nom, prénom et photo) pour n’être sélectionnés que sur leur savoir être et leur savoir-faire. Reste, quoi qu’il en soit, l’étape de l’entretien, où l’entreprise doit assumer ses responsabilités.

Le CV anonyme, un coup d’épée dans l’eau ?

L’idée partait d’une bonne intention et faisait de la France presque une pionnière. La loi de mars 2006 pour l’égalité des chances promulguait en effet le CV anonyme. Une initiative qui fut suivie par quelques grandes entreprises comme Axa, Total, PSA, La Poste et certaines collectivités territoriales. Pour ce faire, Axa, par exemple, utilisait un logiciel informatique permettant d’anonymiser certaines informations comme la photo, la nationalité, la situation familiale, bref, des données qui n’ont rien à voir avec les compétences du candidat. Huit ans après, cependant, le soufflé est retombé. D’abord, les décrets d’application n’ont jamais été publiés. Chez Axa, l’expérience a été arrêtée. « À l’heure des réseaux sociaux où, au contraire, les candidats veulent se rendre visibles, cette méthode n’a plus tellement d’intérêt », reconnaît-on chez l’assureur. Le bilan est un peu meilleur dans les collectivités locales. Depuis début 2014, le conseil général de l’Essonne (4 700 agents) teste le CV anonyme pour ses recrutements.

Une comparaison des données « anonymisées » du premier semestre 2014 avec celles « non anonymisées » du premier semestre 2012 montre que les candidats portant un prénom discriminant ont, en 2014, 32 % de chances supplémentaires d’être convoqués en entretien, et 36 % d’être embauchés. Malgré le scepticisme des entreprises, les défenseurs du CV anonyme n’ont pas perdu espoir. Le Conseil d’État a sommé le gouvernement de publier le décret d’application de la loi de 2006. Le délai est arrivé à échéance le 9 janvier dernier. Mais le gouvernement attend encore les recommandations d’un groupe de réflexion, sur les discriminations au travail. Recommandations qui devraient être remises en mars prochain.

F.P.

Auteur

  • F.P.